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"Il n’existe pas une seule université au monde qui ressemble à Paris-Saclay. Nous devons donc construire un modèle de fusion unique", dit Alain Bui, président de l’UVSQ, dans une interview à AEF info le 27 janvier 2023, à propos de l’intégration sans fusion des universités d’Évry et de Versailles dans celle de Paris-Saclay. "Nous fusionnons nos cœurs de métier, la politique de formation, la politique de recherche, la politique d’innovation et de valorisation, mais cela n’implique pas d’avoir derrière une seule administration centrale, que l’on décentraliserait par la suite." À ses yeux, "garder la personnalité juridique permet de maintenir une agilité opérationnelle" pour l’UVSQ. Son "intégration pleine et entière" sera actée par une modification de ses statuts "d’ici fin 2024, en changeant de nom". L’UVSQ pourrait être rebaptisée "université Paris-Saclay Versailles" ou "Yvelines".
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Alain Bui, président de l'UVSQ
AEF info : En décembre 2020, votre dernière interview à AEF info était titrée : "La trajectoire de fusion avec l’université Paris-Saclay sera le fil rouge du mandat à venir" (lire sur AEF info). Deux ans plus tard, la trajectoire a un peu dévié, puisque vous ne parlez plus de "fusion" et que les universités de Versailles et d’Évry vont conserver leur personnalité juridique au sein de l’université Paris-Saclay. Pour quelles raisons le projet a-t-il évolué ainsi ?
Alain Bui : Nous avons pris le problème à bras-le-corps, au sein d’un groupe de travail nommé "conseil stratégique de fusion" comprenant les trois présidents d’universités concernés, les premiers VP et les DGS. Ce conseil s’est réuni une vingtaine de fois, plus intensivement au second semestre de 2022, et s’est nourri des expériences passées de fusions d’universités françaises, mais aussi d’une étude approfondie de modèles de gouvernance étrangers, faite par le cabinet Siris. Ainsi, on voit que Berkeley n’a pas de personnalité juridique, tandis que les trois campus qui composent l’université de l’Illinois en ont chacun une. Cela montre que la personnalité juridique n’est pas la clé de voûte d’un regroupement.
Il nous fallait trouver le bon modèle entre l’existant, c’est-à-dire une simple convention d’association avec l’université Paris-Saclay, et la fusion des services, des composantes, etc. Nous avons travaillé plusieurs mois et nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il n’existait pas une seule université au monde qui ressemblait à Paris-Saclay, et que nous devions donc construire un modèle de fusion unique. Nous parlons d’un "modèle d’intégration pleine et entière" des universités d’Évry et de Versailles, comme c’était déjà le cas dans le projet de 2017. Cette intégration est déjà très avancée, puisque nous avons les écoles doctorales et doctorats communs, une synergie en recherche, etc., mais il s’agit là d’exprimer juridiquement l’établissement Paris-Saclay.
AEF info : Quelle est la différence entre votre proposition finale et une fusion pure et simple ?
"Nous allons mener un travail de convergence de toutes les licences de Versailles et d’Évry au sein de l’EUPC, même si nous conserverons les colorations propres à chaque site."
Alain Bui : Dans une fusion, tous les services, des finances aux DRH, et toutes les composantes fusionnent, comme à Bordeaux, AMU ou Strasbourg. Là, nous parlons d’un ensemble de 65 000 étudiants, sur un territoire qui va du Kremlin-Bicêtre à Mantes-la-Jolie. Cette dimension territoriale est constitutive de l’UP Saclay : il ne s’agit pas que d’universités, il s’agit d’écosystèmes. Donc nous fusionnons nos cœurs de métier, la politique de formation, la politique de recherche, la politique d’innovation et de valorisation, mais cela n’implique pas d’avoir derrière une seule administration centrale, que l’on décentraliserait par la suite.
Nous nous appuierons sur les graduate schools aux niveaux master et doctorat, avec une seule accréditation pour tous les diplômes nationaux (actuellement, il reste environ 15 % des masters de l’UVSQ qui sont accrédités par l’UVSQ) existants et à venir. Pour le premier cycle, il y aura les doubles licences spécifiques portées par l’UP Saclay, et les autres, qui seront portées par l’École universitaire de premier cycle. Nous allons mener ce travail de convergence de toutes les licences de Versailles et d’Évry au sein de l’EUPC, même si nous conserverons les colorations propres à chaque site. Par exemple, la licence de droit de l’UVSQ est colorée de sciences politiques, avec un corps enseignant un peu différent de celui de la licence de droit de Sceaux ; il n’y a aucun sens à uniformiser les formations, mais elles seront toutes estampillées "EUPC Paris-Saclay".
AEF info : Quels sont les avantages, pour l’UVSQ, d’aller vers ce modèle-là plutôt que vers une fusion ?
"Si on fusionnait tout, cela deviendrait difficilement gouvernable, et il faudrait alors refaire de la subsidiarité."
