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La loi de programmation de la recherche est "un bon début" de réinvestissement, mais "le rythme et la durée sont certainement à revoir" et des mesures sont à "amplifier" pour permettre à la France de "rattraper la concurrence", estime Sylvie Retailleau, présidente de l’université Paris-Saclay, lors d’une audition au Sénat, le 28 avril 2022. Et pour que les universités soient en mesure de contribuer pleinement aux politiques d’innovation, elle affirme que "la décision politique essentielle et urgente est de mettre en place une loi de programmation de l’enseignement supérieur".
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Sylvie Retailleau, présidente de l'université Paris-Saclay. Université Paris-Saclay - Christophe Peus
Auditionnée le 28 avril 2022 par la mission d’information du Sénat sur le sujet "Excellence de la recherche-innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française" (lire sur AEF info), la présidente de l’université Paris-Saclay, Sylvie Retailleau, se dit particulièrement "en phase" avec les points de vue qu’a développés Bruno Sportisse, PDG d’Inria, lors d’une précédente audition (lire sur AEF info).
PARIS-SACLAY NE CONFOND PAS "INNOVATION" ET "VALORISATION"
Elle souscrit ainsi pleinement à l’importance de la "notion d’impact" des politiques de transfert et d’innovation qu’il avait mise en avant, par opposition à la tentation d’y trouver "une source de financement de la recherche". Elle partage de ce fait également l’approche selon laquelle le transfert doit se voir "comme un poste de coûts avant de vouloir en faire une source de recettes".
"À l’université Paris-Saclay, nous parlons de développement économique plutôt que de valorisation de la recherche pour caractériser cette troisième mission de l’ESR" qu’est l’innovation, appuie sa présidente. La gouvernance de l’université reflète bien cette distinction et l’importance qui y est accordée, illustre-t-elle, avec un vice-président chargé du "développement économique", Michel Mariton, et un vice-président chargé de la "recherche et valorisation", Thierry Doré.
L’ÉTAT DOIT FAIRE CONFIANCE À SES OPÉRATEURS
Au-delà du seul exemple de son université, Sylvie Retailleau souligne qu' "une profonde transformation de l’ESRI est en marche", qui a certes "un coût", mais qui surtout "nécessite une responsabilisation des acteurs par l’État". Or cette responsabilisation, défend-elle, "doit être basée sur la confiance que l’État doit accorder à ses opérateurs pour donner une plus grande cohérence aux politiques de recherche, de formation et d’innovation, pour qu’elles convergent vers des objectifs de croissance, d’autonomie et de souveraineté nationale et européenne". Pour le dire très concrètement, traduit-elle, cette confiance suppose "des contrats d’objectifs, de performance et de moyens entre l’État et les opérateurs", comme le demande France Universités (lire sur AEF info).
La présidente de Paris-Saclay retient aussi "l’importance du continuum formation-recherche-innovation" pour la réussite de toute politique de transfert et d’innovation, ainsi que l’ont mise en avant Manuel Tunon de Lara, président de France Universités, et Alain Fuchs, président de l’université PSL, lors de leur audition par la mission sénatoriale, en février dernier (lire sur AEF info). "Ce sont les trois piliers", renchérit Sylvie Retailleau, en rappelant que "le maintien d’une recherche fondamentale d’excellence est un prérequis à une stratégie de recherche partenariale et d’innovation de rupture".
LPR : REVOIR LA DURÉE, AMPLIFIER DES MESURES, ÉVITER LES "USINES À GAZ"
Or si la France "est reconnue" pour sa "recherche d’excellence", comme le rappelle l’intitulé même de la mission sénatoriale, force est de constater "une certaine érosion des résultats de nos recherches, depuis quelques années", tempère-t-elle. Et si "la LPR [loi de programmation de la recherche] est un bon début" de réaction, Sylvie Retailleau estime qu’elle s’étale sur "un temps trop long" pour que l’investissement qu’elle injecte permette à la France de "rattraper la concurrence" : "Le rythme et la durée sont certainement à revoir, avec des mesures à amplifier."
Par ailleurs, elle juge qu’il y aurait des progrès à faire dans "la façon de l’appliquer, quand on voit les usines à gaz qu’on nous a mises". Des exemples ? "On nous parle beaucoup d’attractivité. Les CPJ [chaires de professeur junior], c’est très bien, mais on voit tout de suite la limite des cadrages" (lire sur AEF info). De même, "le Ripec [régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs], c’est très bien, mais on nous demande maintenant qu’il y ait un an de coupure entre deux primes et on nous impose tout un tas de règles" (lire sur AEF info ici et ici).
