En plus des cookies strictement nécessaires au fonctionnement du site, le groupe AEF info et ses partenaires utilisent des cookies ou des technologies similaires nécessitant votre consentement.
Avant de continuer votre navigation sur ce site, nous vous proposons de choisir les fonctionnalités dont vous souhaitez bénéficier ou non :
À Roubaix, "l’école, pour une partie des parents, c’est la maison qui fait peur", constate Cédric Meurisse, inspecteur de circonscription. "Ils en restent éloignés parce qu’ils ont parfois le sentiment de ne pas être légitimes". Cet éloignement peut être interprété par les enseignants comme un manque d’intérêt voire une marque de défiance. En réalité, ces parents restent en retrait par peur du jugement ou parce qu’ils gardent un mauvais souvenir de leur vie d’élève. Pour devenir la "maison qui rassure", l’école doit prendre en compte ces blocages et dépasser ses propres représentations. Engagés dans une démarche de "coéducation", les directeurs d’école portent des actions originales : un partenariat avec ATD Quart-Monde, des "classes passerelles" ou encore des "entretiens inversés". Voici le sixième et dernier épisode de notre série consacrée à ce territoire en éducation prioritaire.
Cette dépêche est en accès libre.
Retrouvez tous nos contenus sur la même thématique.
Roubaix est un territoire d'expérimentation pour la co-éducation MaxPPP
Les écoles, collèges et lycées de Roubaix, quasiment tous en éducation prioritaire, concentrent un grand nombre de difficultés scolaires. Les acteurs locaux y déploient une énergie considérable pour contrer les déterminismes. AEF info publie, au cours de l’année scolaire 2021-2022, une série d’articles pour raconter ce territoire complexe, à raison d’un article par mois.
"À Roubaix, les besoins sont tellement importants que nous avons besoin de porter les enfants tous ensemble", affirme Sylvie Monin, IEN chargée de l’école maternelle et de la vie scolaire à la DSDEN du Nord, lors d’une rencontre avec AEF info mi-mars 2022. "Cette ville est un territoire d’expérimentation pour la coéducation entre les parents, les enseignants et plus largement tous les professionnels engagés auprès des enfants", avance-t-elle. La coéducation ? Un proverbe africain en résume le principe : "Il faut tout un village pour élever un enfant".
Mais ce principe ne va pas toujours de soi dans les quartiers de l’éducation prioritaire. "Dans certaines écoles avec un IPS très faible, les directeurs me disent que des parents n’ont que très peu d’interactions avec les enseignants", explique Cédric Meurisse, inspecteur de la circonscription de Roubaix Centre, chargé de la mission "Politique de la ville" à la DSDEN du Nord. "Ils posent leurs enfants le matin, parfois avec résignation, sans même croiser le regard du professeur. Ils ont trop de problèmes d’emploi, de logement, de santé, et ne semblent pas disponibles".
Des parents démissionnaires ?
Les enseignants qualifient parfois ces parents de "démissionnaires". Dans le premier degré, le nombre de chaises vides lors de la réunion de rentrée, l’absence d’adultes pour accompagner une sortie scolaire, un "cahier de vie" de maternelle peu rempli peuvent être perçus comme une marque de désintérêt. Parfois, les échanges peuvent se crisper subitement autour d’événements mineurs, comme la perte d’un bonnet, ou lors d’un écart de conduite d’un enfant, mettant à mal la relation avec l’équipe pédagogique.
"Pour certains parents, l’école est source d’angoisse", constate Laure Berry, directrice de l’école Quinet Bert (270 élèves du CP au CM2). "Certains sont traumatisés par leur propre expérience d’élève. Ils ne participent jamais aux activités en classe ou aux sorties, par peur qu’on leur demande des choses au-delà de leurs capacités. C’est difficile à comprendre pour nous, enseignants, qui avons toujours aimé l’école", reconnaît-elle.
Les motifs d’incompréhension sont multiples. "Des parents ne viennent pas aux sorties parce qu’ils pensent que c’est payant", remarque un directeur d’école. Mais ils ne l’expliquent pas toujours, donnant l’impression de ne pas s’intéresser à la scolarité de leur enfant. Parfois, la barrière de la langue redouble la difficulté, même si la mairie met des traducteurs à disposition des écoles, avec l’aide de l’État. Cela concerne des familles primo-arrivantes mais aussi des familles qui habitent Roubaix depuis plusieurs années mais ne parlent pas français à la maison.
