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Les actions "radicales" des militants écologistes sont-elles bénéfiques pour inciter à plus d’actions transformatrices ou au contraire vont-elles provoquer une polarisation et une paralysie des bonnes volontés? C’est le débat posé par l’Orse, à l’occasion de ses vœux le 16 janvier 2023. L’organisation propose dix mesures de rupture pour traiter les racines des enjeux et faire bouger le cadre.
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L'Orse a organisé une table-ronde à l'occasion de ses voeux. AEF - SD
"2022 était une année compliquée, qui a vu émerger une tendance forte à la radicalité", remarque Hélène Valade, présidente de l’Orse, en ouvrant le grand débat intitulé "La RSE doit-elle être radicale ?", organisé le 16 janvier, à l’occasion des vœux de l’organisation.
L’Orse évoque la recrudescence d’actions spectaculaires menées par des jeunes écologistes activistes dénonçant la poursuite de l’exploration des énergies fossiles (La Dernière Génération) ou l’inaction des pouvoirs publics en matière de rénovation énergétique (Dernière Rénovation). Un mouvement inverse, le "backlash", se manifeste en particulier aux États-Unis, avec par exemple la décision de l’État de Floride de retirer deux milliards de dollars au fonds d’investissement BlackRock en raison de son discours pro-ESG (lire sur AEF info). "Les responsables RSE doivent reconnaître les manifestations à l’extérieur comme en interne", pose l’Orse dans son livre blanc. L’objectif étant "d’éviter que cela n’entrave les bonnes volontés et au contraire tenter d’en tirer profit pour faire progresser plus rapidement les enjeux".
se déraciner pour se réenraciner
Dominique Bourg, philosophe, rappelle que le terme "radical" renvoie à racine. "La radicalité peut être perçue comme hautement dangereuse, car elle menace l’enracinement par rapport à nos modes des pensées et notre organisation sociale", pointe-t-il.
"Après le monde moderne, un nouveau paradigme est en train d’émerger, celui d’un monde limité", avance l’universitaire, qui pointe le fossé entre "ceux qui l’ont compris et veulent déjà aller dans l’autre monde, et ceux qui veulent se maintenir dans le monde ancien et nous amènent à notre perte". Pour lui, la radicalité peut avoir un sens positif : "Vouloir se déraciner pour se réenraciner, c’est sans doute la meilleure attitude."
"l’acteur le plus radical, c’est la nature"
Pour Sylvain Lambert, associé PwC et vice-président de l’Orse, "l’acteur le plus radical aujourd’hui, c’est la nature", dont "l’action sur nous est bien plus radicale que lancer de la peinture à l’eau sur Bercy". "Les actions des ONG radicales ne représentent pas une menace pour la démocratie, elles alertent, irritent, médiatisent, mais je ne sais pas si elles font bouger, alors que les signaux physiques envoyés par la nature oui car ils ont des conséquences réelles."
Il signale l’étude récente de PwC sur la perception des risques ESG par les PDG qui montre que près d’un dirigeant sur deux pense que son entreprise ne sera pas viable dans dix ans si elle ne se transforme pas (lire sur AEF info). "Ceux qui n’évoluent pas dans un monde qui évolue vont reculer et disparaître", confirme le consultant.
Besoin d’un "coup de pied dans la fourmilière"
Pourtant, constate Loïc Bonifacio, membre du collectif d’étudiants Pour un Réveil écologique, "il y a encore besoin en 2023 de mettre un coup de pied dans la fourmilière, d’apporter un réveil, et d’être dans le rapport de force". "Certaines entreprises en sont encore à souhaiter une croissance verte ou à utiliser comme unique indicateur le PIB : c’est qu’elles n’ont pas compris le fond du problème."
Même si son collectif ne se pose pas forcément en opposant aux entreprises, privilégiant le dialogue, il salue le courage des activistes. "Il faut d’abord se demander ce qui les pousse à ces actions désespérées. Peut-être parce que les autres actions ne portent pas leurs fruits et qu’on continue de foncer dans le mur malgré les appels des scientifiques."
décalage entre la situation et l’inaction
Nils Pedersen, délégué général du Pacte mondial Réseau France, reconnaît que "l’accès à des connaissances depuis 40 ans n’a pas amené à l’action" et que le fait d’être "dans une bulle de prospérité pendant 70 ans nous a sans doute déshabitués à la transformation." Il dénonce également le "prisme déformant de la société occidentale sur ces sujets", consistant à "demander en Afrique ce qu’ils pensent de la voiture électrique quand un Africain sur deux n’a pas accès à l’électricité". "Tant que des questions comme la faim et l’eau potable ne seront pas résolues, on n’arrivera pas à avancer sur l’urgence climatique."