Ou encore : "Le repyramidage [des emplois] est une machine infernale de rapports à faire, de surcharge de travail des services" (lire sur AEF info). Bref, la mise en œuvre des dispositions de la loi se traduit dans les faits par "une imposition de procédures, de règles et de contraintes qui vont à l’encontre de l’objectif initial d’attractivité et de revalorisation des salaires", déplore Sylvie Retailleau qui, par conséquent, "demande plus d’autonomie RH".
Sylvie Retailleau identifie un autre frein à l’application de certaines dispositions de la LPR, voire à l’autonomie RH des établissements : leur "acceptabilité" au sein des communautés. "Quand vous avez dans un même laboratoire, voire une même équipe, une 'pointure' payée à hauteur des normes internationales et des chercheurs dont le salaire de base n’est pas encore correct, la différence est telle que cela devient non acceptable – et non accepté."
SOUTENIR LES POLITIQUES DE SITE CENTRÉES SUR LES UNIVERSITÉS
Les mutations de l’écosystème de l’ESRI pour lui permettre de mieux contribuer aux politiques d’innovation passent aussi par "des objectifs de décentralisation et d’autonomie sur chaque territoire", indique aussi Sylvie Retailleau, soulignant combien "la notion de proximité est importante". "L’exemple de l’écosystème de l’université Paris-Saclay montre que la présence d’établissements académiques de renom est un élément incitatif pour que les industriels viennent s’installer sur un territoire."
Aussi plaide-t-elle pour "soutenir cette politique de site", à condition que cela se fasse par "une approche bottom-up et centrée sur les universités", dans la mesure où celles-ci "portent la pluridisciplinarité et la diversité sociale", tout en étant "les seules qui peuvent répondre à l’immense enjeu des compétences". La présidente de l’université Paris-Saclay insiste notamment sur l’importance de la formation pour soutenir les politiques d’innovation. "Il faut conforter les formations à l’entrepreneuriat à tous les niveaux, dès la licence. Mais il faut aussi faire évoluer nos formations pour y développer la curiosité, la notion de risque et la capacité d’adaptation à un marché du travail qui évolue de plus en plus vite."
UNE LOI DE PROGRAMMATION DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR EST "ESSENTIELLE" ET "URGENTE"
Elle se dit convaincue que "cette diversité des profils, des disciplines à l’université est vraiment la voie qu’il faut valoriser aujourd’hui pour répondre à une des 'erreurs françaises'" que la mission sénatoriale cherche à identifier pour expliquer la "pénurie de champions industriels". Et pour y parvenir, "clairement, la décision politique essentielle et urgente est de mettre en place une loi de programmation de l’enseignement supérieur en France".
Celle-ci permettrait de "renforcer la capacité des établissements à anticiper les nouveaux métiers, à apporter à la jeunesse les connaissances et compétences nécessaires à une insertion à bac+3, bac+5 et bac+8, et à développer aussi la FTLV [formation tout au long de la vie], clé pour accompagner l’innovation".
La France manque-t-elle de "champions industriels" ? Vue du côté universitaire, cette question inspire à Sylvie Retailleau plusieurs réflexions. La première, c’est que "les laboratoires de recherche travaillent beaucoup avec les industriels, depuis très longtemps", et que le pays compte "de grands groupes remarquables", mais "souvent 'accros' à la subvention publique". La deuxième réflexion est qu’il manque à la France un tissu de PME de croissance et d’ETI comparable à celui de l’Allemagne, et que si "le flux de start-up en lien avec les laboratoires va dans le bon sens", la relation entre les PME-ETI et le monde académique reste encore à "solidifier", notamment à travers "la formation et les étudiants".
La présidente de l’université Paris-Saclay se demande également si la France n’aurait pas intérêt à s’inspirer de la "piste de la consolidation précoce qu’utilisent certains pays, par fusion de petites entreprises". Elle observe par exemple que "les leaders français du laser sont dix fois plus petits que les leaders allemands". Enfin, Sylvie Retailleau trouve que l’ouverture aux industriels des conseils d’administration des universités pourrait trouver une réciprocité féconde : "Pourquoi ne pas mettre des professeurs dans les conseils d’administration des industries ?"
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René-Luc Bénichou,
journaliste