Vider les sacs et croiser les savoirs
Peur du jugement, mauvais souvenirs de l’école, barrière de la langue, précarité économique : est-il possible de surmonter ces freins pour instaurer une relation de confiance entre parents et professeurs ? "C’est absolument nécessaire", répond avec conviction Cédric Meurisse. "Nous ne pouvons pas rester simplement entre professionnels, en n’abordant la relation avec les familles qu’à partir du traitement des conflits. Nous devons reconnaître aux parents leur rôle d’éducateur à part entière et les aider à prendre toute leur place".
"Parfois, il faut que les sacs se vident avant de pouvoir reconstruire le lien avec l’école"
Sylvie Monin, IEN
"Parfois, il faut que les sacs se vident avant de pouvoir reconstruire le lien", observe Sylvie Monin. "Des parents vont avoir besoin de dire ce qu’ils ont vécu pour pouvoir recréer une histoire positive avec l’École". C’est l’une des fonctions de l’action "École, familles, quartier" portée par l’académie de Lille, le mouvement ATD Quart-Monde et l’union régionale des centres sociaux. Expérimentée pour la première fois à Lille en 2015, cette démarche a très vite été reprise à Roubaix, à l’initiative de Cédric Meurisse, puis à Grande-Synthe, Denain et Maubeuge.
Également intitulée "Ensemble pour la réussite de tous les enfants", l’action "École, familles, quartier" consiste à organiser dans un quartier en éducation prioritaire trois journées d’échanges entre enseignants, parents et acteurs sociaux, pour "faire évoluer les représentations que les uns ont sur les autres, dissiper des malentendus et créer les conditions d’une coéducation efficace", résume l’inspecteur de Roubaix Centre.
La démarche "École, familles, quartier" reprend la méthodologie de "croisement des savoirs et des pratiques" imaginée par ATD Quart-Monde il y a une vingtaine d’années : il s’agit de reconnaître que les personnes en situation de pauvreté doivent être écoutées au même titre que les professionnels, chercheurs ou élus. Comme le dit la charte établie par ATD, il ne doit pas y avoir d’un côté ceux qui occupent "une position haute" et de l’autre ceux qui sont cantonnés dans une "position basse", en n’étant pris en compte que "sous l’angle de leurs manques et de leurs besoins". Un principe qui s’applique aux relations entre parents et enseignants.
"Qu’est-ce que réussir à l’école ?"
L’action "École, familles, quartier" a été relancée dans plusieurs écoles roubaisiennes à la rentrée. Elle dure normalement trois jours. La première journée a bien eu lieu le 15 octobre 2021. Mais les deux autres journées ont été reportées, faute de moyens de remplacement. La multiplication des absences liées au Covid ne permettait pas d’organiser la pondération REP+ qui permet de décharger les enseignants de leur classe (lire sur AEF info).
Le 15 octobre, les animateurs formés à la méthodologie d’ATD ont constitué des "groupes de pairs". Les enseignants de deux ou trois écoles du quartier ont formé un premier groupe. Les parents ont été subdivisés en deux sous-groupes : "ceux qui ont un bon souvenir de l’école" et "ceux qui ont un mauvais souvenir de l’école". Enfin, les acteurs sociaux (associations, club de prévention, comité de quartier, centre social, médiateurs…) se sont retrouvés dans un autre cercle.
Les animateurs ont ensuite posé à chaque groupe une question simple en apparence : "Qu’est-ce que réussir à l’école ?" Ce premier temps d’échange a été suivi d’une séance "plénière" où chaque groupe s’est exprimé, à travers un porte-parole, et a tenté de comprendre les autres groupes. Très vite, chacun a compris que la question posée n’était finalement pas si simple…
S’écouter sans se juger
La méthodologie forgée par ATD Quart-Monde permet de libérer la parole, en évitant le jugement des uns sur les autres. "Lors de cette première journée, on partage des étonnements", explique Marie Verkindt, bénévole d’ATD Quart-Monde. "On se rend compte par exemple que les acteurs de quartier pensent que les enseignants ne sont intéressés que par les notes. Ou que les deux groupes de parents ont des conceptions différentes de la réussite des enfants. On s’aperçoit aussi que les familles pauvres ont une peur du jugement très importante : c’est une des raisons pour lesquelles elles ne viennent pas à l’école".
