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Annoncé par le candidat Emmanuel Macron et mis en œuvre depuis 2018, le Plan d’investissement dans les compétences a été doté d’un budget de 15 Md€ et affichait des objectifs précis pour le quinquennat : former un million de jeunes peu qualifiés, un million de chômeurs de longue durée supplémentaires et généraliser la Garantie jeunes. Au-delà de ces ambitions initiales, différents projets sont venus s’ajouter que ce soit dans le champ de l’insertion ou pour moderniser le marché de la formation professionnelle, mais aussi en reprenant des chantiers portés précédemment par d’autres acteurs. Aujourd’hui, plus qu’un dispositif, le PIC et le Haut-commissariat aux Compétences qui le porte sont devenus un pivot des politiques de formation professionnelle. Alors qu’il a été prolongé sur 2023, la question de son avenir se pose et avec de forts enjeux politiques, institutionnels et financiers.
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Le ministère du Travail s'est appuyé tout au long du quinquennat sur le Haut-commissariat aux compétences pour piloter le déploiement du PIC alors que les gouvernements précédents disposaient d'un secrétariat d'État dédié à la Formation professionnelle jl
Annoncé par Emmanuel Macron dans son programme pour la présidentielle de 2017, le Plan d’investissement dans les compétences a été formalisé dès septembre de la même année dans le cadre du Grand plan d’investissement décidé par le gouvernement d’Édouard Philippe (lire sur AEF info). Doté sur le quinquennat de 15 Md€, dont 13,9 Md€ sur le champ du ministère du Travail, le PIC représente une des "quatre finalités" du "Grand plan" en visant l’objectif d'"édifier une société des compétences". Plus largement, l’objectif du gouvernement au travers de cette initiative était de donner de la visibilité aux acteurs sur les politiques d’insertion et de formation des demandeurs d’emploi pour éviter les effets de "stop-and-go" constatés avec l’enchaînement des plans successifs de formation de formations supplémentaires des demandeurs d’emploi mis en œuvre entre 2012 et 2017.
Le premier tour de l’élection présidentielle 2022 se tiendra dimanche 10 avril. Durant les deux semaines qui précèdent, la rédaction Social-RH d’AEF info fait le point sur les grands dossiers sociaux en cours : ceux qui ont occupé l’exécutif au cours des cinq années écoulées, ceux qui restent à traiter par la prochaine équipe au pouvoir. Après un retour en 50 dates sur les principaux événements sociaux de la période 2017-2022 (lire sur AEF info), une vingtaine de dépêches passeront au crible les sujets du moment : retraites, droit du travail, formation professionnelle, missions des agents publics, protection sociale complémentaire, lutte contre la pauvreté… Pour compléter ces analyses, vous pouvez également consulter les comparateurs de programme réalisés par AEF info.
Rappel des objectifs du PIC
Les objectifs du PIC ont été posés par l’économiste et architecte du programme d’Emmanuel Macron en 2017, Jean Pisani-Ferry, dans son rapport définissant le Grand plan d’investissement. Globalement, ce plan prévoyait "de former en cinq ans un million de chômeurs peu qualifiés et un million de jeunes peu qualifiés éloignés du marché du travail" via ce dispositif "porté par le ministère du Travail, en coopération avec les régions". Il était également prévu que les actions mises en œuvre dans le cadre du PIC devaient remplir "trois conditions" : "donner priorité à des formations longues et qualifiantes", assortir ces formations d’un "accompagnement individualisé en amont et en aval de la formation" et, enfin, faire s’accompagner le Plan d’investissement "d’une transformation de notre système de formation professionnelle et être doté d’une gouvernance exigeante". Ces deux derniers objectifs ont également été déclinés par la loi "Avenir professionnel" du 5 septembre 2018 avec laquelle le PIC a été "articulé", selon la volonté affichée par Jean Pisani-Ferry.
En plus de l’investissement dans la formation, le PIC devait également permettre "de conforter les suivis intensifs mis en œuvre dans le cadre de la Garantie jeunes [et] d’augmenter de 200 000 sur la durée du quinquennat le nombre de jeunes peu qualifiés accompagnés en vue de leur retour durable vers l’emploi".
