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Quelles évolutions pédagogiques pourrait entraîner la crise sanitaire du Covid-19 dans l’ESR ? C’est l’une des questions abordées lors du premier webinaire organisé par le HCERES et AEF info, le 1er octobre 2021, et dont le replay est désormais disponible (1re partie). Après une adaptation en mode "agile" et "sauve-qui-peut", plusieurs scénarios se dégagent : "remettre l’étudiant au cœur", aller vers plus "d’alignement pédagogique", adopter une "approche programme"… Mais nombre de questions se posent aussi, dont celles de l’investissement financier nécessaire et de l’évaluation.
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"Au-delà de l'adaptation des enseignements dans le contexte inédit de la crise sanitaire, des questions de fond se sont posées face aux difficultés rencontrées par les enseignants et les étudiants, mais aussi grâce à des innovations dans les universités et les écoles", analyse Lynne Franjié, directrice du département d'évaluation des formations, le 1er octobre 2021, en introduction du premier des quatre webinaires organisés par le HCERES et AEF info sous l’intitulé "Crise sanitaire : quelles évolutions pour l’ESRI et quelles perspectives pour l’évaluation ?" (lire sur AEF info). Ce premier webinaire avait pour thème "Enseigner à l’aune de la crise sanitaire".
D’abord un mode "Sauve-qui-peut"
"La crise n’a pas apporté de nouveautés technologiques révolutionnaires, ni d’innovations pédagogiques fondamentalement nouvelles. Pourtant, notre quotidien a été totalement bouleversé", témoigne François Gauer, VP "politique numérique et démarche qualité" de l’université de Strasbourg, lors de la première table-ronde de la matinée consacrée au retour d’expériences en matière de pratiques pédagogiques pendant la crise et à ce qu’il en restera.
"Il a fallu 'sortir de la zone de confort' en mode 'sauve-qui-peut', mais l’enseignement supérieur était bien préparé" à ce genre de situation, assure-t-il, avec la "valence" de la recherche et la confrontation "en permanence à l’inconnu". "Déposer une vidéo, pour moi, ce n’était pas naturel. Mais en observant sur des forums que plusieurs messages d’étudiants revenaient sur la même question, j’ai été amené à faire des petites capsules vidéo en cinq minutes", témoigne-t-il à titre d’exemple.
Accompagner les étudiants
"La crise a montré à quel point nous avons été agiles", analyse aussi Valérie Fernandes, doyenne de la faculté d’Excelia et directrice du laboratoire d’innovations pédagogiques Excelia Lab. L’école de La Rochelle est ainsi intervenue lorsque certains étudiants rencontraient des difficultés à s’équiper en matériel informatique. Elle a mis en place de nouvelles pratiques, comme des "classes miroirs" avec des partenaires académiques internationaux, pratique qui va perdurer. Néanmoins, reconnaît-elle, on a souvent "plaqué l’enseignement du présentiel au distanciel".
Les étudiants ont cependant développé "de vraies compétences en travail collaboratif", observe-t-elle aussi, ajoutant que "le travail à distance est une compétence recherchée par les entreprises". Il a fallu "leur apprendre à travailler en distanciel", avec notamment des "conseils d’hygiène mentale". Mais ce qui n’est en revanche "pas un sujet", pour aucun des étudiants, "c’est le frein technologique", dit-elle. La crise a aussi révélé un fort "besoin de lien social".
Valérie Fernandes évoque enfin "la question de l’autonomie des étudiants", qui amène à "réinterroger les pratiques d’enseignant et impacte les modalités d’évaluation et de transmission". Entre autres, il faudrait "aller vers l’apprentissage autodirigé dans le cadre d’une gestion des leviers de la motivation des étudiants. Cela amène l’enseignant à changer le rôle", analyse-t-elle.