"Le croisement des savoirs, c’est comprendre la carte mentale de l’autre"
Cédric Meurisse, inspecteur de la circonscription de Roubaix Centre
Les langues se délient et révèlent des incompréhensions mutuelles. "La méthode du croisement des savoirs, c’est apprendre à comprendre la carte mentale de l’autre. C’est très riche mais ça bouscule !", constate Cédric Meurisse. Avant de se quitter, les groupes se retrouvent entre pairs pour échanger leurs impressions : "Qu’ai-je appris de mon groupe, des autres groupes, comment ai-je vécu cette séance ?"
Alors, comment les enseignants ont-ils vécu cette séance ? "Nous avons ressenti un décalage entre nos représentations et celles des parents", répondent les enseignants de l’école Lavoisier (275 élèves), lors d’une rencontre avec AEF info. "La réponse à la question Qu’est-ce que réussir à l’école nous paraissait évidente. Et pourtant chaque groupe a répondu de manière très différente. Pour nous, réussir à l’école, c’est conquérir la liberté de choisir son avenir. Les parents ont plutôt parlé de choses immédiates, en s’intéressant au comportement, à la politesse, au savoir-être. Nous n’étions pas dans la même temporalité et nous n’exprimions pas les mêmes attentes."
"Nous avions l’impression de parler simplement" (enseignants)
Les échanges entre groupes ont révélé un "fossé" dans les termes utilisés. "Quand nous avons parlé de 'susciter la curiosité', des parents ont entendu 'suicider'". Ils ne nous comprenaient pas alors que nous avions l’impression de parler simplement". Les enseignants se demandent depuis si leur vocabulaire, parfois un peu jargonnant, est toujours approprié. "Peut-être que les parents nous perçoivent parfois comme des gens suffisants ou condescendants ?"
Une remarque émanant du groupe des parents "qui ont mal vécu l’école" est mal passée chez les professeurs. "Ils nous ont dit que nous n’étions pas assez disponibles pour communiquer, alors que nous passons de longs moments tous les jours à la grille à 16h30. De quelle communication parlent-ils ? Pourquoi dans ce cas ne sont-ils pas toujours présents lors des rendez-vous ?" Malgré ces questions en suspens, les enseignants de Lavoisier reconnaissent que l’expérience est déjà formatrice. "C’est un super projet qui permet d’avancer, de prendre de la hauteur, de prendre conscience de ce qu’on ne voit pas", dit l’un d’eux.
"Nous avons hâte d’organiser la suite pour ne pas rester sur un sentiment de frustration, fréquent après la première journée de croisement des savoirs", commente Nathalie Derousseaux, coordinatrice de réseau d’éducation prioritaire. La deuxième journée devrait avoir lieu en mai 2022 : il s’agira de dire "ce qui aide à réussir à l’école" et "ce qui n’aide pas". Après ce travail d’explicitation, la troisième journée, mi-juin, servira à élaborer des pistes d’action. Car l’action "École, familles, quartier" a vocation à déboucher sur des décisions concrètes pour construire une "alliance éducative" autour des enfants.
Pouvoir d’agir et changement de posture
"Dans la douzaine d’écoles qui a déjà participé à cette démarche, les effets sont durables", souligne Cédric Meurisse. "Cette action crée de nouvelles synergies fondées sur la coopération, le partage, la reconnaissance et le respect mutuel. Les parents en tirent un pouvoir d’agir et se sentent valorisés. Les partenaires éducatifs et les enseignants comprennent mieux les besoins des familles. Quant aux élèves, ils perçoivent que les adultes qui les éduquent sont en accord : parfois, cet équilibre est la clé qui leur manquait pour s’ouvrir complètement aux apprentissages".
La "fête des apprentissages" remplace la kermesse de fin d’année
Des actions très diversifiées peuvent émerger après ces trois jours de croisement des savoirs. À l’école Quinet Bert par exemple, une "semaine musicale" a été organisée en partenariat avec l’école maternelle Albert Samain. Parents, élèves et professeurs se sont retrouvés dans les classes et au centre social pour fabriquer des instruments de musique. Un "goûter interculturel" a également été organisé : les parents ont cuisiné, les enfants ont créé des drapeaux, le centre social a invité un musicien. Ces événements ont rencontré un vrai succès, tout comme la "fête des apprentissages" qui remplace la traditionnelle kermesse. Chaque enseignant y valorise un projet mené dans l’année : des saynètes de théâtre, des chants du Concert citoyen (lire sur AEF info), une exposition de sculptures… "Créer du lien avec les parents permet d’avoir un climat plus apaisé", souligne Laure Berry, la directrice. "Mais ces temps festifs doivent s’accompagner d’un travail quotidien pour garder ce lien", ajoute-t-elle.
