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"Notre conviction, c’est que le dialogue social doit avoir sa part dans la transition écologique. Il ne permettra pas en lui-même de réduire les gaz à effet de serre mais il permettra d’accompagner ce changement de société que nous allons connaître", déclare l’avocate Gépy Koudadje lors d’un entretien accordé à AEF info. Spécialisée en droit social pendant plus de neuf ans au cabinet Flichy Grangé Avocats, elle lancera en janvier prochain, en coopération avec l’économiste Gilbert Cette, "Exso", un cabinet alliant leurs expertises juridique et économique pour "réinventer l’approche du droit social". L’objectif sera de trouver des points d’équilibre "gagnant-gagnant" alliant performance économique et protection des travailleurs.
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L'avocate Gépy Koudadje et l'économiste Gilbert Cette, fondateurs d'Exso, un "cabinet innovant en droit social" Droits réservés - DR - Exso
AEF info : Pourquoi lancez-vous votre cabinet "Exso" maintenant ?
Gépy Koudadje : Ce cabinet s’inscrit dans la continuité de travaux de doctrine que j’ai menés avec Gilbert Cette et Jacques Barthélémy [avocat-conseil en droit social honoraire] : nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un intérêt à combiner droit et économie sur le plan doctrinal mais aussi en matière de conseil pour les entreprises. Dans le cadre de mon expérience d’avocate au quotidien, j’aide des entreprises et des organisations patronales et j’ai compris qu’en ajoutant une dimension économique au conseil juridique, les relations sociales sont appréhendées avec une vision beaucoup plus stratégique !
Par ailleurs, les ordonnances Macron de 2017 laissent une plus grande place au dialogue social. Qui dit dialogue social, dit négociation collective, dit écriture des règles de droit social… qui ne sont plus seulement celles édictées par le législateur dans le code du travail mais aussi celles déterminées par les partenaires sociaux ! Cela demande de prendre en compte différents enjeux : économiques, sociaux, mais aussi environnementaux, ce qui est une nouveauté depuis la loi climat et résilience qui laisse beaucoup plus de place à l’environnement dans le code du travail. Tout cela s’inscrit dans la continuité de la loi Pacte de 2019. Nous sommes dans un changement profond des entreprises qui voient leur rôle amplifié, et doivent tenir compte d’enjeux sociaux et environnementaux. Il faut donc trouver des accords gagnant-gagnant avec les salariés, en trouvant le juste équilibre pour concilier tous ces impératifs qui peuvent sembler contradictoires.
AEF info : Depuis quand vous connaissez-vous avec Gilbert Cette ?
Gépy Koudadje : J’ai assisté à une conférence en 2018 où j’écoutais Gilbert Cette parler du futur du travail. J’étais très intéressée par sa vision des évolutions en cours, donc je suis allée à sa rencontre. Depuis, nous avons beaucoup écrit ensemble et il m’a fait évoluer dans ma manière de concevoir le droit social. Grâce à lui et à Jacques Barthélémy, j’ai réalisé que le droit et l’économie permettront aux entreprises de s’emparer des ordonnances et de faire face à tous les enjeux gigantesques qui nous font face. La transition climatique et la transition numérique vont affecter de manière substantielle l’emploi. Il faut s’y préparer et préparer les salariés.
Gilbert Cette : Si on ne saisit pas les transformations qui nous attendent comme des opportunités, on risque d’être fortement pénalisés et déclassés par rapport aux entreprises, voire aux pays, qui s’en empareront. L’une des transformations majeures de ces deux dernières années, accélérée par le Covid, est le recours massif au télétravail. Évidemment, ce recours massif n’aurait pas été envisageable dans une société pré-Covid. Mais face à cela, on peut choisir d’être passif ou bien actif pour transformer ces chocs en opportunités. Cela demande d’autres formes de dialogue, de négociation. La recherche d’un équilibre gagnant-gagnant entre l’entreprise et les représentants des travailleurs. L’idée fondamentale, qui traverse tous nos travaux depuis des décennies maintenant, c’est que la négociation peut permettre de trouver de tels équilibres.
