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Pour faire émerger les futurs "champions industriels", il faut "mettre le paquet sur la recherche", déclarent Manuel Tunon de Lara, président de France Universités, et Alain Fuchs, président de l’université PSL, auditionnés au Sénat le 23 février 2022. Mettant en avant les forces des universités que sont la recherche, la formation, l’ancrage territorial et leurs "campus d’innovation", ils plaident pour que les Satt soient "intégrées" aux universités. France Universités appelle aussi à "clarifier" les rôles entre les acteurs de la recherche publique, et à simplifier le fonctionnement des UMR.
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Alain Fuchs, président de l'université PSL, et Manuel Tunon de Lara, président de France Universités, auditionnés au Sénat le 23 février 2022 par la mission d'information "Excellence de la recherche-innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l'erreur française". Droits réservés - DR - Sénat
En matière de politique d’innovation, l’une des "erreurs françaises" est déjà d’accumuler les rapports sur le sujet, contenant "de manière assez récurrente des recommandations qui depuis longtemps ne sont pas prises en compte", fait observer Manuel Tunon de Lara, président de France Universités, lors d’une audition par la mission d’information sénatoriale "Excellence de la recherche-innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française" (lire sur AEF info), le 23 février 2022, en compagnie d’Alain Fuchs, président de l’université PSL.
POURQUOI INTERPOSER DES OBJETS ENTRE L’UNIVERSITÉ ET L’ENTREPRISE ?
Une autre "erreur", ou tout au moins une "difficulté", c’est que "l’innovation est considérée en France comme un centre de ressources et pas comme un centre de dépenses", poursuit-il, s’appuyant sur l’exemple des Satt (sociétés d’accélération du transfert de technologie), créées avec au départ l’objectif de "faire du bénéfice" pour pouvoir s’autofinancer, avant que l’État finisse par "relâcher" la pression sur cet objectif qui ne les incitait pas à "prendre des risques énormes", rappelle Alain Fuchs.
À propos des Satt, d’ailleurs, poursuivant la pensée de Didier Roux, de l’Académie des sciences, auditionné lui aussi par la mission sénatoriale (lire sur AEF info), Alain Fuchs estime que l’inconvénient de ces structures, comme des IRT, ITE ou IHU, est "de se situer entre les universitaires et le monde socio-économique". "On a mis les Satt au milieu, pour faire le travail que les universités auraient dû faire […] alors que, comme le remarquait Suzanne Berger, du MIT, dans un rapport remis à Thierry Mandon il y a quelques années, ce qu’il eût fallu faire, c’est enrichir l’interface directe entre ces milieux, accroître la porosité entre eux" (lire sur AEF info).
LES SATT DÉPENDENT DE LEUR ENVIRONNEMENT ACADÉMIQUE
De fait, France Universités remet en question le choix qui a été fait par l’État d' "interposer des objets entre le milieu de l’entreprise et de l’université, au lieu de faire entrer l’entreprise à l’université pour assurer ces mêmes fonctions" de valorisation. Manuel Tunon de Lara exprime le souhait que les Satt soient maintenant "intégrées" aux universités, qui en sont "les actionnaires" aux côtés d’écoles, d’organismes et de l’État. "Les universités, ce sont les Satt", souligne-t-il.
Tout en saluant des dispositifs du PIA qui ont été "très structurants" et sont de "pleines réussites" tels que les idex, les labex et les équipex, le président de France Universités n’en considère pas moins que "certains d’entre eux ont été pensés comme si c’était des structures autonomes qui allaient pouvoir se financer au cours du temps". Outre le fait d’avoir doté ces nouveaux objets de la "personnalité morale", ce qui "complexifie" encore le paysage, il estime que cette autonomie "n’est pas la réalité". "La réalité, c’est que le devenir de ces structures dépend très souvent de leur environnement académique."
PSL A UNE STRUCTURE DE VALORISATION INTERNE QUI N’EST PAS UNE SATT
Laure Darcos, sénatrice Les Républicains de l’Essonne, avoue avoir "un peu de mal à suivre" ce raisonnement, se demandant notamment "comment les universités peuvent continuer à suivre les start-up […] sans passer par cet outil" que sont les Satt. "C’est peut-être une caricature, mais on a toujours l’impression que les universités sont de grandes instances compliquées."
"Toutes les grandes universités internationales qui sont des universités de recherche et qui font de la valorisation ont en leur sein une structure de valorisation qui fait partie de l’université. Il n’y a pas de raison qu’on ne soit pas capable de faire pareil", répond Alain Fuchs. C’est le cas dans sa propre université, illustre-t-il : "On a une cellule de valorisation qui n’est pas une Satt et je peux vous dire qu’elle fonctionne extrêmement bien. […] Nous allons directement chercher dans nos laboratoires les technologies naissantes qui sont ensuite susceptibles d’être prématurées, maturées, etc. C’est parfaitement possible" (lire sur AEF info).
"Les Satt existent : on ne va pas les supprimer", tempère-t-il aussi, reconnaissant que "certaines fonctionnent plutôt bien" et que la question de "l’intégration de la Satt dans l’université comme un service universitaire" se pose plutôt pour les "endroits" qui fonctionnent moins bien.
