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La vidéosurveillance aide-t-elle à élucider des enquêtes ? Guillaume Gormand, docteur en administration publique, a souhaité répondre à cette question dans une étude commandée par le CREOGN et présentée ce jeudi à Paris à l’occasion d’un atelier de recherche de la gendarmerie. L’enseignant à Sciences Po Grenoble a évalué des systèmes de vidéosurveillance de quatre territoires de la métropole grenobloise, en lien avec des gendarmes de l’Isère. Résultat : sur 1 939 cas étudiés, 22 enquêtes élucidées ont bénéficié du concours d’images de caméras, soit 1,1 % des cas du panel. Si l’étude ne peut tirer des conclusions générales sur la vidéosurveillance, l’enseignant-chercheur du Cerdap² explique à AEF info vouloir voir ces évaluations se multiplier en France. Une gageure selon lui, tant la vidéosurveillance s’enlise dans un débat idéologique : "On n’écoute pas les scientifiques. Les défenseurs de la vidéosurveillance ne veulent pas entendre des discours comme le mien."
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AEF info : Pourquoi qualifier votre étude sur les systèmes de vidéosurveillance de quatre territoires de la métropole grenobloise d'"inédite"?
Guillaume Gormand : À ma connaissance, scientifiquement et sur le fond, il n'y a pas de travail similaire en France. L'étude est aussi inédite dans sa forme : c'est une commande de l’école des officiers de la gendarmerie. Une telle institution qui s’engage aussi fortement sur cette démarche, ça n’a jamais été fait.
AEF info : De quelle manière a été accueillie votre proposition?
Guillaume Gormand : Le CREOGN a initialement été surpris par l’absence d’étude sur le sujet. La vidéo a une grande importance pour plusieurs métiers de la gendarmerie. Ils ont donc considéré comme important de se pencher scientifiquement sur ce sujet.
D’un point de vue général, de la part de l’État-major de l’Isère comme des brigades, une fois le commanditaire connu, le travail pédagogique réalisé et ma démarché comprise, j’ai reçu un accueil favorable. Les gendarmes m’ont même facilité le travail, ils ont pris sur leur temps pour réaliser des entretiens. Sans langue de bois, je pensais rencontrer des problèmes sur le terrain et j’avais prévu davantage de temps en conséquence, mais nous avons eu finalement accès aux données facilement.
J’avais déjà eu l’occasion de travailler sur la vidéosurveillance dans le cadre de ma thèse de doctorat – notamment avec la police nationale. Mais je n’avais pas reçu le même accueil. Je n’avais pas rencontré de la résistance, mais des interrogations sur ma légitimité en tant que chercheur. J’avais rencontré plus de frilosité également.
AEF info : Comment avez-vous sélectionné votre échantillon ?
Guillaume Gormand : Les territoires retenus devaient être représentatifs. Nous avons choisis des communes très équipées, des communes modestement équipées également – comme une très grande majorité des communes en zone gendarmerie, avec une dizaine de caméras
AEF info : Pour chacun des 1 939 cas étudiés, quelles questions vous êtes vous posées successivement pour arriver à ces résultats ?
Guillaume Gormand : La vidéo est-elle mobilisée ? Si non, pourquoi ? Si oui, comment ? Et si oui, quels éléments ont pu être identifiés dans les enregistrements ? Si aucun élément, pourquoi ? Ça peut être des enregistrements écrasés, des images inintéressantes, une caméra mal orientée au mauvais moment ou encore de mauvaise qualité. S’il y a des éléments intéressants pour l’enquête, est-ce un indice ou une preuve ? Il faut bien faire la différence : les indices orientent les investigations, les preuves permettent d’identifier un suspect, avec une plaque d’immatriculation ou un visage par exemple. Et enfin, la question de savoir si l’affaire est transmise au parquet comme "élucidée". Nous n’avons pas pu vérifier en revanche l’issue pénale de ces affaires, nous n’avions pas d’entrées auprès de la justice.
AEF info : Sur ces 1 939 cas, seulement 22 affaires élucidées ont bénéficié d’un indice ou d’une preuve issue de la vidéo. Comment l’expliquer ?
Guillaume Gormand : La vidéo est loin d’être omnipotente. Certaines caméras pivotent et peuvent ne pas se trouver dans le bon angle au bon moment ou zooment au mauvais endroit, d’autres produisent des images de mauvaise qualité ou sont sales. Vient ensuite la phase d’exploitation des images. Elle peut se révéler compliquée pour plusieurs raisons, notamment la grande quantité de données et les difficultés de coopération entre gendarmes et propriétaire d’une caméra. À qui elle appartient ? Auprès de qui faire la réquisition ?
Il y a principalement des caméras de voie publique, de la mairie, mais pas seulement. Il y a aussi les transporteurs, les établissements scolaires, les équipements sportifs, les magasins... Nous parlons de 'la' vidéosurveillance, mais en réalité, il y a 'des' systèmes de vidéosurveillance, avec une grande diversité d’usage, de modalité d’exploitation et de caractéristiques techniques. Pour exploiter cette ressource, il faut dépenser du temps.