AEF info : Vos clients classiques sont des entreprises et des organisations patronales. Envisagez-vous de conseiller aussi avec les organisations syndicales, notamment dans la perspective des nouvelles prérogatives accordées aux CSE en matière environnementale via la loi climat ?
Gépy Koudadje : Nous défendons une approche paritaire. Nous pensons vraiment que pour répondre à toutes ces questions, il faudra dépasser les clivages traditionnels, donc évidemment nous n’excluons pas, si nous sommes mandatés par des organisations syndicales, d’intervenir pour ce type d’organisation, que ce soit au niveau des entreprises ou des branches professionnelles.
D’ailleurs, sur toutes ces questions environnementales, nous pensons avec Gilbert Cette que la branche a un rôle à jouer pour accompagner les entreprises. Ces dernières ne peuvent pas faire face seules à ces questions éminemment complexes. La branche doit être le lieu où vont se dessiner les réflexions sur la transition écologique, en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
On parle par exemple souvent de l’automobile et de sa transition du véhicule thermique à l’électrique. Les grandes entreprises vont pouvoir anticiper ces transformations, mais la branche a un rôle à jouer pour accompagner les autres entreprises du secteur, comme les sous-traitants. Nous avons vu avec la crise du Covid que tout ne pouvait pas être anticipé, mais faisons-le autant que possible. Il faut former les salariés et leur permettre de rebondir, sinon nous allons nous retrouver au-devant de fortes casses sociales.
AEF info : Concrètement, comment comptez-vous accompagner vos clients ?
Gépy Koudadje : Des branches sont par exemple en train de négocier leur gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Nous pouvons les aider à cartographier les métiers qui vont être impactés par la transition écologique ou numérique, les aider dans la négociation de leur grille de classification qui a ensuite un impact sur les salaires. Nous pouvons intervenir aussi concernant le télétravail, sujet pour lequel les négociations peuvent se dérouler aussi bien au niveau des entreprises que des branches.
Ensuite, nous intervenons sur toutes les questions en droit social, de façon générale : par exemple la négociation collective, le renouvellement des CSE, les formations aux institutions représentatives du personnel en conviant organisations syndicales et patronales pour leur montrer les bienfaits économiques de la négociation collective… L’idée, c’est de combiner économie, social et environnement pour la performance sociale, et derrière la performance de l’entreprise.
AEF info : Pensez-vous vous spécialiser dans un domaine d’activité ?
Gépy Koudadje : Il est encore trop tôt pour le dire. Là, nous partons avec une vision forte car nous sentons qu’il y a un mouvement puissant. Le cabinet n’aurait pas pu être lancé en janvier dernier… Désormais, il y a la loi climat et résilience, le renouvellement du CSE. Nous accompagnerons les entreprises pour qu’elles s’emparent des nouvelles prérogatives environnementales des CSE.
Gilbert Cette : Il y a un domaine qui va beaucoup se développer dans la négociation collective, c’est celui du télétravail. Nous sommes sur un chantier qui sera presque permanent. Le télétravail massif étant un enjeu nouveau, cela signifie que l’expérimentation est souhaitable. Mais les points d’équilibre conçus maintenant via un accord pourront se révéler ne pas être les meilleurs par la suite : c’est un processus qui doit être évolutif dans les prochaines années.
Il est clair que le télétravail peut permettre des économies de locaux liées à l’organisation du personnel. En télétravaillant un, deux ou trois jours par semaine, les salariés occupent moins de locaux et cette économie peut faire sens et aboutir à une meilleure rentabilité d’entreprise qui passe par une transformation des modes de travail des salariés. Cela appelle in fine une discussion sur la répartition de la rente dégagée par cette économie de locaux. Mais c’est un calcul qui peut se faire seulement si on est sûrs qu’il s’agit d’un, deux ou trois jours par semaine. Donc cela peut se concevoir a priori mais résulte d’un tâtonnement qui révèle des faiblesses et des manques.