RECHERCHE, FORMATION, "CAMPUS D’INNOVATION" : LES 3 FORCES DES UNIVERSITÉS
S’agissant du rôle des universités dans l’écosystème de l’innovation, Manuel Tunon de Lara explique qu’elles peuvent proposer "trois choses essentielles". La première est "la relation à l’entreprise" en matière de recherche partenariale, empruntant la voie de plusieurs dispositifs existants comme les Labcoms, les chaires industrielles ou les Instituts Carnot. La formation "adossée à la recherche" qu’offre l’université est aussi l’une de ses "forces" dans la relation avec les entreprises, ajoute le président de France Universités, d’autant que dans le contexte de France 2030 se profilent des "intérêts convergents" avec les entreprises autour des "anticipations" à faire sur de "nouveaux métiers".
La troisième "force" proposée par l’université à l’entreprise est celle du "campus d’innovation". Manuel Tunon de Lara explique en effet que les universités "concentrent une grande partie des laboratoires de recherche", "une grande partie des infrastructures", "réunissent les différents acteurs" sur un site, ainsi que "des dispositifs de partenariat avec les entreprises" et "ont un ancrage territorial qui est de plus en plus organisé, […] tout en ayant une tête à l’international".
Pour le président de l’université PSL, qui fait partie des universités de recherche intensive membres de l’association Udice (lire sur AEF info), les politiques de transfert de connaissances et d’innovation "sont fondées sur deux illusions tenaces" : "La première est que l’invention et l’innovation se décrètent. Il suffit de fixer des priorités par le haut, de mettre de l’argent – parfois beaucoup – pour que les changements de culture, de mentalité s’opèrent. C’est une première illusion." La deuxième "illusion", poursuit-il, est que ces politiques peuvent "se faire vite, typiquement dans la durée d’un mandat électif de quelques années".
Quant aux priorités retenues par le plan France 2030 (lire sur AEF info), telles que l’hydrogène ou le quantique, Alain Fuchs y voit surtout "un effort de rattrapage" et non une "démarche conquérante". "Il n’est certes pas question d’abandonner ces programmes de rattrapage en R&D, c’est nécessaire. Mais si nous voulons devenir le n° 1 dans les domaines porteurs de l’innovation et de la technologie", qui "n’existent pas encore pour la plupart d’entre eux", alors "il faut favoriser les avantages compétitifs longs et donc mettre le paquet sur la recherche".
CLARIFIER QUI FAIT LA STRATÉGIE, QUI FINANCE, QUI PROGRAMME ET QUI RÉALISE
Manuel Tunon de Lara évoque enfin l’organisation du système de recherche français parmi les "réflexions" que lui inspire le paradoxe soulevé par la mission d’information sénatoriale, entre d’un côté une recherche d’excellence et de l’autre une difficulté à en transformer les résultats en "champions industriels". "Je pense qu’on a laissé s’installer une organisation de la recherche qui est complexe, qui n’a pas une stratégie très claire ou, en tout cas, qui n’est pas claire pour chacun des opérateurs."
Le rôle exact de ces opérateurs mérite selon lui d’être clarifié : "Qui fait la stratégie et l’orientation stratégique nationale ? Qui finance ? Qui programme ? Qui réalise ?" Pour le président de France Universités, cette clarification est "essentielle". Or il observe que des organismes de recherche se retrouvent "souvent aux trois étages" que sont la stratégie, la programmation et la réalisation.
CROISER LE NATIONAL ET LE LOCAL : L’EXEMPLE D’INRIA
Pour ce qui est des organismes "thématiques", Manuel Tunon de Lara fait remarquer que certains "ont des plans stratégiques extrêmement aboutis qui servent les intérêts du pays, que l’on doit décliner au niveau des universités" où se trouvent les laboratoires et les chercheurs et enseignants-chercheurs. "Il faut que l’on organise, que l’on clarifie et que l’on rende cette collaboration la plus opérationnelle possible avec une organisation nationale qui croise une organisation locale", indique-t-il, estimant que "ce doit être fait au cas par cas, en fonction des organismes".
C’est ce qui s’est fait avec Inria, précise-t-il. Cet organisme "a un plan stratégique qui est bien défini" et a identifié "les quelques universités dans lesquelles il souhaite implanter des instituts pour décliner ce plan. Il a donc mis en place des instituts Inria de telle ou telle université pour arriver à ses objectifs", explique le président de France Universités (lire sur AEF info). "Il est vraisemblable que ceci puisse être fait avec d’autres organismes thématiques."
GESTION DES UMR : "UN SEUL GESTIONNAIRE, UNE SEULE TUTELLE"
Un autre sujet que les universités ont à régler avec les organismes de recherche est celui de la simplification de la gestion des UMR (unités mixtes de recherche). "En termes de gestion […], pour un laboratoire qui a de multiples tutelles, c’est multiplier d’autant les dispositifs, le système d’information, les fournisseurs… Aujourd’hui, ce système est-il optimisé ? La réponse est non." Manuel Tunon de Lara rappelle à cet égard la volonté du président du CNRS de "diminuer le nombre de tutelles" (lire sur AEF info) et appelle lui aussi à "repenser cette organisation". Pour cela, France Universités propose d’avoir "un seul gestionnaire des laboratoires, avec une seule tutelle" (lire sur AEF info).
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René-Luc Bénichou,
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