Alain Bui : C’est d’abord être réaliste, vu le territoire que nous couvrons. Une université ne fonctionne que si ses services sont en proximité. La question de la personnalité juridique est secondaire, sur le plan scientifique comme de formation, nos cœurs de métier. Si on fusionnait tout, cela deviendrait difficilement gouvernable, et il faudrait alors refaire de la subsidiarité. Garder la personnalité juridique permet au contraire de maintenir une agilité opérationnelle.
Nous allons acter de manière irréversible notre intégration pleine et entière dans l’université Paris-Saclay en modifiant nos statuts d’ici la fin 2024, et en changeant de nom. Le préfixe est fixé, nous nous appellerons "université Paris-Saclay", mais il sera suivi d’un suffixe qui reste à définir : Versailles, Yvelines, un mix des deux, nous verrons. Nous déciderons courant 2023.
AEF info : Si vous conservez votre personnalité juridique comme les grandes écoles membres de l’université Paris-Saclay, en deviendrez-vous, de la même manière, des "établissements-composantes" ?
"L’UVSQ et l’UEVE ne seront pas des 'établissements-composantes', parce que nous ne sommes pas des grandes écoles, nous serons des 'universités intégrées'."
Alain Bui : Non, l’UVSQ et l’UEVE ne seront pas des "établissements-composantes", parce que nous ne sommes pas des grandes écoles, nous serons des "universités intégrées". Je tiens à cette différence, car nous n’avons pas la même fonction. Le terme d’université intégrée s’adapte bien à la situation. C’est d’ailleurs celui qui sera repris dans les futurs statuts de l’université Paris-Saclay, lorsque celle-ci sortira de l’expérimentation, à l’horizon 2025 – idéalement en janvier. À l’UVSQ, nous amorçons dès aujourd’hui le travail sur nos statuts, sachant que nous devons présenter leur préfiguration en 2023 pour application fin 2024, après parution d’un décret.
AEF info : Le modèle final de l’université Paris-Saclay est assez difficile à représenter : combien d’entités comptera-t-elle, au final ?
Alain Bui : Sept sans les ONR, et 14 avec. Les sept, ce sont les quatre grandes écoles (CentraleSupélec, AgroParisTech, ENS Paris-saclay, IOGS), les deux universités intégrées (UEVE et UVSQ), et le périmètre employeur de l’université Paris-Saclay, qui correspond à l’ex-Paris-Sud. Les électeurs au CA sont tous les personnels et étudiants des sept entités. Après, selon les sujets, il y a un distinguo à faire entre ce qui relève du périmètre employeur, pour les questions de RH surtout, et ce qui relève des autres employeurs. Dans une fusion classique, il n’y aurait eu à la fin qu’un seul employeur, mais cela aurait posé plus de problèmes que ça n’en résolvait dans notre cas.
AEF info : Les représentants CFDT au CA de l’université Paris-Saclay ont émis plusieurs critiques sur ce schéma, lors de la séance du 12 janvier 2023. La première porte sur cette "dissymétrie" introduite entre les personnels des établissements à PMJ et ceux relevant du "périmètre employeur" de l’UP Saclay : ces derniers voient ainsi "leur campagne de postes et leur budget validés par des instances où siègent des collègues d’autres établissements", avec passage préalable en conseil de direction, ce qui n’est pas le cas pour les premiers. Que leur répondez-vous ?
"Le fait que chaque employeur gère les carrières de ses Biatss et de ses enseignants-chercheurs devrait rassurer les syndicats."
Alain Bui : Il existe une dissymétrie dans les deux sens, oui. Nous l’avons bien expliqué pendant les AG que nous avons tenues sur les trois sites. Je rappelle qu’il est prévu que le CA de l’UVSQ accueille la présidente de l’UP Saclay. Au final, je pense que l’ensemble est équilibré et que les employeurs sont bien identifiés, ce qui devrait rassurer les syndicats.
Le fait que chaque employeur gère les carrières de ses Biatss et de ses enseignants-chercheurs devrait aussi les rassurer : si nous avions fusionné, j’aurais eu un gros sujet d’inquiétude sur le devenir de nos services centraux, par exemple. Là, je peux garder toutes les compétences qui sont à l’université. Les régimes indemnitaires sont différents, selon l’histoire de chaque institution, et cela a aussi du sens. C’est clairement l’option qui était la meilleure pour les personnels.
Après, rien n’est figé définitivement, on ne s’interdit rien : à l’avenir, peut-être que tel ou tel service sera fusionné s’il y a une plus-value et que les personnels s’y retrouvent. Les systèmes d’information, par exemple, gagneraient à être mutualisés, ainsi que certaines fonctions internationales, sur l’Europe notamment. On peut mettre davantage en commun là-dessus.
AEF info : Les représentants syndicaux s’inquiètent aussi du manque de cohérence de l’offre de formation en premier cycle, qui comprend des bachelors d’écoles, des doubles licences "université Paris-Saclay", des formations de l’EUPC, des formations propres à chaque établissement, etc. Comment les étudiants vont-ils s’y retrouver ?
Alain Bui : L’offre de formation sera très lisible et très claire pour les étudiants. Tous les diplômes nationaux relèveront soit de l’université Paris-Saclay (masters, doctorats, licences sélectives), soit de l’EUPC. Ensuite, chacun pourra continuer à créer des diplômes d’établissement, comme des DU, des certificats de formation continue, etc., en lien avec les besoins de son territoire, très professionnalisant, etc. L’UVSQ ne créera aucun diplôme national en propre.
