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La candidature de Marie Buisson à la succession de Philippe Martinez à la tête de la CGT "est le fruit d’une vie militante", explique à AEF info, la syndicaliste. Si elle devient secrétaire générale de la CGT en mars prochain lors du 53e congrès de Clermont-Ferrand, Marie Buisson sera la première femme à diriger la confédération, plus de 127 ans après sa création. Mais "cette candidature est avant tout celle d’un dirigeant qui se trouve être une femme", souligne Philippe Martinez, pointant une forme de misogynie persistante au sein de l’organisation. Dans un entretien croisé, Marie Buisson et Philippe Martinez reviennent sur les grands dossiers d’actualité au premier rang desquels figure la réforme des retraites, précisent les enjeux du prochain congrès confédéral et listent les pistes d’action à mobiliser pour que la CGT joue pleinement son rôle d’outil au service du monde du travail.
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Marie Buisson et Philippe Martinez à la CGT, jeudi 5 janvier 2022 jl
AEF info : Dans une interview au Parisien, Olivier Dussopt explique, à l'issue de la série de bilatérales sur les retraites, que "les Français sont plus raisonnables que certains responsables syndicaux et politiques", en ajoutant qu'"il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles". Donc, êtes-vous déraisonnable et prenez-vous les gens pour des imbéciles ?
Philippe Martinez : Ce ne sont pas les organisations syndicales qui prennent les gens pour des imbéciles, c'est Olivier Dussopt qui prend les syndicalistes pour des imbéciles. J'ai pris connaissance de cette interview en sortant du bureau d'Élisabeth Borne dans lequel était Olivier Dussopt. Cela montre la considération qu'ils ont pour les organisations syndicales…
Pour le reste, cela relève de la méthode Coué et cela correspond à la ligne Macron classique consistant à dire que les syndicats sont peu représentatifs et dépassés et qu'il vaut mieux s’adresser directement aux Français. Ce n’est pas nouveau, c’est le cas depuis le début. Il y a eu un petit mouvement de balancier avec beaucoup de réunions à l’issue de la crise des gilets jaunes ou pendant la crise sanitaire, lors desquelles on nous expliquait qu’on était utiles, mais on est revenus à la case départ et l’exécutif considère que les syndicats ne servent à rien.
Sur la réforme des retraites, j’ai eu l’occasion de dire à Élisabeth Borne que, de ce que je voyais dans les sondages, ce n’est pas le mouvement syndical qui est en décalage avec l’opinion publique…
Marie Buisson : La grande majorité des Français est contre le recul de l’âge de départ à la retraite et notamment les jeunes qui voient bien le type de vie professionnelle qu’on leur propose. De plus, l’espérance de vie en bonne santé est autour de 63 ans pour les hommes et le gouvernement décide de mettre l’âge légal au-delà. Et ces 63 ans et quelques ne sont qu’une moyenne, cela signifie qu’il y a beaucoup de gens qui arrivent usés à cet âge-là. C’est pourquoi nous restons sur notre revendication de retraite à 60 ans et il semble qu’une bonne partie des Français soit plutôt d’accord avec cela.
AEF info : La question des sources de financement des retraites n’est pas à l’ordre du jour du gouvernement. Est-ce que vous regrettez ce refus d’instruire la question des cotisations ?
Philippe Martinez : Il y a une vraie bataille idéologique autour de la "dépense publique". Nous refusons tout amalgame entre l’impôt et la cotisation. La réforme est faite pour récupérer de l’argent des cotisations assimilées à des impôts, pour assurer le financement de politiques publiques. Pour nous, une augmentation de la cotisation n’est pas taboue. Des économistes comme Michael Zemmour ont chiffré qu’avec, en moyenne, deux euros de cotisations salariés et quatre euros de cotisations patronales par mois, la question financière n’existe plus.
Plus globalement, il faut mener cette bataille idéologique sur la cotisation qui est du salaire différé et qui permet un système solidaire de protection sociale.