L’école Lakanal (130 élèves du CP au CM2) a elle aussi participé à la démarche "École, familles, quartier" il y a quelques années. "Après cette action, les parents ont exprimé le souhait de voir l’enseignant de leur enfant à la fin de chaque période", relève Francesca Tréguier, directrice. "Cela se faisait en CP et en CE1 mais pas dans les autres classes. Nous avons pris en compte leur demande". Autre nouveauté, un "forum de rentrée" a été organisé en 2018 pour présenter le fonctionnement de l’école mais aussi ses partenaires (centre social, périscolaire, médiathèque, conservatoire, etc.). Mais ce forum n’a attiré qu’une quinzaine de parents. "Certains ont déposé leurs enfants au coin de la rue alors qu’ils étaient invités à un petit-déjeuner avec nous", regrette la directrice. Preuve que la peur de se confronter aux enseignants ne s’efface pas d’un coup…
Du sport pour attirer les pères
La démarche de croisement des savoirs n’est pas le seul moyen d’embarquer les parents. "Nous avons parfois l’opportunité de monter des projets qui démultiplient les rapports avec les familles", note Grégory Thulliez, directeur de l’école élémentaire Renan (215 élèves), lors d’une rencontre avec AEF info fin février 2022. "Cela a été le cas pour nous avec l’opération "LOSC en famille". Le club de foot lillois finance et valorise des initiatives locales sur les thématiques "Famille et Citoyenneté" et "Famille et Santé".
L’école a bénéficié trois fois de ce soutien du LOSC. Elle organise tous les ans, en mai ou juin, des "Olympiades" : élèves, enseignants et parents se retrouvent en tenue de sport pour disputer des matchs de foot et de basket et des épreuves d’athlétisme dans la cour. Un événement couronné par "un barbecue géant". "Alors qu’avant seules les mamans participaient aux activités de l’école, nous avons vu arriver des papas", se félicite Grégory Thulliez.
Cerise sur le gâteau, le LOSC offrait des places à l’école pour voir son équipe de footballeurs professionnels évoluer au Stade Pierre-Mauroy à Villeneuve-d’Ascq. Enseignants, parents et enfants se donnaient rendez-vous une heure avant le match pour y aller ensemble. "Cette soirée nous a permis de rencontrer les familles dans un contexte différent", explique Grégory Thulliez. "L’événement donnait d’ailleurs lieu à de nombreuses photos, voire à des appels vidéo avec la famille en Algérie. Cela fait partie des gros souvenirs de l’école".
Toujours aussi sportive, l’école Renan est désormais labellisée "Génération 2024", une initiative prise par le ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports pour "développer les passerelles entre le monde scolaire et le mouvement sportif" et "encourager la pratique physique et sportive des jeunes". "Le but du jeu est d’avoir de plus en plus d’inscrits dans les clubs sportifs roubaisiens", explique Grégory Thulliez. "Car ce qui nous a le plus choqués après le confinement, ce n’est pas le niveau scolaire des enfants mais le fait qu’ils avaient tous pris 10 kg". La ville de Roubaix offre d’ailleurs un chèque de 50 euros lorsqu’un enfant s’inscrit dans un club de sport.
À Roubaix comme ailleurs, les directeurs d’école ont besoin de temps pour développer et maintenir le lien avec les parents. La disparition des assistants administratifs a compliqué leur tâche. "Depuis 2017, nous n’avons plus de secrétaire", regrette ainsi Francesca Tréguier. "Nous nous sommes vite retrouvés coincés sans elle. Tous les matins, elle appelait les parents dont les enfants étaient absents, ce que nous ne pouvons pas faire en étant en classe. De même, nous ne pouvons plus ouvrir les portes qu’au moment des récréations."
Complètement déchargée, Laure Berry dispose de plus de marges de manœuvre pour communiquer avec les parents. Mais l’absence de secrétariat pèse aussi sur son emploi du temps : "Quand je passe deux heures à mettre des papiers dans des enveloppes ou que je dois sans cesse m’interrompre pour répondre à l’interphone ou signer un bon de livraison de colis, je me dis que je pourrais consacrer ce temps à des projets structurants pour l’école", pointe-t-elle.
