En plus des cookies strictement nécessaires au fonctionnement du site, le groupe AEF info et ses partenaires utilisent des cookies ou des technologies similaires nécessitant votre consentement.
Avant de continuer votre navigation sur ce site, nous vous proposons de choisir les fonctionnalités dont vous souhaitez bénéficier ou non :
Après avoir dévoilé ses propositions pour la présidentielle en janvier, France Universités continue d’y travailler pour "avoir des mesures opérationnelles à transmettre au futur gouvernement", indique le bureau dans un entretien à AEF info début mars 2022, dans lequel il dit aussi regretter "l’impasse" faite sur l’ESR par les candidats. S’ils saluent des mesures courageuses prises par Frédérique Vidal durant la 1re partie du quinquennat, Manuel Tunon de Lara, Guillaume Gellé et Virginie Dupont jugent la 2e partie "décevante", "avec des atteintes régulières portées, de près ou de loin, à l’autonomie des universités", traduisant un manque de confiance. Quant aux relations universités-organismes, ils souhaitent qu’elles soient traitées "assez vite" pour clarifier le rôle de chacun et estimeraient "normal que la prochaine feuille de route du CNRS soit partagée avec les universités".
Cette dépêche est en accès libre.
Retrouvez tous nos contenus sur la même thématique.
Virginie Dupont, Manuel Tunon de Lara et Guillaume Gellé, bureau de France Universités. Droits réservés - DR
AEF info : Vous avez présenté en janvier dernier vos propositions à l’attention des candidats à l’élection présidentielle et aux législatives. Quelles suites allez-vous y donner ?
Manuel Tunon de Lara : Nous discutons avec les candidats et leurs équipes et les accueillons en ce moment à France Universités. Chaque candidat choisit le cadre dans lequel il souhaite intervenir : CA, plénière, ouvert ou non à la presse, etc. Yannick Jadot et Valérie Pécresse sont venus nous voir. Nous attendons Anne Hidalgo. Emmanuel Macron s’est exprimé sur l’ESR lors de notre congrès de janvier dernier, avant d’être candidat. Et nous avons remarqué qu’il avait déjà saisi quelques-unes de nos pistes qui sont revenues lors de la présentation de son programme.
Aujourd’hui, nous travaillons à instruire chacune de nos propositions budgétairement, juridiquement et politiquement pour identifier des pistes sur le financement, à analyser les impacts directs et leur acceptabilité. L’objectif est d’avoir des mesures opérationnelles à transmettre au futur gouvernement. Dans cette perspective, nous souhaitons travailler avec nos partenaires, notamment les dirigeants des organismes de recherche.
Virginie Dupont : De manière générale, nous observons que la situation internationale bouscule la campagne, et que les équipes des candidats sont malheureusement très éloignées des sujets qui touchent à l’enseignement supérieur et à la recherche. Si certaines mettent en avant des priorités comme l’éducation, la jeunesse ou encore la réussite industrielle et économique, ils font l’impasse sur l’ESR. Les candidats sont rarement au fait de l’université. Leur méconnaissance de l’environnement induit une absence de position dans leur discours et une absence de débat avec les citoyens autour de ce sujet. C’est paradoxal lorsqu’on sait que l’université conditionne l’avenir d’une grande partie de la jeunesse !
AEF info : En cette fin de quinquennat, quel bilan tirez-vous de l’action de Frédérique Vidal au MESRI ?
"La deuxième partie de ce quinquennat, à partir de la mise en œuvre de la LPR, a été plus décevante, très centralement administrée, avec des atteintes régulières portées à l’autonomie des universités."
Manuel Tunon de Lara
Manuel Tunon de Lara : Tout d’abord, avoir gardé la même ministre sur les cinq années est exceptionnel. Je dirais qu’il y a eu deux temps durant ce quinquennat. D’abord, une approche pragmatique, marquée par la construction de nouvelles réformes, avec des mesures courageuses sur un certain nombre de dossiers : un investissement important dans la recherche avec la LPR ; une réforme de l’accès au premier cycle avec la loi ORE et la mise en place de Parcoursup ; ou encore la mise en place des établissements publics expérimentaux.