Marie Buisson : Il faut rappeler que le système des retraites est un système à prestations définies : après une vie de travail, on a accès à une retraite et les moyens doivent être mis au service de la solidarité. Et on ne parle pas assez de la place des retraités dans notre société : ils animent la vie associative, ils militent, ils font marcher les solidarités familiales. Pour résumer, ils assurent la solidité du tissu social du pays.
AEF : Que vous évoque le fait que l’ensemble du mouvement syndical est opposé au projet de réforme ?
Philippe Martinez : J’ai dit à Élisabeth Borne qu’elle pourrait mettre sur son CV qu’elle aurait réussi à unifier le mouvement syndical. C’est une performance assez exceptionnelle, cela fait 12 ans que cela n’était pas arrivé. Depuis plusieurs semaines, les dirigeants des principales confédérations prononcent pratiquement les mêmes mots et cette unité syndicale constitue un élément de confiance pour les salariés. Cette unité syndicale, plus fréquemment observée dans les entreprises qu’au niveau confédéral, incite les salariés et les agents à se mobiliser massivement.
AEF info : Que pensez-vous d’un éventuel pari de l’exécutif qui semble miser sur un échec des mobilisations et une incapacité des organisations syndicales à fédérer dans un contexte d’atomisation des oppositions avec les exemples récents des gilets jaunes ou des collectifs ?
Marie Buisson : Ce serait un drôle de pari de la part du gouvernement. Nous ne sommes pas propriétaire de la colère des salariés, mais on voit sur le terrain, qu’il y a des difficultés, de la colère et des revendications portées. On ne ressent pas de résignation sur le terrain et on voit plutôt l’émergence de nombreuses luttes notamment sur le partage des richesses. Et ce sera la même chose sur les retraites.
Philippe Martinez : Sur la question de l’atomisation des conflits, cela fait longtemps que l’on analyse le phénomène. La nature ayant horreur du vide, quand on n’a pas les outils pour se défendre, on se les crée. C’est ce que l’on a observé avec les collectifs de livreurs à vélo qui au fil du temps, se sont tournés vers les organisations syndicales. De même, parmi les gilets jaunes, il y a beaucoup de chômeurs, de retraités ou de salariés qui n’ont pas d’outils syndicaux à proximité. C’est notre responsabilité de bien prendre en compte cet éclatement du monde du travail.
Ce n’est pas le même phénomène pour les contrôleurs de la SNCF. Parmi les 3 500 membres du collectif, il y a beaucoup de syndiqués. Au-delà des effets catastrophiques de la mise en place des CSE sur la proximité avec les travailleuses et les travailleurs, cela pose la question de notre capacité à faire du "cousu main" et ne pas globaliser les revendications. Dans le collectif, il n’y avait pas de remise en cause des organisations syndicales, mais plutôt le besoin de faire apparaître les revendications spécifiques. Ces revendications étaient portées par la CGT, mais on n’a certainement pas suffisamment mis en avant les spécificités de ces métiers.
Plus globalement, on peut se demander si le gouvernement ne sous-estime pas ce qui va se passer. Et quoi qu’il en soit, qu’ils ne nous fassent pas le coup de "la prise en otage des Français", le moins que l’on puisse dire est qu’ils ont été prévenus en avance.
AEF info : Sur ce dossier des retraites, quelle est la porte de sortie acceptable pour la CGT ?
Philippe Martinez : La victoire, ce sera le retrait pur et simple de la réforme. Il n’y a que cela d’envisageable pour nous. Et pas que pour nous, si j’écoute mes homologues syndicaux.
AEF info : Depuis plusieurs mois, la CGT tente de mobiliser sur la question des salaires (lire sur AEF info). Partagez-vous l’analyse selon laquelle cela a du mal à prendre au niveau national ?
Marie Buisson : Il y a des mobilisations dans les entreprises et les administrations sur les salaires et l’approche des NAO le montre. De fait, il est de plus en plus dur de vivre bien de son travail et nous avons dû nous battre pour imposer la question des salaires dans celle du pouvoir d’achat. On s’est notamment battus pour mettre le sujet à l’ordre du jour des campagnes électorales de l’an dernier.