"Difficile de pas être en colère face à l’inaction et ceux qui perpétuent les mensonges", affirme Fabrice Bonnifet, président du C3D. "Par exemple la transition, ça n’existe pas. On devrait remplacer ce qui est sale par ce qui est propre, mais ce n’est pas le cas. Quand on installe des énergies renouvelables, on ne désinstalle pas l’équivalent en énergie fossile, alors qu’il faut totalement se débarrasser de notre dépendance dans les 27 ans qui viennent", alerte le directeur du développement durable de Bouygues. "La vraie question est comment rendre la sobriété désirable et accepter de gagner moins."
Frédérique Lellouche, directrice du Comité 21, explique la radicalité par un "décalage entre une situation connue, qu’on pouvait prédire, et les mesures insuffisantes". Elle pointe néanmoins le risque que les collectifs de désobéissance civile "entraînent avec eux des gens qui ne croient plus à l’action et découragent ceux qui voudraient agir". Ainsi, cela créerait "plutôt de la polarisation que du changement", remarque l’ancienne secrétaire confédérale de la CFDT, soulignant "l’erreur de dire que la jeune génération est radicale et l’ancienne dans l’immobilisme".
attention à la paralysie de l’écoanxiété
Hélène Valade insiste également sur ce risque de "clivage", que l’on voit de plus en plus entre "extrémistes environnementaux et ultralibéralistes". De plus, elle regrette que ces mouvements n’aient "pas de mémoire de ce qui a déjà été fait". "Pour inciter à l’action, il faut arrêter de démoraliser tout le monde, de mettre les gens dans la paralysie de l’écoanxiété. Il faut donner envie d’agir", souligne-t-elle. "Les lois qui arrivent, la CSRD et la loi Agec, sont radicales. Pourrait-on plutôt titiller ceux qui ne vont pas les appliquer ?"
Face à la multiplication des actions activistes, la directrice environnement de LVMH appelle à "ne pas confondre urgence et précipitation" et à "prendre le temps de la réflexion". Elle met en garde à "ne pas se faire imposer un agenda de solutions qui nous conduirait encore plus dans le mur".
"On est toujours le radical de quelqu’un"
Cette crainte de la polarisation et de la paralysie au sein de l’entreprise est aussi mise en avant par Céline Soubranne, directrice ESG d’Axa Investment Managers. "La mission fondamentale d’un responsable RSE est d’aller à la racine du problème mais pas de se mettre en opposition systématique au mode de fonctionnement d’une entreprise ou à ses décisions. Il faut rester le partenaire de jeu des autres fonctions, et les challenger pour trouver les solutions ensemble."
"On est toujours le radical de quelqu’un", témoigne-t-elle. "Quand je rencontre les ONG, elles me trouvent sûrement trop sages. Alors que pour certains interlocuteurs de mon entreprise, je suis limite une activiste."
Céline Soubranne estime que l’action des ONG est positive, fournissant un travail de recherche scientifique et socio-économique "extrêmement utile" et représentant des voix à entendre dans le dialogue avec les parties prenantes. Cependant, elle signale des travers, comme le fait de "devoir sans cesse répondre à toutes les attaques, au lieu de travailler sur les sujets", ou que ce soit "toujours les mêmes secteurs ou mêmes noms qui sont attaqués, ne permettant pas d’adresser les causes écosystémiques des sujets".
sincérité dans l’intention et soutien de la direction
Pour Mikaël Lemarchand, directeur de l’engagement social, territorial et environnemental de la SNCF, et directeur du projet stratégique d’entreprise, "la radicalité du comportement est discutable, il ne s’agit pas de balancer de la sauce tomate sur le costume du directeur financier pour accélérer la transformation écologique de l’entreprise". Pour faire bouger l’entreprise, il faut "une sincérité dans l’intention de changer les choses, qui amène à la radicalité du diagnostic, sans l’amoindrir, même s’il est inconfortable, afin de bousculer l’équilibre en place pour en créer un nouveau".
Par ailleurs, "le soutien de la direction est le premier pas pour se mettre en mouvement, et ne pas être vu comme des activistes qui s’opposent à l’entreprise", ajoute-t-il, se félicitant de la fusion à la SNCF de la direction RSE et avec celle du projet stratégique d’entreprise, désormais liée au Comex.
Dans son livre blanc, l’Orse émet dix "propositions de rupture pour traiter la racine des enjeux et faire bouger le cadre" :
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Sabrina Dourlens,
journaliste