Des résultats et des questions
Une des particularités du Plan d’investissement dans les compétences est qu’il a prévu dès le départ un processus d’évaluation indépendant et financé. Un comité scientifique d’évaluation composé de chercheurs a ainsi été installé à l’été 2018, doté d’un budget propre et rattaché à la Dares (lire sur AEF info). Les Hauts-commissaires aux Compétences qui se sont succédé (Estelle Sauvat, Jean-Marie Marx puis Carine Seiler) ont tous mis en avant qu’un des objectifs du PIC avait trait à l’amélioration de l’évaluation des politiques publiques en matière d’emploi et de formation professionnelle. Le pilotage du chantier Agora, le système d’échange unifié de données liées aux politiques emploi-formation, par le Haut-commissariat s’inscrit d’ailleurs dans cette logique.
Dans un rapport remis au ministère du Travail en novembre 2021, le Comité scientifique d’évaluation du PIC a dressé un premier bilan de la mise en œuvre du Plan d’investissement dans les compétences à mi-parcours. Si le Comité souligne à la fois les réussites quantitatives et qualitatives du PIC ainsi que la nécessité de son action, il questionne son impact et pointe la difficulté à faire évoluer l’écosystème de la formation (lire sur AEF info). Un bilan forcément à nuancer du fait de la crise sanitaire du Covid-19 qui a impacté les politiques et pratiques de formation professionnelle et conduit le PIC à intervenir sur un domaine ne relevant, a priori, pas de son champ de compétences, à savoir la rémunération des élèves infirmiers et aides-soignants mobilisés pendant la pandémie.
D’un point de vue quantitatif, le PIC a permis dès 2019 (sa première année de plein effet) de retrouver les niveaux de formation des demandeurs d’emploi constatés en 2016 dans le cadre du "plan 500 000 formations supplémentaires" déployé par le gouvernement précédent. Il s’est également traduit par une augmentation comprise entre 5 % et 11 % du taux d’accès à la formation des demandeurs d’emploi un an après leur inscription à Pôle emploi. De même, il apparaît que le Plan d’investissement a, au moins partiellement, atteint son objectif de faire davantage accéder à la formation les demandeurs d’emploi et les jeunes les moins qualifiés. Un aspect cependant nuancé par le fait qu’il n’y a pas eu de rattrapage pour ces publics par rapport aux demandeurs d’emploi les plus qualifiés (ces derniers ont bénéficié du PIC dans les mêmes proportions que les moins qualifiés).
"Investir massivement dans la formation est un sujet important […] et l’effort qui est fait est absolument essentiel"
Marc Gurgand, président du Comité d’évaluation du PIC
Plus globalement, Marc Gurgand, le président du comité scientifique du plan d’investissement dans les compétences, soulignait lors de la présentation de ce rapport que "l’investissement dans la formation des demandeurs d’emploi est important et utile : Investir massivement dans la formation est un sujet important au même titre qu’investir massivement dans l’éducation et l’effort qui est fait est absolument essentiel." Il concédait toutefois qu’il n’est pas encore possible de mesurer l’effet du PIC sur la valeur ajoutée de la formation des demandeurs d’emploi en France, à la fois parce que c’est "trop tôt" mais aussi en raison des effets de la crise sanitaire qui a percuté sa mise en œuvre en 2020.
Un impact systémique
Au-delà de ces résultats, le PIC a profondément remodelé le paysage institutionnel de la formation des demandeurs d’emploi. Il a renforcé le dialogue État-régions sur le sujet, tant que du point de vue financier que sur la dimension qualitative des interventions. Au-delà du cadrage initial des Pactes régionaux d’investissement dans les compétences, les Pric conclus entre l’État et les conseils régionaux sur 2019-2020, le plan d’investissement a instauré des clauses de revoyure annuelles imposant de faire de la formation professionnelle des demandeurs d’emploi un objet de discussions régulières entre État et régions dans les territoires.
De son côté, le Haut-commissariat aux Compétences a accompagné l’ensemble du secteur de la formation professionnelle fragilisé pendant la crise sanitaire tout en pilotant le chantier de transformation et de modernisation de ce même secteur au travers de l’appel à projets Deffinum (lire sur AEF info). Au fil du quinquennat, le Haut-commissariat aux Compétences s’est par ailleurs imposé comme une sorte de ministère délégué ou secrétariat d’État à la Formation professionnelle qui a accompagné ou piloté des dossiers sans rapport avec le PIC (passeport compétences, Agora, réforme de la VAE…). Au-delà du PIC, se posera donc dans les prochains mois la question des moyens accordés au ministère du Travail et à la DGEFP pour continuer à financer et gérer ces différents dossiers.