Philippe Martinez. Dans les discussions actuelles sur le partage de la valeur, le patronat nous dit qu’on peut parler de tout sauf de l’augmentation des salaires. Du point de vue syndical, il y a unanimité pour dire qu’il faut en parler. On est là au cœur du combat de classes pour savoir dans quelles poches, va la richesse créée.
Par ailleurs, on commence aussi à imposer dans le débat la question essentielle du travail. C’est difficile à faire émerger médiatiquement et au niveau du ministère, il n’y a rien qui se passe…
AEF info : Les Assises du travail ne servent-elles pas à cela ?
Philippe Martinez : C’est effectivement ce que me rétorque Olivier Dussopt, mais on ne va pas au fond du problème. Par exemple, dans le dossier des retraites, il y a la question de l’emploi des seniors. Pourquoi, dans les entreprises, on vire les seniors et surtout pourquoi partent-ils ? Auparavant, avant de partir à la retraite, un senior veillait à transmettre son savoir-faire à celui ou celle qui lui succédait. Aujourd’hui, ils sont pressés de partir de l’entreprise. Ils ont tellement envie de se barrer qu’ils nous poussent même à signer des accords de départ.
Marie Buisson : Avant, les parents se débrouillaient pour que leurs enfants soient embauchés dans leur boîte. Aujourd’hui, ils disent qu’il faut que leurs enfants trouvent du boulot mais pas dans leur boîte. Lors d’un déplacement, un infirmier se disait inquiet que sa fille veuille devenir aussi infirmière. Idem pour une professeure des écoles. Plus on décale l’image de la mission que l’on a acceptée et les moyens donnés pour la remplir, plus on génère de la souffrance. Cette question du travail est centrale.
AEF info : Fin mars, se tiendra le 53e Congrès confédéral de la CGT à Clermont-Ferrand. Pourquoi, Marie Buisson, êtes-vous candidate à la succession de Philippe Martinez ?
Marie Buisson : Cette candidature est le fruit d’une vie militante. On commence à travailler, on milite puis on est amené à prendre des responsabilités avec des mandats. Ce n’est pas une évolution planifiée de longue date, c’est la succession d’expériences qui amène à cela. Depuis près de quatre ans, je suis dans la direction confédérale qui permet d’avoir une vision plus large du monde du travail et de découvrir des secteurs. Assez naturellement, cela donne envie d’aller plus loin et de travailler à ce collectif.
Ce n’est pas une candidature individuelle, c’est une proposition du secrétaire général sortant qui est ensuite débattue collectivement par la direction confédérale qui, par un vote, m’a accordé sa confiance pour me lancer dans cette aventure militante et collective.
Philippe Martinez : Les primaires sont à la mode dans les partis politiques. Quand je vois les dégâts que cela provoque, je suis convaincu que notre mode de fonctionnement avec une proposition validée par la direction confédérale est le bon système. Je préfère les débats sur les orientations de la confédération à une lutte des places qui déchire l’organisation.
AEF info : Comme en 2009 lors du congrès de Nantes, une candidature alternative à celle proposée par la direction confédérale a émergé. Faut-il que cette candidature ou une autre soit en face de celle de Marie Buisson lors du congrès ?
Philippe Martinez : Il ne serait pas bon qu’il y ait une deuxième candidature au congrès. Encore une fois, ce ne sont pas des primaires, nous avons des critères et la candidature d’Olivier Mateu
Face aux difficultés actuelles, certains camarades ont tendance à se tourner vers le passé. C’était peut-être plus facile dans les années 50, mais la société et le monde du travail n’ont plus rien à voir. Soit on regarde la réalité en face, soit on regarde vers ce passé avec un raisonnement parfois un peu simpliste consistant à dire que si c’était mieux avant, il faut refaire comme avant.
