En plus des cookies strictement nécessaires au fonctionnement du site, le groupe AEF info et ses partenaires utilisent des cookies ou des technologies similaires nécessitant votre consentement.
Avant de continuer votre navigation sur ce site, nous vous proposons de choisir les fonctionnalités dont vous souhaitez bénéficier ou non :
"Il faut prendre acte du rôle croissant des entreprises, petites, moyennes ou grandes dans la chaîne de sécurité et fixer des règles d’encadrement", déclare Stéphane Volant, président du CDSE (Club des directeurs de sécurité des entreprises), dans une interview à AEF info. Une semaine avant le colloque annuel de l’association
Cette dépêche est en accès libre.
Retrouvez tous nos contenus sur la même thématique.
Stéphane Volant, président du CDSE. Droits réservés - DR
AEF info : Le CDSE s’apprête à célébrer ses 25 ans lors de son colloque annuel organisé au palais des congrès d’Issy-les-Moulineaux, jeudi 16 décembre 2021. Comment la fonction de directeur sécurité-sûreté en entreprise a-t-elle évolué depuis la création de l’organisation, en 1995 ?
Stéphane Volant : Il y a 25 ans, le directeur de la sécurité en entreprise était toujours un ancien policier ou un ancien militaire, qui n’avait suivi aucune formation sur la dimension économique de la sécurité et ne connaissait pas "le monde de l’entreprise". Ses missions n’étaient pas ancrées dans le business et sa fonction n’était pas vraiment reconnue dans l’entreprise. Les choses ont considérablement changé ! L’État et les entreprises ont compris qu’il s’agissait de postes indispensables, et la crise sanitaire l’a montré davantage : le directeur de la sécurité est aujourd’hui indispensable à la continuité d’activité et à la reprise. Il dispose d’une parfaite connaissance de son entreprise, à la stratégie de laquelle il est souvent associé, et il a par ailleurs une crise d’avance car il sait imaginer l’inimaginable (lire sur AEF info).
Le directeur de la sécurité n’est désormais plus forcément issu du ministère de l’Intérieur ou du ministère des Armées, mais, de plus en plus, d’une candidature interne à l’entreprise (lire sur AEF info). Quand il continue à être issu de l’État, il se forme aux questions économiques, et quand il vient de l’entreprise, il se forme aux sujets liés à la sécurité. Du métier d’agent de sécurité privée jusqu’au troisième cycle universitaire, il existe aujourd’hui beaucoup de formations conçues par l’IHEMI, l’EOGN, l’Essec, ou le Cnam. On est donc passé de l’homme de Cro-Magnon de la sûreté à un professionnel parfaitement connecté et en prise directe avec les réalités de son entreprise, sachant gérer les euros comme le maintien de l’ordre, et entretenant des relations aussi bien au sein de l’entreprise que dans les ministères.
Et le CDSE a accompagné cette mutation. Au début, c’était une bande de copains issus du régalien, des pionniers du métier, qui lui ont progressivement donné ses lettres de noblesse. D’une "association d’amis", le CDSE est devenu une association partenaire de l’État comme du Medef, nouant des relations fortes avec l’ensemble du secteur de la sûreté en France et à l’international, membre de prestigieuses instances comme le comité stratégique de filière des industries de sécurité ou le collège du Cnaps. Il est un corps intermédiaire qui entend prendre sa part des sujets régaliens, et qui le fait déjà. La preuve en est qu’en 2022, le budget du ministère de l’Intérieur pour la sécurité devrait atteindre 14 milliards d’euros (lire sur AEF info), tandis que les entreprises adhérentes du CDSE consacrent près de 100 milliards d’euros par an à la sécurité.
Le CDSE est devenu un point de convergence grâce auquel tous les acteurs de la sécurité, qu’ils appartiennent au monde de l’entreprise ou à l’État, peuvent partager des idées, débattre de leurs ambitions, et apporter des réponses aux questions de sécurité.
AEF info : Le quinquennat a été marqué par le concept de "continuum de sécurité" (lire sur AEF info). Se traduit-il concrètement sur le terrain pour les directeurs de sécurité-sûreté, et si oui, comment ?
Stéphane Volant : Pour moi, ce concept n’est pas complètement abouti mais en bonne voie. L’année passée a été importante avec la loi du 25 mai 2021 relative à la sécurité globale qui a davantage encadré la sous-traitance dans les prestations de sécurité, prévu la publication de certaines sanctions prononcées par le Cnaps, instauré des circonstances aggravantes pour les agents de sécurité privée, et tend vers la mise en place de signes distinctifs sur leurs tenues (lire sur AEF info). Mais l’État n’est pas encore allé au bout de la démarche tracée par l’ancien ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, lors du dernier colloque du CDSE, il y a deux ans : la création d’un véritable cercle de confiance et l’intégration des entreprises au continuum de sécurité (lire sur AEF info).