Le paradoxe du Covid
Les contraintes liées à la crise sanitaire ont mis un coup d’arrêt temporaire à ces événements qui sortent de l’ordinaire. "Depuis septembre, les parents ne sont venus que deux fois dans l’école, pour la réunion de rentrée et une action non au harcèlement", regrette Francesca Tréguier. "Nous avons hâte de refaire les choses comme avant", confirme Sandrine Bécourt, directrice de l’école Michelet (16 classes de la PS au CM2). Comme la kermesse de fin d’année : "Après le barbecue, on danse tous ensemble. C’est la fête des voisins dans la cour de l’école. C’est beau !"
"Ces deux années ne sont pas perdues pour la relation avec les parents"
Laure Berry, directrice
Paradoxalement, la crise sanitaire a aussi permis de renforcer les liens avec les familles. "Ces deux années ne sont pas perdues pour la relation avec les parents", estime ainsi Laure Berry. "Pendant le premier confinement, nous avons eu très peur de perdre le contact", se rappelle Grégory Thulliez. "En effet, de nombreux élèves n’ont pas d’ordinateur, pas d’internet, pas d’imprimante. Alors nous avons fait du porte à porte en déposant chaque lundi le travail de la semaine et en récupérant le travail de la semaine précédente". Les "visios" ont aussi permis aux enseignants "d’entrer dans l’intimité des familles" en dialoguant avec "des gamins en pyjama devant leur bol de céréales" avec les parents en arrière-plan. Ces moments d’échange à distance ont conforté l’impression de faire partie d’une même communauté.
"Les familles les plus modestes se sont montrées extrêmement reconnaissantes envers les enseignants", relève Isabelle Tailliar, inspectrice de la circonscription Roubaix Ouest, lors d’un échange avec AEF info fin mars 2022. "Des parents ont découvert le rôle qu’ils pouvaient jouer dans la scolarité de leur enfant. Cela a peut-être changé leur rapport à l’école".
"Pendant le confinement, de nombreux enseignants se sont distingués par la qualité de leur engagement", salue Cédric Meurisse, son homologue de Roubaix Centre. "Je pense à un enseignant qui appelait chaque élève de sa classe par créneau de 30 minutes, pour faire le point et procéder à des exercices de lecture individuelle. Il y a eu des actions autonomes de croisement des savoirs, chacun découvrant la vie de l’autre, dans une boucle vertueuse. Il faudrait maintenant évaluer ce qu’il reste de ces moments exceptionnels".
"Nous n’avons pas perdu le lien" (directrice)
"Notre défi est maintenant de remobiliser les parents, après avoir été contraints de fermer les portes de l’école pendant deux ans à cause du Covid", souligne Mylène Khaldi, directrice de l’école maternelle Renan (110 élèves). "Remobiliser et non pas remotiver : je sais que nous n’avons pas perdu le lien et qu’ils sont en attente".
Cette école maternelle a l’habitude de s’ouvrir en grand aux parents puisqu’elle héberge l’une des douze "classes passerelles" de la ville. Imaginé par le pédiatre roubaisien Maurice Titran il y a tout juste trente ans, ce dispositif accueille des enfants de 2 à 3 ans en école maternelle (lire sur AEF info). Il a été mis en valeur sous François Hollande (lire sur AEF info) mais sans jamais être une priorité absolue, sans doute en raison de son coût. La classe passerelle s’appuie en effet sur un trio de professionnels : l’enseignant, l’Atsem mais aussi un éducateur de jeunes enfants.
"Plus on ouvre les portes de l’école, plus la confiance est forte entre les parents et les enseignants"
Mylène Khaldi, directrice
L’arrivée de l’enfant à l’école est préparée dès le mois de juillet lors d’ateliers parents enfants organisés avec l’Atsem, l’éducatrice et parfois l’enseignante. Un "mur des familles" est par exemple créé dans la classe avec des photos de personnes, de moments, d’objets qui serviront de point de repère aux jeunes élèves. Après la rentrée scolaire, les parents peuvent rester un moment avec leur enfant, en participant à la lecture d’histoires ou à un chant, pour que la transition se fasse en douceur. Ils sont aussi invités à participer à des ateliers (cuisine, arts, lecture, jeux de société…) plusieurs fois par semaine. Une manière de faciliter la séparation avec l’enfant mais aussi de développer la parentalité.
