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"L’administration doit mettre en place un cadre plus propice à la décarbonation, ce qui implique d’en faire une priorité qui soit déclinée tout au long des chaînes hiérarchiques", souligne Jean-Guillaume Bretenoux, chef de projet "Administration publique" du Shift Project
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Le Shift Project préconise d'"inclure un module sur les enjeux énergie-climat dans la formation initiale de tous les fonctionnaires, et pas seulement des haut fonctionnaires". Pixabay - © geralt
AEF info : Quelles sont les raisons qui ont motivé le travail du Shift Project sur la décarbonation de l’administration ?
Jean-Guillaume Bretenoux : Plusieurs raisons convergentes ont conduit le Shift Project à s’intéresser au sujet. La première est, tout simplement, que l’administration représente près de 6 millions d’agents publics, soit environ 20 % de l’emploi en France, ainsi que 30 % environ de l’immobilier tertiaire donc des émissions produites par les bâtiments en France. Par ailleurs, nous sommes dans une logique qui veut que chacun doit contribuer à la baisse des émissions pour aboutir à la neutralité carbone en 2050.
Ensuite, le Shift Project s’intéresse à la double contrainte carbone, c’est-à-dire à la fois au changement climatique et à la raréfaction des énergies fossiles et par voie de conséquence aux risques en matière d’approvisionnement énergétique. Il y a donc un enjeu important de résilience pour l’administration publique (comme on l’a vu pendant la crise sanitaire) : comment assurer la continuité des missions de service public (sécurité publique, santé et éducation notamment) en cas d’aléas climatiques ou de problème d’approvisionnement énergétique ?
"L’administration a aussi un effet d’entraînement par le biais de la commande publique qui représente entre 5 % et 10 % du PIB en France."
Les administrations publiques ont également un devoir d’exemplarité. D’une part, par leur capacité d’entraînement de la société à deux niveaux : les citoyens étant quotidiennement en contact avec l’administration, elle peut donner l’exemple et entraîner le reste de la société à agir – l’exemple le plus évident étant l’école (apprentissage des éco gestes, alimentation…) ; l’administration a aussi un effet d’entraînement par le biais de la commande publique qui représente entre 5 % et 10 % du PIB en France sans compter les effets induits. À titre d’exemple, l’administration peut, par ses contrats avec les entreprises de restauration collective inciter ces dernières à proposer une offre décarbonée, ce qui pourra faire boule de neige auprès des autres clients de ces entreprises et créera un cercle vertueux.
D’autre part, ce devoir d’exemplarité est aussi une condition de la légitimité des pouvoirs publics à mener des actions publiques de décarbonation au sein de l’ensemble de la société en imposant des mesures qui peuvent être contraignantes ou engendrer des changements significatifs. Dans le même ordre d’idée, si l’administration pratique la décarbonation, elle sera mieux à même de l’imposer à d’autres secteurs et de manière plus pragmatique.
AEF info : Quels sont les constats qui vous ont le plus marqué ?
Jean-Guillaume Bretenoux : Tout d’abord – et c’est un constat partagé –, le manque de données dans nombre de structures – beaucoup d’entre elles n’effectuent pas leur bilan carbone et ne respectent pas leurs obligations en la matière –, mais aussi au niveau national. Ce qui est préoccupant. Par exemple, nous n’avons pas trouvé d’éléments précis sur la typologie et les surfaces des bâtiments du tertiaire public. La direction de l’immobilier de l’État dispose certes des données et travaille à les améliorer mais nous n’avons pas de données sur les collectivités locales. Il est donc difficile dans ces conditions de faire les bons choix et de prioriser les actions publiques. Cette absence de données sur les bâtiments publics, leur âge et leur consommation énergétique est le signe d’une absence de mobilisation sur le sujet.
Cela ne veut toutefois pas dire qu’il ne se passe rien. Et c’est là notre deuxième constat. Le sujet monte dans la société et la réglementation est de plus en plus contraignante en matière de réduction des consommations d’énergie des bâtiments, des flottes de véhicules, d’alimentation dans les cantines. Cela se traduit aussi par des initiatives comme le service public éco-responsable au sein de l’État (initiative lancée en 2019 qui inclut un volet sur la récolte des données puisqu’un bilan doit être établi chaque année) ou comme le décret tertiaire qui impose des réductions de consommation d’énergie dans les bâtiments. Une dynamique est effectivement engagée mais elle n’est pas encore totalement généralisée et suffisamment ambitieuse. Certains sujets ne sont pas abordés. Il y a donc encore beaucoup de chemin à faire et il faut changer de braquet pour remplir les objectifs et être à la hauteur des enjeux.
À cet égard, notre travail a suscité beaucoup de marques d’intérêt. Nombre de personnes ont envie d’agir, à tous les niveaux, des agents publics jusqu’au DGS de collectivité et aux élus. Nous avons eu beaucoup de contributions spontanées. Le terreau est donc prêt.
AEF info : Quelles sont vos principales recommandations ?