AEF info : Mettrez-vous en place une "conférence RH" commune à tous les employeurs pour coordonner vos recrutements ?
Alain Bui : Oui, ce sera indispensable au périmètre à sept. Nous prioriserons tel ou tel thème, l’IA par exemple, et ferons des recrutements coordonnés. C’est un passage obligé si nous voulons avoir une politique scientifique commune. Quand on fait des demandes de CPJ, on discute entre nous avant pour maximiser nos chances de les obtenir. Pour les Biatss en revanche, les recrutements se dérouleront davantage en local, sauf s’il s’agit d’un service fusionné que l’on veut développer ensemble.
AEF info : L’une des structures majeures de l’université Paris-Saclay, ce sont ses "écoles graduées", ou "graduate schools", qui ont fait l’objet d’une "Journée nationale" au MESR récemment (lire ici, ici et ici). Quel bilan en faites-vous ?
Alain Bui : Les écoles graduées sont au cœur du projet Paris-Saclay, en tant que lieux qui regroupent l’ensemble des laboratoires, mentions de master et doctorat sur une thématique, ainsi que les composantes ou départements des sept membres de l’université. On y discute de stratégie scientifique, de synergies, de projets de recherche communs, etc., avec une vraie structure de gouvernance (un directeur de l’école graduée, un directeur de la formation, un directeur de la recherche, un directeur de la valorisation, etc.). L’UVSQ pilote ou co-pilote six de ces écoles graduées, ce qui montre notre implication totale dans Paris-Saclay. Ce sont donc des lieux essentiels, qui définissent la stratégie au quotidien de l’université. Mais c’est un système en construction, qui devra certainement évoluer. J’ajoute qu’il existe aussi les "OI", pour "objets interdisciplinaires", au nombre d’une vingtaine, mais qui ont une gouvernance plus légère.
AEF info : Où en est l’UVSQ sur le plan financier, au moment où l’on parle de gel de crédits pour la création de places, notamment (lire sur AEF info) ?
"Nous sommes à la limite d’un fonctionnement normal, j’ai des arbitrages très difficiles à faire chaque année."
Alain Bui : La situation de l’UVSQ est assez tendue lorsque l’on compare son budget à ses missions. Nous sommes historiquement sous-dotés, très impactés par le GVT (qui nous coûte l’équivalent de dix emplois par an), et donc toujours en difficulté pour accueillir de nouveaux étudiants.
Nous ressentons une certaine fatigue des personnels. Nous avons 53 ou 55 % de personnels permanents pour réaliser notre maquette. La SCSP par étudiant figure tout en bas de la liste quand nous nous comparons à des universités équivalentes. Nous sommes à la limite d’un fonctionnement normal, j’ai des arbitrages très difficiles à faire chaque année. Je ne peux pas remplacer les départs en retraite, ni en mobilité, par des titulaires. Nous avons recours à des contractuels. Je rends donc hommage aux équipes, qui font ce qu’elles peuvent. Mais nous allons devoir réfléchir aux maquettes de formation, car le risque est de voir les conditions d’enseignement se dégrader. La différence avec l’argent injecté en CPGE, qui ne sont pas toutes remplies, est énorme.
AEF info : Justement, dans le même temps, la Cour des comptes estime qu’aucun établissement contrôlé par elle ne respecte la durée annuelle du temps de travail des Biatss (1 462 heures annuelles travaillées en moyenne, soit 9 % de moins que la durée légale, qui est de 1 607 heures), et a entamé un travail de contrôle sur ce sujet (lire sur AEF info). Avez-vous commencé à remettre les pendules à l’heure à l’UVSQ ?
Alain Bui : Nous avons répondu à l’enquête de la Cour des comptes en effet, et c’est un sujet bien identifié au sein de l’UVSQ. Mais nous sommes en attente d’un positionnement national sur ce dossier. Ce que je peux dire, c’est que nos Biatss sont impliqués, que l’université tourne, mais que nous en manquons.
AEF info : Avez-vous des motifs de satisfaction particuliers, en tant que président de l’UVSQ, en ce moment ?
Alain Bui : Oui, nous avons eu deux ERC en 2022, ce qui est exceptionnel. L’une est portée par Nathalie Carrasco, nouvelle présidente de l’ENS Paris-Saclay, mais son ERC restera gérée par l’UVSQ (Latmos) ; l’autre en SHS, par l’économiste environnemental Jean-Paul Vanderlinden (CEARC-OVSQ). Et puis fin mars-début avril, nous lancerons grâce à Space X notre deuxième nano-satellite, qui aura vocation à créer une constellation pour l’étude du climat. Nous en sommes très fiers car c’est un projet 100 % universitaire, conçu et suivi par l’UVSQ, avec l’Onera, via le Latmos (UVSQ/Sorbonne Université/CNRS), qui fait suite au lancement réussi du premier satellite UVSQ en janvier 2021.
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Sarah Piovezan,
journaliste