La deuxième partie de ce quinquennat, à partir de la mise en œuvre de la LPR, a été plus décevante, très centralement administrée, avec des atteintes régulières portées, de près ou de loin, à l’autonomie des universités qui ne semblait plus être une préoccupation pour la ministre ou son cabinet.
Virginie Dupont : Durant la deuxième partie du quinquennat, l’autonomie a en effet été malmenée et tous les objets RH ont été très difficiles à mettre en œuvre. Il y a eu un décalage permanent entre le discours politique et la réalité sur le terrain. L’administration centrale, et notamment la DGRH, a été trop intrusive dans la gestion de nos établissements. Le contraire de l’autonomie ! Pour prendre un exemple concret : une circulaire parue mi-février nous demande de lui envoyer tous les entretiens professionnels des Biatss… C’est une façon implicite de nous dire qu’ils n’ont aucune confiance en nous.
Guillaume Gellé : Pourtant, la période du Covid a été une révélation pour les établissements d’enseignement supérieur et une mise à l’épreuve plutôt réussie de leur autonomie. Ils se sont relevé les manches face à la crise et ont été sur tous les fronts, dans une vraie logique de responsabilité et de partenariat privilégié avec la Dgesip pour rapidement faire face à la situation, même s’il a fallu l’intervention directe du Premier ministre ou du président de la République pour la mise en place de certaines mesures.
AEF info : Que pensez-vous de la proposition de Jean-Pierre Korolitski suggérant aux universités de "n’accueillir au plus qu’un nombre d’étudiants fixé en référence au ratio moyen 'ressources par étudiant' de l’OCDE" (lire sur AEF info). Certaines universités commencent d’ailleurs à réduire leurs capacités d’accueil, faute de moyens suffisants. Êtes-vous sensibles à ce discours ?
"Seules les universités sont en capacité d’apprécier le nombre d’étudiants qu’elles peuvent accueillir."
Guillaume Gellé
Guillaume Gellé : La proposition est intéressante et nous partageons le constat qu’il faut non seulement mettre fin à la dégradation des financements dédiés à l’accueil des étudiants, mais aussi revenir rapidement à des niveaux acceptables. C’est d’ailleurs pour cela que France Universités demande une loi de programmation de l’enseignement supérieur. Malheureusement, en pratique, les choses ne se passent pas tout à fait de cette manière, puisqu’avec la réglementation actuelle, le recteur a le dernier mot sur les capacités d’accueil, alors que les situations varient d’une filière à l’autre et d’une université à l’autre : certaines formations sont fortement en tension et d’autres beaucoup moins. Seules les universités sont en capacité d’apprécier le nombre d’étudiants qu’elles peuvent accueillir.
Il faut également différencier la question de l’accès à l’enseignement supérieur, où les universités ont la mission d’accueillir les lycéens le mieux possible, de celle de la poursuite d’études en deuxième cycle sélectif. Nous aimerions que le caractère sélectif des masters soit pleinement assumé et non pas contesté par le droit à la poursuite d’études après la licence. Pour sortir de cette impasse, il faut mieux professionnaliser le premier cycle tout en donnant aux candidats n’ayant pas pu y accéder en formation initiale une deuxième chance pour l’accès en master dans le cadre de la formation tout au long de la vie.
Manuel Tunon de Lara : Oui, la professionnalisation du premier cycle doit être renforcée, ce qui n’est pas incompatible avec l’excellence des formations et l’adossement à la recherche. Par ailleurs, nous sommes confrontés à des vœux des lycéens qui se concentrent toujours sur les mêmes filières (Staps, psycho, santé, droit), ce qui provoque des tensions dans les effectifs. Or, les établissements n’ont pas la capacité d’accueillir tous ces publics dans de bonnes conditions, l’encadrement étant très en deçà de ce qu’il devrait être. Le récent rapport du Conseil d’analyse économique le montre : les moyens et le taux d’encadrement ont un impact direct sur la réussite étudiante.