Depuis septembre, j’ai fait une quarantaine de déplacements. Et je n’entends pas les mêmes choses sur le terrain, dans les syndicats, que parfois au CCN (Comité confédéral national). Il faut que nos débats de chefs soient bien le reflet des débats des syndiqués et il faut faire en sorte que le congrès soit représentatif de la réalité de la vie et des débats de nos syndicats. Il faudra peut-être à terme revoir les modalités de mandatement au congrès, mais ça, ce sera le boulot de Marie…
Marie Buisson : La CGT est une des plus grosses organisations en termes d’adhérents et nous avons vocation à conserver l’unité de ce collectif militant très large. L’objectif d’un congrès est de sortir avec une feuille de route portée très majoritairement par les militants. L’enjeu n’est pas de savoir qui va assumer la responsabilité de dirigeant et représenter la CGT, mais de trouver la synthèse la plus juste pour faire avancer ensemble des militantes et des militants qui n’ont pas les mêmes boulots et pas les mêmes conditions de vie, tout en assurant la place de chacun dans le collectif. C’est ce travail de débats et d’amendements qui doit être mené à Clermont-Ferrand.
AEF info : Si vous êtes élue à la tête de la CGT, vous deviendrez la première femme à devenir secrétaire générale de la CGT et une des rares femmes à prendre la tête d’une confédération. Est-ce réellement un sujet ?
Marie Buisson : C’est forcément un sujet, mais ce serait dommage que l’on réduise le mandat à cela. Je suis militante de la CGT depuis 20 ans, j’y exerce des responsabilités et j’y porte mes convictions et c’est pour cela que l’on a fait cette proposition de candidature validée par la commission exécutive. Après, de fait, une femme à la tête de la CGT serait un évènement parce que cela serait la première fois en 127 ans d’existence. Il est temps que cela arrive. L’organisation est pleine de militantes extraordinaires qui ont fait et qui font un travail quotidien de défense des salariés et elles ont toute leur place pour diriger.
Philippe Martinez : Il y a encore une culture misogyne au sein de la CGT, sinon il n’y aurait pas autant de débats sur cette candidature. On ne peut pas mettre l’égalité professionnelle au centre de nos revendications et entendre quand une femme est sur le point d’occuper une responsabilité des questions comme "sera-t-elle à la hauteur ?" ou "qui s’occupera des enfants ?". Il y en a marre de tout cela !
Cette candidature est avant tout celle d’un dirigeant qui se trouve être une femme. Mais c’est aussi l’occasion de mettre en conformité nos paroles et nos actes. Et le combat féministe est aussi un combat de classe. Le fait que les femmes soient moins payées que les hommes est la marque d’une lutte de classes. Il existe dans le pays des sous travailleurs qui sont des travailleuses et le féminisme est un combat syndical.
AEF info : Cycles électoraux après cycles électoraux (lire sur AEF info), la CGT perd du terrain. Comment remédier à ce repli ?
Philippe Martinez : Il faut regarder l’ensemble des élections. Il est vrai qu’à quelques exceptions près comme la RATP ou Thalès, la CGT perd beaucoup dans les grandes boîtes publiques ou privées. Mais on a d’excellents résultats dans des boîtes moyennes. Si la CGT baissait partout, j’accepterais de dire que la ligne confédérale est la mauvaise. J’y reviens, mais il faut être un syndicat qui fait du "cousu main" pour répondre au mieux aux attentes des salariés. On a encore du mal à le faire, en adoptant parfois un angle un peu trop large. Le monde du travail bouge et même si l’on n’est pas d’accord avec les évolutions, il faut s’occuper des travailleuses et des travailleurs.
Marie Buisson : Par exemple, dans le public, il y a des contractuels. La CGT est pour la défense du statut, mais ces contractuels existent et il faut aussi se battre pour leurs droits. Nous sommes contre ces contrats, mais pour le collègue en CDD, le passage en CDI de droit public, c’est de la sécurité. Il faut être pragmatique et faire en sorte que le syndicat soit utile aux travailleurs. Et il est nécessaire de faire des allers-retours permanents entre nos visées de transformation de la société et les réalités du quotidien qui nous obligent à nous adapter.