Il n’y a pas tout le temps le réflexe vidéo. Pas par faute de l’enquêteur, mais d’autres moyens d’enquête peuvent être privilégiés. Et quand il y a ce réflexe, il peut y avoir une défaillance de l’équipement. Au final, c’est un coup de chance d’avoir indice ou une preuve dans une vidéo. Nous sommes loin des fantasmes nourris par les fictions sur la vidéosurveillance ou par les discours de ses promoteurs, que nous retrouvons chez certains responsables publics.
AEF info : Certains défenseurs de la vidéosurveillance répondraient à ces résultats que l’obstacle est uniquement technique : il suffit d’installer davantage de caméras, de meilleure qualité et pourquoi pas les coupler à des logiciels de traitement d’images automatisé ?
Guillaume Gormand : C’est un argument régulièrement avancé. Dans l’absolu, c’est pertinent. Une densité de caméra importante a plus de probabilité de capter des infractions dans ses enregistrements. Mais il faut adopter un discours réaliste. Il faudrait infiniment de caméras, avec une infrastructure conséquente, des investissements inimaginables. La vidéosurveillance, ce n’est pas seulement l’objet caméra. C’est aussi le réseau nécessaire pour ramener le flux d’images, les serveurs pour les stocker et les exploiter, le maintien en condition opérationnelle et le remplacement du matériel après obsolescence.
Pour une grande commune de 200 000 habitants, ça serait des dizaines de milliers de caméras, ça n’est pas envisageable dans le cadre des finances publiques. Et même si cet argent est débloqué, il faut exploiter ces flux vidéos. Imaginons 50 caméras à exploiter dans une zone, sur une plage horaire d’une heure autour du moment d’une infraction. C’est 50 heures de visionnage pour une affaire de cambriolage par exemple. C’est difficilement envisageable pour un gendarme quand il a plusieurs enquêtes à traiter en simultanée.
AEF info : Pouvons nous tirer des conclusions générales à partir de votre étude ?
Guillaume Gormand : Ces résultats sont à relativiser. Dans un sens, ils complètent ma première thèse à Montpellier où j'étudiais les fonctions dissuasives, de tranquillisation et d’aide à l’intervention des caméras. Mais cette évaluation est située dans un territoire, en zone gendarmerie. Cette étude mériterait d’être renforcée par beaucoup d’autres du même genre. Pour tirer des conclusions générales, il faudrait répliquer cette étude et avoir une cohorte de terrains.
AEF info : Pourquoi la vidéosurveillance incarne bien la difficulté à évaluer scientifiquement les politiques publiques de sécurité ?
Guillaume Gormand : Les raisons sont multiples. Je retiens cette phrase du chercheur Patrick Gibert : "l’évaluation est nécessairement irrespectueuse, désacralisante et démystificatrice". L’évaluation d’un programme amène à mettre en difficulté son créateur et ses participants. Pour des partisans de la vidéo, c’est délicat de se soumettre à un protocole dont ils ne maîtrisent ni la méthode, ni les résultats. Il faut vouloir se prêter à l’exercice. Certains le font. La ville de Montpellier m’a accueilli trois ans pendant ma thèse, et aujourd’hui la gendarmerie avec cette étude portée par le CREOGN. Mais trop peu d’acteurs municipaux souhaitent se prêter au jeu de l’évaluation.
Une autre difficulté réside dans la temporalité. Il y a une difficulté de faire correspondre un agenda politique et un agenda scientifique. L’évaluation s’inscrit dans le temps long, ce n’est pas le cas de la politique. Aussi, il y a une logique de coût. Une évaluation c’est une dépense sans avantage immédiat. Beaucoup de collectivités s’estiment convaincus par leur système et préfèrent rajouter caméras ou engager un opérateur vidéo supplémentaire plutôt qu’une étude. Pourquoi évaluer un objet qui nous est présenté depuis des années comme efficace ?
Un grand nombre d’acteurs voient la vidéo de manière dogmatique : la vidéosurveillance est efficace et puis c’est tout. Critiquer la vidéosurveillance, c’est parfois être classé comme anti-sécurité, ou anti-flic, c’est s’attaquer à une religion. C’est difficile de se battre contre ces approches. L’évaluation peut devenir un outil pour avoir une approche rationnel de ce sujet, souvent enlisé dans des débats idéologiques.
Lors d’un webinaire organisée par l’AN2V, jeudi 9 décembre 2021, Elisabeth Sellos-Cartel, qui s'occupe des sujets liés à la vidéosurveillance à la DPSIS au ministère de l’Intérieur, se dit "interpellée" par les résultats de cette étude. Selon elle, "plusieurs raisons" peuvent expliquer la faible part des enquêtes résolues par la vidéosurveillance, comme des difficultés d’appropriation du dispositif par les enquêteurs. Elle propose aux responsables de CSU présents lors de cette réunion de l’AN2V de lui transmettre "tous les résultats de constats, de fragrants délits, etc." qu’ils relèvent afin qu’elle puisse les "faire remonter".
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Romain Haillard,
journaliste