En plus des cookies strictement nécessaires au fonctionnement du site, le groupe AEF info et ses partenaires utilisent des cookies ou des technologies similaires nécessitant votre consentement.
Avant de continuer votre navigation sur ce site, nous vous proposons de choisir les fonctionnalités dont vous souhaitez bénéficier ou non :
À la fois organisme de formation aux enjeux écologiques, laboratoire de recherche-action, éco-lieu expérimental, le Campus de la transition défend "une posture radicale" en allant "à la racine des problèmes, et non marginale, en considérant que la transition est l’affaire de tous", décrit à AEF info Véronique Malé, co-dirigeante déléguée à la formation et la recherche, lors d’une visite du domaine le 28 mars 2023. Ce nouvel acteur de la formation, créé en 2018, est porté par un collectif d’enseignants-chercheurs de toutes disciplines. C’est dans un château du XVIIIe siècle, à une heure de Paris, que le campus propose des formations immersives à destination des étudiants, enseignants et professionnels. Certaines, co-construites avec les universités et grandes écoles, promeuvent une nouvelle forme d’enseignement qui s’appuie sur une pédagogie valorisant les émotions et les savoir-faire.
Cette dépêche est en accès libre.
Retrouvez tous nos contenus sur la même thématique.
Le Campus de la Transition est installé sur le domaine de Forges, à une heure de Paris, dans le département de Seine-et-Marne en Ile-de-France. AEF - JL
À 80 km au sud-est de Paris, en Seine-et-Marne, dans le village de Forges qui compte un peu plus de 400 habitants, un château du XVIIIe siècle et son parc de douze hectares accueillent étudiants, enseignants et bénévoles de tous horizons. Entouré d’une forêt, d’un ruisseau et de vergers, cet ancien établissement d’enseignement général et horticole est devenu, en 2018, le Campus de la transition, un organisme de formation aux enjeux écologiques et sociales, un laboratoire de recherche-action et un éco-lieu expérimental des modes de vie sobres et solidaires.
Après six mois de chantiers bénévoles, le château — qui abrite de grandes salles de vie, une cuisine, des chambres, des bureaux, etc. — a ouvert ses portes à de nouveaux résidents. Certains ont choisi d’y travailler et habiter à l’année et vivent en tant que communauté quand d’autres sont de passage, souvent des étudiants en césure ou en service civique, qui viennent, pour quelques semaines ou quelques mois, expérimenter et participer à ce nouveau cadre de vie.
Constitué en association à but non lucratif, le Campus de la transition est animé et piloté par un collectif de 75 membres, dont 25 salariés, avec à sa tête, Cécile Renouard, religieuse de l’Assomption, enseignante-chercheuse, philosophe, diplômée de l’Essec et de l’EHESS.
Un lieu de formation "hors cadre mais avec des personnes du système"
"Nous avions un projet, il nous manquait un lieu. C’est par la congrégation de l’Assomption que j’ai pris connaissance du château, alors que celle-ci avait hérité du domaine en 1949, à la condition qu’il serve de cadre à une œuvre éducative", raconte à AEF info Cécile Renouard, cofondatrice du Campus de la transition, lors d’une visite le 27 mars 2023. Professeure de philosophie au Centre Sèvres (faculté jésuite de Paris), enseignante à l’École des mines de Paris, à l’Essec et à Sciences Po, Cécile Renouard a très vite observé "la frustration" des étudiants face à des cursus "qui n’étaient pas à la hauteur des enjeux".
"C’est alors qu’avec des collègues enseignants-chercheurs, nous avons eu l’idée de créer une petite entreprise pour aiguiller les transitions, qui serait hors cadre, mais avec des personnes du système. Un lieu, une plateforme, qui aiderait à faire un pas de côté et à former des gens qui ne soient pas 'hors sol'", décrit Cécile Renouard. Cet éco-lieu — qui fait l’interaction entre la formation et la recherche — veut promouvoir une transition écologique, économique et humaniste à grande échelle. "Nous ne voulons pas que le campus soit une bulle isolée qui ne vaudrait que pour les territoires français", insiste-t-elle.
Pour remplir ces missions, le Campus de la transition vit du mécénat privé et de prestations (formations, hôtellerie…). Cinq ans après sa création, il atteint un budget de 1,5 million d’euros. "Nous avons eu une croissance rapide car il y a une énorme demande", explique Véronique Malé, co-dirigeante déléguée à la formation et à la recherche. "Mais nous ne sommes pas un service public et nous restons vigilants sur nos dépenses même si nous souhaitons en faire plus, surtout en ce qui concerne la formation des formateurs et des personnels", reprend-elle.
"Proposer une nouvelle base d’enseignement"
"En étant plus petit et plus agile qu’une institution d’enseignement classique, le campus a réussi à réunir des personnes qui ne seraient jamais venues si nous étions rattachés à un établissement spécifique", continue Cécile Renouard. Si au départ, l’idée était de créer un master, le projet a vite été oublié pour ne pas reproduire ce que les grandes écoles et universités offraient déjà.