AEF info : Un calcul d’autant plus malaisé que certains effets du télétravail, tels que la dégradation de la santé mentale ou la pollution numérique, sont encore mal mesurés…
Gilbert Cette : Exactement.
Gépy Koudadje : Tout à fait. Le télétravail transforme complètement l’entreprise, qui devient une "entreprise dispersée". Cela a des conséquences sur tout ! Il faut réfléchir à nouveau sur les accords relatifs à la durée de travail, parce que les télétravailleurs, en consacrant une partie de leur temps de transport au travail, augmentent leur productivité. Se pose aussi la question des moyens de communication des organisations syndicales et des salariés. Si on dit que l’on veut davantage de dialogue social, il faut des syndicats dans l’entreprise, mais comment font-ils pour communiquer avec des salariés en télétravail ? Il faut réimaginer de nouvelles méthodes de communication. Quant à la question des mobilités des salariés : comment fait-on quand les salariés s’éloignent du lieu de l’entreprise en déménageant ? Comment organise-t-on leur mobilité ?
AEF info : Grâce à la loi climat, c’est la deuxième fois que l’occurrence "transition écologique" apparaît dans le code du travail. Anticipez-vous d’autres évolutions "vertes" du code du travail ?
Gilbert Cette : On n’aurait pas anticipé il y a deux ans une telle sensibilisation aux questions environnementales… Les choses vont très vite. Il serait donc présomptueux de prétendre connaître les points d’équilibre vers lesquels nous nous dirigeons. Bien sûr, on peut dire que la recherche du "zéro émission nette" est un objectif mesurable en soi, mais zéro émission nette peut vouloir dire tout et assez peu de choses finalement. La prise en compte du temps de transport et des émissions des travailleurs pour se rendre sur leur lieu de travail est complexe. Les émissions liées à leur alimentation au cours de leur journée de travail peuvent être prises en compte. Ou non. Il y a une quantité de facteurs à considérer. Le secret de la réussite est de surtout ne pas envisager de faire des organisations qui, sur ce terrain-là, soient figées pour pouvoir se dire "ça y est, on a rempli le cahier des charges".
Mais il est certain que le sujet environnemental va imprégner la négociation collective et les transformations d’entreprise continûment, pour les décennies à venir. Cela va traverser toutes les réflexions sur les modes de production, de déplacement, sur les relations sociales… Nous n’en sommes qu’au tout début.
Gépy Koudadje : Notre conviction, c’est que le dialogue social doit avoir sa part dans la transition. Il ne permettra pas en lui-même de réduire les émissions de gaz à effet de serre mais il permettra d’accompagner ce changement de société que nous allons connaître. Nous entrons dans un nouveau siècle.
AEF info : Pouvez-vous donner un exemple d’une innovation en entreprise, qui serait à la croisée du social et de l’environnemental ?
Gilbert Cette : Certaines entreprises veulent afficher quelles contributions, ou aides, elles donnent à leurs salariés quand ils achètent un véhicule électrique. Pour tout économiste digne de ce nom, c’est une aberration complète ! Le coût implicite de la tonne carbone qu’il y a derrière le subventionnement d’un véhicule électrique est complètement prohibitif par rapport au coût social actualisé de la tonne carbone. Il existe une quantité de politiques plus efficaces en termes d’émissions qui doivent d’abord être envisagées avant d’en arriver à cette idée de subventionnement des véhicules électriques. Peut-être peut-on réfléchir à des aides apportées aux salariés en matière d’isolement de leur domicile s’ils télétravaillent ? Là, nous sommes au point de rencontre entre des modes d’organisation du travail, le télétravail, la préoccupation environnementale, l’aspect économique et quelque chose qui doit passer par la négociation collective.
Gépy Koudadje : C’est ce juste équilibre, ce croisement de toutes les matières, mais toujours en trouvant la règle adaptée d’un point de vue économique, qui permettra de protéger les salariés et d’accompagner les entreprises dans la transition écologique.
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Ioana Doklean,
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