"Il faut travailler à un véritable modèle économique car ce type de financement [des places] au coup par coup ne permet pas de faire de la prospective, de recruter des titulaires ni d’améliorer durablement le taux d’encadrement."
Virginie Dupont
Le sujet a d’ailleurs été abordé par Emmanuel Macron, lors de notre congrès lorsqu’il a pointé du doigt le fait que notre système reçoit des financements publics avec un système de bourses pour un tiers des étudiants, mais qu’il ne permet pourtant pas à la majorité des étudiants de réussir.
Enfin, si une meilleure professionnalisation du premier cycle est attendue, une forme de régulation est nécessaire pour ces filières d’entrée à l’université qui doivent être mises en cohérence avec les besoins du pays en termes de métiers et de compétences.
Virginie Dupont : Concernant le financement des places supplémentaires, c’est une négociation sous forme de marchandage. Le ministère nous a concédé un financement de la place à 1 200 €, puis à 3 000 € pour monter jusqu’à… 4 000 € ; ce qui est encore très loin du coût réel. Il faut travailler à un véritable modèle économique car ce type de financement au coup par coup ne permet pas de faire de la prospective, de recruter des titulaires ni d’améliorer durablement le taux d’encadrement.
Guillaume Gellé : Dans le discours, tout le monde semble d’accord : le président de la République et le Premier ministre l’ont évoqué devant nous, le CAE et la Cour des comptes ont donné des arguments… Tout le monde a conscience qu’il y va de l’avenir du pays. Mais dans les faits, nous aimerions que l’État aille au bout de sa démarche. Si on veut réindustrialiser le pays, développer de nouveaux métiers, devancer les transitions, avoir un projet pour la santé, il faut investir dans la formation, car il s’agit bien d’un investissement.
AEF info : Estimez-vous que, durant ce quinquennat, l’image des universités a évolué positivement ?
Manuel Tunon de Lara : Les enquêtes faites auprès du grand public ont montré une bonne image de l’université, y compris celles faites auprès de décideurs et de chefs d’entreprise. Dans le milieu politique, des clichés persistent parfois. Les difficultés de gestion des établissements sont un a priori qui a la vie dure. Or, la réalité est toute autre et les universités sont des opérateurs de l’État plutôt bien gérés. Bercy a récemment salué la bonne exécution du plan de relance, dans lequel les universités ont su se saisir de leurs prérogatives. La période Covid a elle aussi révélé la capacité d’adaptation des établissements dans la gestion d’une telle crise sanitaire.
Guillaume Gellé : Je crois que notre image évolue petit à petit. Il y a beaucoup de méconnaissance de l’ESR et cela changera au fur et à mesure que de plus en plus de diplômés de l’université parviendront aux responsabilités dans les plus hautes sphères du pouvoir. On observe, sous l’influence de l’Europe et de l’international, une meilleure reconnaissance du doctorat dans l’appareil d’État et nous espérons que la transformation de l’ENA en INSP amplifiera le mouvement.
AEF info : Lors de votre dernier congrès, vous avez ouvert plusieurs fronts potentiels avec les organismes sur la recherche, avec les Crous sur la vie étudiante, avec la communauté universitaire sur les sujets RH… Faut-il tous les ouvrir en même temps, ou y en a-t-il des plus prioritaires que d’autres ?
Virginie Dupont : Tous ces chantiers doivent être ouverts mais il faut les séquencer dans le temps, c’est pour cela que nous demandons une deuxième loi de programmation orientée sur l’université qui viendrait compléter la LPR.
"La question de la relation avec les organismes de recherche doit être traitée assez vite ne serait-ce que pour clarifier le rôle de chacun et ne pas laisser s’installer une forme de mauvaise rivalité qui existe parfois aujourd’hui et qui n’a aucun sens."
Manuel Tunon de Lara
Guillaume Gellé : La priorité est avant tout d’initier, et ce dès le début du prochain mandat, un dialogue avec les universités, pour établir des contrats d’objectifs et de moyens pluriannuels adaptés à chaque établissement, en ayant à l’esprit la question de la différenciation entre établissements. Tous ne sont pas tenus en effet d’avancer au même rythme. Il faut également clarifier ce que l’on attend des politiques de site et confier aux universités, seules en capacité de le faire, la coordination de certaines actions à l’échelle de leur territoire. Cela suppose également de renforcer le dialogue stratégique et de gestion.