"Ce qui était important, en tant que nouvel acteur de la formation, c’était de contribuer à proposer une nouvelle base d’enseignement, dans le contenu et dans la forme, pour nous distinguer", explique à AEF info Christian Koenig, conseilleur scientifique du laboratoire du campus, ancien professeur de l’Essec où il a notamment dirigé les programmes grande école et BBA. Si le Campus de la transition développe sa singularité en France, il puise son inspiration auprès de deux institutions internationales : le Schumacher College (Royaume-Uni) fondé en 1991 et The Sustainability Institute (Afrique du Sud) créé en 1999.
Le Manuel de la Grande transition, un parcours en six portes
Un an après son ouverture, en juin 2019, le Campus de la transition a rencontré la ministre de l’Enseignement supérieur de l’époque, Frédérique Vidal, et son cabinet. "Nous avions déjà testé des formations auprès d’étudiants de l’Essec en avril, ce qui nous avait confirmé le bien-fondé du projet", se remémore Cécile Renouard.
"Le MESR nous a reconnus comme un organisme hors système, porté par des enseignants-chercheurs et doctorants, qui pouvait contribuer à former des têtes de pont. De fil en aiguille, il nous a été demandé de travailler à un socle commun de connaissances et compétences, sans être tributaire d’enjeux politiques et institutionnels." À l’origine, le campus avait été mandaté pour écrire un livre blanc, avec un financement du ministère. Ce projet n’a pas abouti mais le travail effectué a donné naissance à un autre ouvrage, baptisé "Manuel de la grande transition", publié en octobre 2020, et dont une version remaniée en poche est prévue pour la rentrée prochaine.
Celui-ci propose un parcours en "six portes", soit les dimensions indispensables à l’enseignement de la transition :
"Au départ, nous avons proposé le cadre des 'six portes' à une douzaine d’enseignants-chercheurs, et en l’espace d’un week-end, nous avons conçu la matrice du manuel", retrace Cécile Renouard. "En renversant le système, et en proposant des portes d’entrées, tout cela a amené un sens nouveau pour les différents contributeurs : le prof de lettres écoutait les préoccupations du prof d’architecture, lui-même intéressé par les problématiques de l’économiste et du juriste… Et voilà comment la machine est partie", se souvient Christian Koenig.
LA Naissance du collectif "Fortes"
Au total, 70 enseignants-chercheurs et étudiants de toutes les disciplines, ainsi que d’experts et d’acteurs de l’entreprise, ont œuvré pour ce "Manuel de la grande transition", divisés en douze groupes de travail et ce, de manière essentiellement bénévole. "Nous avions la chance d’avoir un réseau de personnes motivées, avec une appétence pour ces enjeux", souligne Cécile Renouard. Le collectif "Fortes" est ainsi né, ayant pour but de promouvoir la "formation à la transition écologique et sociale dans l’enseignement supérieur".
Parmi les douze groupes de travail, deux étaient transversaux : l’un portait sur les pédagogies, l’autre sur la transformation des campus ; tandis que les dix autres se focalisaient sur une discipline. Dans le cas des pédagogies, "nous avons fait le diagnostic de ce qui est enseigné, des insuffisances et des besoins de changer certaines manières de faire, en donnant à voir des perspectives de pédagogies différentes, fondé sur la pédagogie 'tête-corps-coeur'", commente Cécile Renouard.
Ce travail a ensuite donné lieu aux "Petits manuels", entre début 2022 et 2023, à destination des enseignants et étudiants. Par exemple, "Vers une autre gestion" propose de longs entretiens d’experts qui montrent "comment déformater les enseignements actuels", illustre-t-elle. Chacun des manuels fait le lien avec la structure des six portes. "Celles-ci aident à cartographier, colorer certains aspects des enseignements, avec toujours l’enjeu de la sacro-sainte liberté de l’enseignant-chercheur. Nous offrons des ressources mais c’est à chacun de s’en saisir et de les adapter à ses pratiques", soutient Cécile Renouard.
des formations professionnelles immersives
À partir de ces grands schémas directeurs, le Campus de la transition a conçu des formations à destination des étudiants, des enseignants, des organisations, des établissements, et accessibles aussi à titre individuel. Les cours sont dispensés in situ, dans une annexe moderne du château, qui compte quelques salles de cours. La capacité d’accueil étant limitée, le campus se fixe des priorités. "Nous n’avons pas vocation à être en concurrence avec les autres organismes de formation. Notre cible principale, ce sont les formateurs. Nous voulons ensuite expérimenter sur la partie étudiante en partenariat avec des établissements très variés", précise Véronique Malé.
Doctorante en sociologie et sciences de l’environnement à l’EHESS, Léa Eynaud est, depuis un an et demi, responsable des formations académiques du campus. Les apprenants peuvent postuler à titre individuel, comme c’est le cas pour le "T-Campus" créé en 2019, un programme interdisciplinaire destiné à une vingtaine d’étudiants, jeunes diplômés et professionnels en reconversion pour un coût compris entre 2 500 euros et 4 500 euros. Six semaines d’immersion qui permettent la construction d’une maquette pédagogique "en profondeur" pour "une vision panoramique de la transition", décrit-elle.