Jean-Guillaume Bretenoux : En premier lieu, il est nécessaire de mettre en place un cadre plus propice à la décarbonation, ce qui implique d’en faire une priorité qui soit affichée et déclinée tout au long des chaînes hiérarchiques. Il faut donc, concrètement, en faire un objectif de toutes les directions support. Cette priorité devrait par exemple figurer explicitement dans le décret d’attribution de la ministre chargée de la Fonction publique, de la DITP ou de la Dinum. Il ne faut pas cantonner le traitement de ce sujet aux directions du développement durable – qui, elles, devraient faire de la coordination –, mais à toutes les directions support (logistique, budget, RH, informatique…). Cette priorité est aujourd’hui encore trop cloisonnée et gérée en silo alors que c’est un sujet par définition transversal. C’est la raison pour laquelle nous recommandons de prévoir des indicateurs à tous les niveaux (Lolf, contrats d’objectifs des établissements publics, CPOM des établissements hospitaliers…). Dans les collectivités, ce sujet doit être porté par le DGS et être une priorité pour toutes les directions.
"Les administrations doivent intégrer une dimension carbone (émissions et adaptation au changement climatique) dans leurs outils de planification et décisions qui concernent les organisations des services."
En second lieu, pour que cette priorité se décline concrètement, les administrations doivent intégrer une dimension carbone (émissions et adaptation au changement climatique) dans leurs outils de planification et décisions qui concernent les organisations des services. Un schéma directeur immobilier ou un schéma directeur informatique doit ainsi intégrer la dimension carbone. Idem pour la gestion de l’eau, les outils de planification des déchets ou les plans de continuité d’activité. Une autre façon de décliner cette priorité est d’utiliser les leviers budgétaires. Les programmes d’appui à l’investissement des collectivités peuvent par exemple faire de l’impact carbone un critère d’attribution des soutiens financiers. Cela peut certes paraître compliqué mais on pourrait dans un premier temps exiger la production d’un bilan carbone.
Quatrième grande famille de recommandations : renforcer la transparence par le biais d’outils comme le budget vert avec, par exemple, des indicateurs de décarbonation. Les ministères pourraient transmettre chaque année au Parlement un rapport sur leur décarbonation. Cela les responsabiliserait publiquement. On pourrait imaginer la même chose pour les collectivités locales à partir d’une certaine taille. La transparence doit permettre que la décarbonation devienne un enjeu de communication et un enjeu électoral.
Enfin, il est essentiel de sensibiliser et de former tous les agents à tous les niveaux, qu’ils soient hauts fonctionnaires ou non et quelles que soient leurs fonctions. Ce sujet doit faire partie aussi bien de la formation initiale que continue via par exemple des remises à niveau lors des séminaires de prise de fonction. Il faut aussi former les élus. Mieux formés, les agents et les élus prendront mieux en compte les enjeux climat-énergie. Cela peut aussi susciter des initiatives à tous les niveaux.
Notre dernier axe de recommandations consiste d’ailleurs à valoriser et susciter des initiatives ce qui implique de travailler plus en transversalité, mais aussi d’accompagner, de concerter et d’en faire un élément de dialogue social pour soutenir les engagements, d’octroyer des marges de manœuvre et de les décliner localement en fonction des spécificités des missions et de la culture des administrations. Les actions menées en matière de décarbonation pourraient figurer dans le bilan social des administrations, ce dernier devenant un rapport social et environnemental. Ce document étant discuté dans les instances de dialogue social, ce serait l’occasion de mettre en avant l’importance accordée à ce sujet et d’enclencher une dynamique.
AEF info : Comment comptez-vous faire vivre ce rapport et faire en sorte que vos recommandations soient suivies d’effets, alors que se profile l’élection présidentielle de 2022 ?
Jean-Guillaume Bretenoux : Ce rapport s’inscrit dans le plan de transformation de l’économie française élaboré par le Shift Project qui vise à proposer des solutions pragmatiques pour décarboner l’économie et à alimenter le débat public dans le cadre de la campagne présidentielle. Comme le fait habituellement le Shift Project, nous allons le diffuser largement et nous appuyer sur le réseau au niveau local, ce que nous avions du reste déjà fait lors des dernières élections locales (municipales, régionales et départementales), pour porter nos propositions et essayer de les faire intégrer dans les programmes.
Nous tâchons de mettre en avant des initiatives, de susciter les échanges de bonnes pratiques entre pairs. Nous proposons d’ailleurs également de créer un vrai centre de ressources sur la décarbonation interne pour aider tous les agents et structures intéressés. Au-delà du lobbying, nous espérons que ce rapport suscitera des échanges entre les acteurs qui sont motivés mais parfois un peu pétrifiés face à l’ampleur de la tâche.
Le Conseil d'État confirme le 22 mars 2023 l’annulation de l’homologation du document unilatéral relatif au plan de sauvegarde de l’emploi de l’Afpa, au motif que l’administration n’a pas vérifié le respect, par l’employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Les hauts magistrats précisent à cette occasion l’étendue du contrôle par l’administration, à l’occasion de l’examen d’un PSE, du respect, par l’employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques psychosociaux.
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Clarisse Jay,
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