Il nous l’avait promis, et je gage qu’une partie de la Lopsi, qui devrait être présentée en conseil des ministres en février 2022
Les membres du CDSE ont déjà des relations étroites avec l’État. Des coopérations existent, mais elles se placent encore trop souvent sur le terrain de la bonne volonté. Il faut sans doute rendre les choses plus régulières, et instaurer davantage de règles pour avoir un système plus efficace, plus robuste et plus officiel en termes de partage du secret par exemple. Ce cercle de confiance pourrait peut-être s’ouvrir à d’autres acteurs que les seuls directeurs de la sécurité des grandes entreprises : les responsables de filiales et les entreprises de taille moyenne doivent eux aussi entretenir des relations étroites avec les acteurs du régalien, comme les préfectures. Tout ceci doit être écrit, scellé, pour qu’il n’y ait plus de retard à l’allumage et que les acteurs puissent se reconnaître dans la tempête car ils se sont connus auparavant en temps de mer calme.
Le temps est venu d’inscrire dans la loi les promesses qui nous ont été faites. Il y a eu plusieurs lois sur la sécurité pendant le quinquennat, et nous arrivons à la fin d’un cycle. Gérald Darmanin pourrait, avec la Lopsi, tenir la promesse de Christophe Castaner !
AEF info : Quels autres manques identifiez-vous ? Que pourrait contenir cette future loi d’orientation et de programmation ?
Stéphane Volant : Les textes ne précisent pas suffisamment le rôle des entreprises dans la sécurité, à l’exception notable des opérateurs d’importance vitale qui sont pour la plupart des grandes entreprises. Peut-être faudrait-il instaurer un statut d’OIV 'light', moins prescriptif, moins coûteux, mais qui pourrait entraîner une forme de sensibilisation d’autres entreprises, tels que les sous-traitants des OIV. Il faut prendre acte du rôle croissant des entreprises, petites, moyennes ou grandes dans la chaîne de sécurité et fixer des règles d’encadrement. Les choses doivent être faites en complémentarité avec la sécurité publique, avec une connivence qui fait que les uns et les autres parlent la même langue.
Le titre de la future Lopsi consacré aux entreprises pourrait aussi comporter des dispositions relatives à la sécurité privée. La loi sur la sécurité globale n’étant pas allée jusqu’à l’instauration d’une garantie financière (lire sur AEF info), peut-être que cette nouvelle occasion pourrait être saisie. Il y a aussi probablement plus de connexions à établir entre les différents outils. Les entreprises peuvent détecter et identifier des signes de radicalisation mais ces informations sont encore plus ou moins bien partagées avec les services de l’État. Se pose également la question des réseaux de vidéosurveillance des opérateurs privés et publics qui, sauf exceptions, ne sont pas encore connectés aux services de police et de gendarmerie. Nous pourrions peut-être aussi créer une sorte de Sneas des acteurs du numérique qui validerait l’honorabilité des entreprises du secteur et de certaines solutions car, aujourd’hui encore, trop souvent et en dépit des efforts de l’Anssi, la règle du "moins-disant" s’applique au moment des appels d’offres (lire sur AEF info).
AEF info : Êtes-vous optimiste quant à la capacité des entreprises de peser ?
Stéphane Volant : J’ai été très marqué par la qualité de l’écoute dont a fait preuve le ministre de l'Intérieur quand il a rencontré les acteurs de la sécurité privée, mi-novembre. Cette écoute n’était pas de même nature au moment de l’élaboration de la loi sur la sécurité globale. Entre le rapport des députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, le livre blanc sur la sécurité intérieure – deux documents qui recommandaient de reconnaître le rôle des directeurs de sécurité en entreprise dans le continuum (lire sur AEF info) —, puis l’élaboration de la loi elle-même, il y a eu tellement d’échanges que le texte final n’était plus totalement le reflet des besoins des entreprises. Lors du déjeuner, le ministre a entendu nos souhaits, nos ambitions, mais aussi nos critiques, et il a pris l’engagement de poursuivre la concertation sur deux aspects : la mise en œuvre de la loi sur la sécurité globale et nous associer aux réflexions qui mèneront à la rédaction de la Lopsi.