Toujours dans le portefeuille des formations professionnelles, le programme "Actes" propose un parcours de 26 heures, "à travers les six portes du Manuel de la grande transition, pour mieux comprendre les enjeux de transition et leur interdépendance, et pour initier un passage à l’action", précise le site du Campus. Le coût est compris entre 150 et 1 500 euros.
des programmes co-construits avec les grandes écoles et universités
En parallèle, le Campus de la transition propose aussi des formations académiques co-construites avec des grandes écoles et des universités, de durées très variables. "Généralement, un responsable de master vient vers nous, nous explique les profils des étudiants, ce qu’ils ont appris et ce qu’ils leur restent à apprendre", détaille Léa Eynaud. Ces formations ont pour vocation d’apporter "une complémentarité" aux apprenants, en termes de contenus d’abord.
"Par exemple, les étudiants des écoles d’ingénieurs partenaires (CentraleSupélec, Mines Paris, Supméca, etc.) ont souvent un parcours très riche en sciences 'dures', et ont beaucoup moins d’enseignements en SHS. Nous proposons un autre regard, en nous appuyant sur des thématiques comme les inégalités sociales, ou bien en partant des SHS avec un éclairage historique ou philosophique", illustre-t-elle. La même logique est appliquée pour les écoles de management, avec des partenaires comme l’Essec et HEC, où les étudiants se voient davantage proposer des cours liés aux sciences du vivant par exemple.
Le message adressé aux étudiants se veut aussi complémentaire : "Un interlocuteur d’une école de commerce peut vouloir nous amener ses étudiants pour qu’ils soient confrontés à un message plus radical. Nous irons plus loin dans la critique, sur la notion de croissance par exemple", cite Léa Eynaud.
Le campus déploie également une pédagogie "très différente", qui insiste sur "l’accompagnement des apprenants dans leur apprentissage", expose-t-elle. Cet accompagnement se fait en amont du cours, en ouvrant par exemple un espace de dialogue pour échanger sur ce qui sera enseigné. Il se fait également à l’issue du cours, quand les étudiants expriment "leurs ressentis, leurs angoisses, leurs questionnements". De plus, le campus veut "revaloriser" les savoir-faire. "Il faut mettre les mains dans la terre", estime Léa Eynaud. En outre, ajoute-t-elle, "il faut envisager l’immersion dans l’éco-lieu comme un objet pédagogique à proprement parler" avec des temps de cours, des moments au jardin, des échanges avec les résidents, etc.
Enfin, le campus apporte une complémentarité "en termes d’ancrage" : "Nous sommes une association, liée à un collectif d’enseignants-chercheurs. Cela étant, les étudiants doivent aussi pouvoir bénéficier d’un éclairage sur de la recherche-action et de l’expérimentation qui émane de la société civile", insiste-t-elle.
La formation des formateurs, un travail "délicat"
Autre priorité pour le campus, la formation des formateurs. Luigi Ruissi est post-doctorant sur les pédagogies de la transition, affilié au campus et à l’université Aix-Marseille. Sa recherche est financée par la Fondation Michelin. "Nous nous rendons directement dans les établissements d’enseignement supérieur, comme à CY Cergy Paris université, ou bien les équipes 'transition' constituées dans les universités et grandes écoles nous contactent pour aider leurs collègues à créer des formations liées à la transition écologique", explique-t-il. "Le matériel de travail est unique, il n’y a pas l’école nationale des formateurs de la transition, c’est un métier en train de se construire sous nos yeux", estime Luigi Ruissi.
"Mon travail est de faire une évaluation évolutive, c’est-à-dire que j’aide à réfléchir à l’efficacité d’une formation pendant que nous sommes en train de la construire. Ensuite, j’accompagne le développement d’une communauté apprenante aux côtés de l’équipe formation de l’établissement", développe-t-il. Un travail "délicat", admet Luigi Ruissi : "Il faut tisser des liens, travailler sur les relations entre pairs, pour que les personnes qui forment les formateurs prennent conscience des tenants de cette nouvelle profession."
une posture radicale pour "Aller à la racine des problèmes"
Dans cette galaxie de nouvelles formations dédiées aux enjeux de la transition écologique, qui fleurissent sous la demande croissante des étudiants et entreprises, le Campus estime avoir trouvé sa place. "Nous avons une posture radicale au sens où nous allons à la racine des problèmes, et non marginale car nous considérons que la transition est l’affaire de tous. Cette posture fait que nous allons susciter l’intérêt de certains acteurs, qui veulent se mettre en mouvement ; tandis que d’autres trouveront que nous sommes trop loin de leurs préoccupations", analyse Véronique Malé.
En même temps, le Campus de la transition, concède-t-elle, est "un objet non identifié" dans le paysage, mêlant formation, expérimentation et recherche, en dehors du cadre mais avec des personnes du système, faisant se côtoyer initiés et profanes dans un château à une heure de Paris. "Nous ne rentrons dans aucune case", reconnaît Véronique Malé.
Vous souhaitez contacter
Julie Lanique,
journaliste