Manuel Tunon de Lara : La question de la relation avec les organismes de recherche doit être traitée assez vite ne serait-ce que pour clarifier le rôle de chacun et ne pas laisser s’installer une forme de mauvaise rivalité qui existe parfois aujourd’hui et qui n’a aucun sens. Avec la LPR, nous avons manqué cette occasion, le chantier n’a pas été ouvert. Les universités et les organismes sont en effet indissociables, il en va de l’excellence de notre recherche mais ils ne se sont pas réformés au même rythme ces dernières années. Lors de notre congrès, nous avons proposé qu’une réflexion ait lieu pour chacun des organismes, qui ont tous des problématiques spécifiques. Celle-ci prendra du temps, mais elle est nécessaire. On pourrait s’inspirer de ce qui se fait à l’étranger sans ignorer pour autant nos forces et nos spécificités mais le fonctionnement français doit être à la fois simplifié et plus mutualisé pour être plus fort et plus compétitif.
AEF info : Est-ce que les ouvertures faites par Antoine Petit sur la délégation de gestion des UMR et sur le fait que le CNRS puisse devenir tutelle secondaire, vont dans le sens de ce que vous souhaitez ?
"il nous semblerait normal que la prochaine feuille de route du CNRS soit partagée avec les universités."
Manuel Tunon de Lara
Manuel Tunon de Lara : Antoine Petit fait un certain nombre de constats que nous partageons, et nous discuterons avec lui des propositions qu’il a en tête. Une chose est sûre, le fonctionnement actuel n’est pas satisfaisant et crée des tensions entre le CNRS et les universités. Les difficultés de gestion des UMR y contribuent mais cela ne résume pas les choses. Il y a une question d’état d’esprit, aussi d’orientations données par l’État, et il nous semblerait normal que la prochaine feuille de route du CNRS soit partagée avec les universités.
Nous avons besoin des universités et des organismes pour relever les grands défis sociétaux auxquels nous sommes confrontés. Pour ce faire, une programmation des financements de la recherche est nécessaire. C’est ce que l’État a commencé à faire en leur confiant le pilotage des PEPR. L’ambition internationale doit aussi être plus forte et ne doit pas entraîner une compétition entre établissements et organismes, par exemple sur les ERC ou les Hici researchers. Une différenciation des indicateurs de performance des organismes et des universités pour clarifier la stratégie de chacun pourrait être une piste…
AEF info : L’actualité des dernières semaines a été marquée par l’accord donné à TSE par le ministère de prendre le statut de grand établissement. Quelle est votre réaction sur ce dossier qui concerne l’un de vos membres, Toulouse-I ?
Manuel Tunon de Lara : Avant la lettre de la ministre en réponse au président Hugues Kenfack, le ministère ne s’était pas exprimé officiellement. Nous n’avons appris cela que par voie de presse et à travers la réaction de Toulouse-I qui nous a saisis sur la question. Son président a posé des questions précises à Frédérique Vidal sur le calendrier, le périmètre et le fondement juridique de cette décision. Tel qu’il a été conduit jusqu’ici, ce projet est un pied de nez à leur autonomie, il fragilise le rôle de leurs instances délibératives et entre en contradiction avec dix années de politique de l’État pour la simplification du paysage de l’ESRI.
Virginie Dupont : La réponse de la ministre semble proposer la création d’un établissement expérimental pour pouvoir donner la personnalité juridique à la composante TSE, nous n’avions pas compris que le dispositif d’EPE devait aller dans ce sens ! Par ailleurs, le timing de cette intervention, en pleines délibérations du jury de l’AAP "Excellences", est particulièrement malvenu.
Guillaume Gellé : Pour France Universités, le bon niveau d’échange est celui des établissements même si nous sommes favorables à accompagner et développer nos viviers d’excellence.
Vous souhaitez contacter
Camille Cordonnier,
journaliste