AEF info : Vous travaillez, notamment avec le GES, sur les décrets et ordonnances prévus par la loi du 25 mai 2021 "pour une sécurité globale préservant les libertés" (lire sur AEF info). Avez-vous des attentes particulières ?
Stéphane Volant : À la fois comme président du CDSE et comme vice-président du collège du Cnaps, je suis préoccupé par l’évolution de l’établissement public de régulation. Ceux qui ont conçu le Cnaps ont senti qu’il fallait un lieu où pourraient se rencontrer l’État, les représentants des entreprises de sécurité privée, et les donneurs d’ordre. Cette intuition a donné de bons résultats. Le Cnaps connaît à présent une crise de croissance car les métiers de la sécurité privée se développent. Il est aujourd’hui important d’aller plus vite dans l’examen des dossiers et d’avoir davantage de cohérence dans les sanctions prises. Nous allons donc plaider en faveur de la mise en place de règles de prise de décision plus rapides au sein de l’établissement et pour un renforcement de la cohérence des décisions rendues par les Clac aux quatre coins de France (lire sur AEF info).
Il faut peut-être aussi intégrer les agents de sécurité incendie au livre VI du code de la sécurité intérieure, car ils disposent des mêmes facilités de déplacement que les agents de sécurité, mais ne sont pas soumis aux mêmes procédures de contrôle. Il sera nécessaire, pour cela, de donner les moyens au Cnaps de s’y intéresser.
Enfin, il faut développer et améliorer la formation en matière de sécurité privée pour que le service soit encore mieux rendu. Ce sera un des grands enjeux de l’année à venir. Plus les prestations seront de qualité, plus leur prix pourra augmenter. La demande des directeurs sécurité-sûreté rejoindra alors les attentes des entreprises de sécurité privée. Il faudra, là aussi, que le Cnaps renforce ses contrôles. Sans cela, il serait illusoire de parler de chaîne de sécurité globale. Le degré de résistance d’une chaîne est fondé sur le maillon le plus faible. Il faut renforcer le maillon des entreprises et de la sécurité privée dans les mois qui viennent, pour l’intégrer enfin vraiment dans la chaîne de sécurité globale, en complémentarité de la police, de la gendarmerie et des polices municipales.
AEF info : Quels sont les défis à venir pour les directeurs sécurité-sûreté ?
Stéphane Volant : Un des principaux enjeux sera probablement le numérique, avec son caractère souverain. Nous anticipons une crise majeure et il faut s’y préparer. En tant que représentants des utilisateurs au sein du CSF des industries de sécurité, nous sommes très vigilants à l’égard des annonces sur le cloud de confiance (lire sur AEF info) et sur l’enveloppe d’un milliard d’euros consacrée à la cybersécurité dans le plan de relance (lire sur AEF info).
Nous sommes également attentifs à l’évolution des chaînes d’approvisionnement. La dépendance vis-à-vis de l’étranger est de plus en plus regardée par les directeurs de la sécurité car elle est identifiée comme un point de fragilité.
Il y a aussi les tensions nationales. On assiste à une montée de mouvances extrémistes ou "ultras" qui revendiquent de plus en plus de ne pas appliquer la loi de la République. Il faut être attentif à ces mouvements qui veulent prendre leur autonomie par la violence. Ces phénomènes extrémistes, en frappant notre pays, touchent aussi notre économie, et nos entreprises. Car l’entreprise est une espèce de petite République, avec des savoir-faire, des emprises, des salariés et des clients qui sont aussi tous des citoyens. Elle ne peut donc pas se déconnecter de la montée des agressions ou des demandes de sécurité de la population.
Pour résoudre ces enjeux, il faut plus de connivence avec l’ensemble des acteurs censés les surveiller et les réduire, d’où la mise en place d’un cercle de confiance. Le temps est venu de faire de l’entreprise un maillon fort de la chaîne de sécurité.
Le colloque du CDSE aura lieu au palais des congrès d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), jeudi 16 décembre 2021, en présence du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui prononcera une allocution. La journée est organisée autour de tables rondes thématiques auxquelles participeront des directeurs sûreté-sécurité d’entreprises, mais aussi Nicolas Lerner, DGSI, Guillaume Poupard, directeur général de l’Anssi, Sophie Hatt, directrice de la coopération internationale de sécurité au ministère de l’Intérieur, Olivier-Pierre de Mazières, DPSIS, ou encore Valérie Derouet-Mazoyer, présidente du collège du Cnaps.
Vous souhaitez contacter
Marie Desrumaux,
journaliste