Le 1er mars 2022, la Garantie jeunes a été transformée en Contrat d’engagement jeunes (CEJ). Une évolution loin de faire l’unanimité auprès des syndicats du réseau des missions locales (qui gèrait seul la Garantie jeunes jusqu’à présent alors que CEJ sera co-déployé avec Pôle emploi) qui regrettent cette transformation faite sans évaluation du dispositif existant (lire sur AEF info). Cette évolution s’inscrit cependant dans la logique d’accompagnement individualisé intensif prônée au début du PIC.
D’un point de vue quantitatif, faute de bilan officiel, les effets du Plan d’investissement dans les compétences sont difficiles à évaluer. Le tableau de bord des politiques de l’emploi du ministère du Travail permet toutefois de constater une forte progression des entrées avec un doublement entre 2017 (81 473 entrées) et 2021 (170 912), sachant que le gouvernement a revu ses objectifs d’entrées dans le dispositif à la hausse en mobilisant des moyens supplémentaires dans le cadre du plan de relance pour répondre aux conséquences économiques de la crise sanitaire.
Des décisions rapides à prendre
De fait, le PIC est intrinsèquement associé au quinquennat 2017-2022 d’Emmanuel Macron. Toutefois, le prochain gouvernement devra obligatoirement et rapidement se prononcer sur les suites qui lui seront données, qu’il s’agisse de le prolonger, de le transformer ou de le supprimer. En effet, tant le constat que les politiques de "stop-and-go" en matière de formation des demandeurs d’emploi ont des conséquences négatives sur le processus de retour à l’emploi, que l’impact structurant qu’a eu le PIC sur ces politiques, que ce soient du point de vue financier comme institutionnel, rendent nécessaire de poser un cadre pour la suite.
Pour éviter l’écueil du "stop-and-go", le gouvernement de Jean Castex a préparé cette période de transition en prolongeant le PIC sur l’année 2023, mais sans préciser la manière dont sera financée cette année supplémentaire du volet territorial du Plan d’investissement dans les compétences. De fait, la première urgence sera de clarifier le financement du PIC et plus largement de la formation des demandeurs d’emploi, à court terme dans un premier temps, mais aussi de manière plus structurelle. Un débat qui s’imbrique forcément dans celui, plus large, du financement global du système de formation professionnelle sur lequel va devoir se pencher le prochain exécutif et qui va aussi concerner les partenaires sociaux et les régions (lire sur AEF info).
Quel financement pour la formation des chômeurs ?
Depuis 2019, le PIC est financé par un fonds de concours prélevé sur le budget de France compétences pour des montants qui ont évolué de 1,53 Md€ en 2019 à 1,68 Md€ en 2022 (lire sur AEF info). Cette "technique" comptable a été critiquée par la Cour des comptes qui considère qu’elle s’apparente à un financement de dépenses de l’État par des ressources extrabudgétaires. Si cette solution du fonds de concours prélevé sur France compétences était maintenue en 2023, il faudra que le prochain PLF (projet de loi de finances) le prévoie.
De leur coté, les partenaires sociaux questionnent depuis plusieurs mois la légitimité de faire financer le PIC par France compétences et donc par la contribution des entreprises à la formation continue de leurs salariés. Pour le patronat, c’est le principe même de ce financement qui est critiqué. Les organisations syndicales souhaiteraient, elles, que soit diminué le volume de financement des demandeurs d’emploi par les ressources dévolues à l’origine aux salariés. Une critique qui, loin d’être rejetée, semble avoir été entendue par Élisabeth Borne, la ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion. Se pose donc la question de savoir si France compétences doit continuer à financer la formation des demandeurs d’emploi et à quel niveau. S’il faut trouver de l’ordre de 1,5 Md€ par an en plus des ressources à dégager pour l’apprentissage et du CPF, l’équation du financement du système de formation professionnelle sera d’autant plus difficile à résoudre. À charge pour le futur gouvernement de trancher cette question et, éventuellement de trouver une nouvelle source de financement, dans le budget de l’État, pour la formation des demandeurs d’emploi si le niveau d’investissement sur cette dernière est maintenu.