AEF info : De même, le nombre d’adhérents baisse année après année…
Philippe Martinez : Cette année, avec près de 40 000, on va battre le record du nombre d’adhésions depuis 10 ou 15 ans. La CGT est attractive, mais est-elle structurée pour être accueillante ? Notre structuration date de 1902 et aujourd’hui, il y a des adhérents que l’on ne sait pas où mettre. Nous n’avons jamais eu autant de syndiqués isolés, ce qui est incompatible avec notre conception du syndicalisme : 80 000 syndiqués ne sont pas en lien avec un syndicat.
Marie Buisson : Nous avons fait un gros travail syndical pour accueillir des travailleuses et des travailleurs qui sortent du modèle habituel. Cela a été le cas avec les livreurs à vélo, les aides à domicile qui sont l’archétype des travailleuses devant conquérir des droits ou, dans mon champ fédéral
AEF info : Dans le document d’orientation du congrès est à nouveau posée la question du périmètre des structures de la CGT. Pourquoi remettre ce sujet sur la table ?
Marie Buisson : Cela doit être remis à la réflexion collective. Je crois assez aux logiques expérimentales. Ça a été le cas avec les livreurs à vélo ou les aides à domicile. Et pas mal d’initiatives ont lieu dans les territoires. Les UD sont des lieux de rencontres et d’accueil des salariés. C’est une richesse de l’organisation et il faut leur donner plus de moyens pour assurer ces missions.
Philippe Martinez : Par exemple, nous avons beaucoup d’adhésions d’étudiants salariés. C’est très bien mais généralement, on ne sait pas où les mettre. Une étudiante va faire trois mois à la Fnac puis va chez Carrefour, là, il n’y a pas de problème, elle relève de la fédération du commerce. Mais si elle enchaîne dans un établissement scolaire, là c’est la Ferc, puis chez Renault et c’est la métallurgie. Au final, on ne sait pas où la mettre.
En matière de structuration, les plus gros bougés ont été réalisés dans les organisations territoriales, où il y a eu des fusions d’unions locales pour coller aux bassins d’emplois, même s’ils étaient à cheval sur deux UD. Cela fonctionne quand la CGT met ses structures au service des besoins du monde du travail, et non pas quand ce sont les travailleurs qui doivent s’adapter à la structuration de la CGT.
AEF info : Dans le document d’orientation, il est appelé à "faire vivre une culture du débat à tous les niveaux, du syndicat à la Confédération, permettant à chaque syndiqué de s’exprimer pour dégager une position majoritaire qui s’impose à toutes et tous dans sa mise en œuvre". Pourquoi cette phrase figure dans la feuille de route ?
Philippe Martinez : Il faut revisiter la notion de fédéralisme. Pourquoi le fédéralisme a-t-il été créé ? C’était pour dégager des positions communes entre les bourses du travail et les fédérations. Petit à petit, cette notion s’est transformée en autonomie. C’est-à-dire que certains se disent "OK, la confédération a décidé ça, mais nous, on va faire ça". Cela peut aboutir à des trucs totalement surréalistes avec des statuts d’organisation en contradiction avec les statuts confédéraux… Il faut retrouver le sens du fédéralisme qui a été créé pour créer la cohésion, la cohérence et la convergence des luttes et qui parfois actuellement est utilisé pour justifier la divergence des actions. L’objectif est qu’il y ait des positions communes et que quand des décisions sont prises et votées, celles-ci deviennent la règle pour tout le monde.
Marie Buisson : Tout cela doit se faire avec la culture du débat. Quand on se met autour d’une table, on se rend compte très vite que l’on peut dépasser certaines incompréhensions et oppositions et aboutir à des positions communes. Il y a le temps du débat, puis celui de la décision. Une fois que la décision est prise, on n’a pas à reprendre le débat.
AEF info : Des opposants à la direction confédérale lui reprochent l’initiative de travail avec les associations et ONG au sein du collectif "Plus jamais ça", considérant que les positions de ces partenaires vont à l’encontre de l’intérêt des travailleurs (lire sur AEF info). Que leur répondez-vous ?