Ce dispositif a fait la preuve de son efficacité au fil des années. "Plus on ouvre les portes de l’école, plus la confiance est forte entre les parents et les enseignants", souligne Mylène Khaldi. "Cette classe donne le la au groupe scolaire. Ils continuent à s’impliquer dans les classes suivantes, sans appréhension, avec envie. Ainsi 80 % des parents délégués ont fréquenté la classe passerelle !"
Des entretiens "inversés"
La maternelle est de toute façon un levier très efficace pour impliquer les parents d’élèves. "Nous leur proposons de venir un maximum à l’école, lors des sorties, des ateliers, de goûters préparés par les enfants", explique ainsi Sandrine Bécourt, directrice de l’école Michelet. "Le lien de confiance qui se crée alors va perdurer jusqu’au CM2 et profitera aux futurs petits frères et sœurs."
"Construire une confiance réciproque avec chacun des parents permet de sécuriser ensemble le parcours et l’expérience de l’enfant mais aussi de mieux affronter les aléas et les crises", remarque Cédric Meurisse. "Quand l’enseignant recommande par exemple un examen psychologique ou une consultation chez un orthophoniste, les parents accepteront parce qu’ils n’auront aucun doute que c’est pour le bien de leur enfant".
À l’école Michelet, le lien avec les familles passe par de nombreuses activités artistiques et culturelles, comme en témoignent les affichages colorés dans les couloirs. Les enseignants y pratiquent aussi "l’entretien inversé". "Pour travailler la parentalité, c’est fantastique", assure Sandrine Bécourt. Les parents d’élèves sont reçus individuellement par les enseignants en début d’année, pendant une demi-heure au moins. La conversation tourne autour de questions ouvertes : "comment vivez-vous cette rentrée ? qu’aime faire votre enfant ? qu’attendez-vous de l’école ?" Plutôt que de pointer des problèmes de comportement ou des lacunes scolaires, l’enseignant se place dans une posture d’écoute et adopte un ton encourageant. "Les entretiens inversés donnent une vraie place aux parents en partant de ce qu’ils savent et ont à dire de leur enfant", souligne Sylvie Monin, qui encourage cette pratique depuis la DSDEN.
"Demander conseil" aux parents
Adoptée par de nombreuses écoles roubaisiennes, cette méthode séduit désormais le second degré. "Nous avons commencé à mettre en place l’entretien inversé il y a six ans pour l’accueil des 6e", explique Thierry Bucquoye, principal du collège Anne Franck. "Très vite tous les niveaux s’y sont mis, sans qu’on ait besoin de l’imposer". Les professeurs principaux organisent ces entretiens dans les quinze jours qui suivent la rentrée de septembre. Les parents jouent le jeu : rares sont les rendez-vous qui ne sont pas honorés.
"Le principe n’est pas de donner des conseils mais de demander conseil aux familles", résume le chef d’établissement. Ce changement de posture professionnelle crée une relation de confiance qui perdure tout au long de l’année. "Les parents contactent plus facilement l’enseignant, sans avoir l’impression de le déranger", relève Thierry Bucquoye. "L’enfant a aussi moins d’espace pour raconter des choses différentes à ses parents et à ses enseignants puisqu’il sait qu’ils se parlent. Tout cela évite aux situations de s’envenimer."
Croisement des savoirs, activités partagées avec les parents, classes passerelles, entretiens inversés… À Roubaix, toutes ces actions participent à une évolution profonde du positionnement de l’Éducation nationale. "L’École a changé : aujourd’hui, elle prend en compte la particularité de chaque enfant, en intégrant pleinement sa famille et les acteurs de quartier dans son expérience scolaire", souligne Cédric Meurisse. "Ce changement permet aux parents de faire évoluer leur représentation des institutions et de s’appuyer sur l’alliance éducative qui se forme autour de leur enfant pour le faire réussir." Tant il est vrai qu’il faut toute une ville pour élever un enfant…
Nous remercions l’ensemble des personnes rencontrées lors de ce reportage au long cours à Roubaix de nous avoir accordé du temps et surtout leur confiance.
Voici une sélection des brèves fonction publique de la semaine du 29 mai 2023 :
Vous souhaitez contacter
Sylvain Marcelli,
journaliste