Un impact possible pour les entreprises et les régions
Le gouvernement n’est pas le seul acteur concerné par les discussions sur le financement de la formation des demandeurs d’emploi. Le niveau d’investissement des employeurs devrait également être questionné et ce pour deux raisons. D’une part, la formation des demandeurs d’emploi a vocation à répondre aux besoins des entreprises et donc de former de futurs salariés à leur bénéfice. D’autre part, les organisations représentatives d’employeurs souhaitent réduire ou supprimer le financement du PIC par France compétences pour dégager des ressources pour d’autres types de formations au profit des salariés, ce qui questionne en creux le niveau d’investissement des entreprises en la matière. Un débat qui s’inscrit par ailleurs dans le contexte post-loi "Avenir professionnel" qui a clarifié le statut fiscal de la contribution unique à la formation professionnelle et à l’alternance (Cufpa), mettant ainsi fin à près de 50 ans de tergiversations sur le sujet.
De même, le PIC a institué un processus de cofinancement territorialisé de la formation des demandeurs d’emploi au travers des Pactes régionaux d’investissement dans les compétences (Pric). Un système qui s’est construit sur l’obligation faite aux régions de maintenir (a minima) leur investissement de 2017 sur cette thématique, ce qui a été fait à l’exception des régions Aura (lire sur AEF info) et Paca (après des allers-retours, La Réunion a réintégré le dispositif en 2022, lire sur AEF info). Les suites données au PIC et à ses déclinaisons régionales auront donc un impact pour les régions qui pourraient retrouver une liberté de manœuvre sur leur budget "Formation professionnelle", mais en perdant le co-investissement de l’État, ou se retrouver contraintes à maintenir un investissement élevé.
Quel pilotage ?
Le maintien ou non du PIC pose la question de la gouvernance politique et financière de la formation des demandeurs d’emploi. Du côté de l’État, ce plan d’investissement a permis d’élargir la prise de décision opérationnelle sur ce sujet au-delà du seul Pôle emploi en donnant la main au Haut-commissariat aux Compétences, et donc plus directement au ministère du Travail, dans un cadre des contractualisations avec les régions. Alors que ces dernières ont vu leurs ambitions sur un pilotage plus large du SPE (service public de l’emploi) lors de l’adoption de la loi 3DS, il sera intéressant de voir la place qui leur sera faite dans le prochain système. La proposition d’Emmanuel Macron de transformer Pôle emploi en "France travail" pour en faire un opérateur de l’accompagnement des demandeurs d’emploi rassemblant l’ensemble des parties prenantes (services de l’État, collectivités…) peut préfigurer une possible évolution en cas de réélection de l’actuel président.
Au-delà de ce sujet de la formation des demandeurs d’emploi, va également se poser la question de l’accompagnement de la transformation du marché de la formation professionnelle. Si le chantier a bien été lancé, il est encore loin d’être abouti et ce marché manque certainement de maturité pour mener à bien cette démarche seul. En novembre 2021, Marc Gurgand estimait qu’il faudra du temps pour avancer sur ce sujet de la transformation des pratiques pédagogiques en formation professionnelle. "L’ambition de faire évoluer en profondeur le système de formation est forte, mais elle doit s’inscrire et s’évaluer dans la durée. Cette dynamique a démarré mais a été perturbée par la crise sanitaire et il faudra du recul pour apprécier d’éventuelles transformations en profondeur du système."
Plus largement, le PIC a porté ou porte toujours des politiques variées, dont une partie (le Contrat d’engagement jeune qui a succédé à la Garantie Jeunes) pourrait avoir vocation à être gérée à l’avenir en dehors du cadre d’un plan d’investissement. En outre, le plan d’investissement s’est traduit par le lancement d’un certain nombre d’appels à projets nationaux (prépa-compétences, prépa-apprentissages, repérage des "invisibles", soutien à l’IAE…). Leur poursuite et, le cas échéant leur pilotage, devra aussi être arbitrée rapidement.
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Christophe Marty,
journaliste