Philippe Martinez : Avant toute chose, pour clarifier des choses lues ou entendues, je rappelle que le collectif "Plus jamais ça", j’en suis à l’initiative. Après, nous avons confié à Marie le soin de représenter la CGT au sein du comité de pilotage. À l’origine, c’est faire en sorte que des questions essentielles pour l’avenir du monde du travail, comme l’environnement, ne soient pas uniquement traitées sous l’angle environnemental, mais aussi sous l’angle social. Les questions climatiques ne sont pas des questions uniquement sociétales, elles sont aussi sociales.
Certes, il y a des rancœurs anciennes. Sur le nucléaire, nous assumons des divergences profondes avec Greenpeace par exemple, mais il faut en débattre sereinement et factuellement. C’est bien que la CGT s’ouvre, mais aussi que nos partenaires s’ouvrent. Par exemple, il est utile que Jean-François Julliard de Greenpeace ait pu visiter une usine et rencontrer des travailleurs qui lui ont dit qu’ils ne se foutaient pas de la planète, mais qu’ils tenaient aussi à leur boulot.
Marie Buisson. Les enjeux environnementaux traversent naturellement le monde du travail. Soit on s’en empare et on met la place du travail au cœur de la transition, soit cela se gère sans les travailleuses et les travailleurs et ce sera catastrophique pour eux. Et il ne faut pas oublier que les premières victimes sont bien souvent les travailleurs sur les sites de production. Et ceux-ci ont le plus souvent des propositions et des solutions pour produire mieux.
AEF info : Qu’entendez-vous par "unification du syndicalisme", axe programmatique figurant dans le document d’orientation ?
Philippe Martinez : Cela fait 15 ans qu’il y a un collectif de travail en commun avec la FSU. Bernard Thibault et Gérard Aschieri l’ont initié à l’époque. On en tire un bilan positif et peut-être faut-il aujourd’hui aller plus loin ? La question posée est de savoir s’il ne faut pas aller vers un rassemblement d’une partie du mouvement syndical du pays. Parallèlement, il se trouve que Solidaires a été la première organisation à poser cette question lors de son congrès de 2020 (lire sur AEF info). Évidemment, il y a quelques endroits comme à la SNCF, où cela peut être compliqué. Mais depuis que je suis secrétaire général en 2015, tous les mouvements ont été faits avec la FSU et Solidaires. Plutôt que faire semblant que cela n’existe pas, on pose directement la question au congrès.
Marie Buisson : Il est de notre responsabilité de poser ce débat. Nous ne pouvons pas nous résoudre à cet éclatement du paysage syndical. Par exemple, lors des élections professionnelles au ministère de l’Éducation, il y avait 18 listes. Il est impossible d’expliquer aux agents pourquoi il y a 18 listes… Nous avons face à nous des logiques libérales fortes, puissantes et assez unifiées. Nous devons unifier le monde du travail pour faire face. C’est plus utile de se battre contre les hiérarchies plutôt qu’avec les camarades des autres organisations syndicales.
Dans une déclaration lue à l’issue d’une réunion au siège parisien de Solidaires dans la foulée de la 10e journée de mobilisation contre la réforme des retraites le 28 mars 2023, l’intersyndicale annonce la poursuite des grèves et des manifestations au niveau interprofessionnel avec un nouveau rendez-vous national programmé jeudi 6 avril. Cette décision intervient après la fin de non-recevoir adressée par l’exécutif à la demande de médiation réclamée par les syndicats pour tenter de trouver une issue au conflit dans le dialogue. Avec comme préalable la mise en suspens de la réforme prévoyant le recul de 62 à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite qui fait l’objet de plusieurs recours devant le Conseil constitutionnel. L’intersyndicale continue donc d’afficher son unité alors que, de l’aveu même de Philippe Martinez, une incertitude existe désormais sur la position qu’adoptera la CGT à l’issue de son congrès réuni actuellement à Clermont-Ferrand et devant se solder par le départ du leader de la centrale de Montreuil et la désignation d’une nouvelle direction confédérale.
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Jérôme Lepeytre,
journaliste