Pas de "grand déballage pédagogique" pendant la crise
Pendant la crise, les demandes de support ont été "technos" et "personne n’était ouvert au grand déballage pédagogique", indique quant à lui Benoît Raucent, président du LLL (Louvain learning lab), invité pour ce premier webinaire à titre de témoin international. Il observe que "les pédagogies actives ont mieux résisté". "Avec, certes, des adaptations à faire : par exemple, là où on travaillait avec six étudiants en présentiel, il fallait travailler avec quatre étudiants à distance. Mais cela ne remettait pas en cause les choix pédagogiques". En revanche, "l’après crise" est plus intéressant et amène à se demander ce que l’on garde, ce que l’on change, etc.
"Enseignants et étudiants n’ont pas le même vécu de la crise. Selon une enquête réalisée à l’université catholique de Louvain, 67 % des enseignants disent que la crise leur a permis d’expérimenter de nouvelles manières d’enseigner, 57 % nous disent 'je m’engage dans cet enseignement à distance car c’est une nécessité'", expose Benoit Raucent. Mais pour les étudiants, "c’est autre chose" : "51 % disent 'j’éprouve de l’anxiété de la peur' et 40 % disent 'je fais les choses au jour le jour'."
Comme Valérie Fernandes avant lui, François Gauer estime qu’on "ne reviendra pas en arrière" : "Il s’agit de construire", alors que la crise a permis de revenir "à l’essentiel de la pédagogie", dit-il (lire sur AEF info). Comment ? En faisant évoluer les enseignements ; en remettant "l’étudiant au cœur en tant qu’acteur" ; en rappelant "la plus-value" de l’enseignement présentiel" – l’interaction – dans un contexte de "porosité" entre les différentes formes d’enseignement ; en mettant en cohérence les cours, les pratiques pédagogiques et l’évaluation des étudiants… Pour autant, François Gauer ne reprend pas à son compte l’expression de "nouvelle normalité". C’est bien "en temps réel" qu’il faudra agir et pas "au nom d’une nouvelle normalité", juge-t-il.
"Aujourd’hui, il faut aller plus loin : l’enseignement n’est plus composé de présentiel et de distanciel qu’on opposerait", si bien que "réfléchir au niveau du cours seulement paraît obsolète", estime aussi Pierre Pariente, directeur du master "audit-contrôle" de l’université Paris-Nanterre (lire sur AEF info). L’enjeu, c’est ainsi d’être au plus près de "l’expérience d’apprentissage" des étudiants. Cela implique de "repenser le comptage des heures pour calculer le service enseignant" (lire sur AEF info). Cela passe aussi par "une production sur le distanciel, en particulier en mode asynchrone".
Équipements, moyens, solutions technologiques…
Mais cela réclame "un investissement lourd", avec la nécessité de "scénariser les cours, et non pas de les juxtaposer, dans le cadre d’une pensée globale", et de faire appel à des ingénieurs pédagogiques peu nombreux à l’université, poursuit Pierre Pariente. "Avec l’aide de la puissance publique, il faudra dégager d’autres ressources financières", insiste-t-il. "À Nanterre, nous n’avons pas un sou pour lancer une production en ligne massive…"
Parce qu'"avoir autant d’outils que d’enseignants n’est pas jouable pour les étudiants", le choix technologique d’une "solution souveraine par l’établissement peut être une bonne chose", avance aussi François Gauer. La liberté académique ne peut pas en être impactée car elle ne consiste pas à "choisir l’outil, mais à poser une stratégie d’enseignement". À l’avenir, "le nomadisme étudiant va prendre de l’importance, dans le choix de cours en présentiel ou en distanciel", entrevoit aussi Valérie Fernandes : l’équipement des salles en comodal devra en tenir compte pour pouvoir accueillir "deux publics en même temps", l’un à distance, l’autre en présence.
La rupture de l’Alignement pédagogique a entraîné une perte de sens
L’architecture des formations et la manière d’enseigner sont-elles aussi appelées à évoluer ? Pour Benoît Raucent, de l’UCL, la notion d’alignement pédagogique – qui consiste en une "triple concordance" entre les acquis d’apprentissage, le dispositif d’enseignement et l’évaluation des acquis de l’apprenant – va prendre de l’importance (lire sur AEF info).
"Quand, pendant la crise, on a passé les enseignements à distance, on a dit 'on va passer l’évaluation aussi à distance’, mais le sens a été perdu car [en fait], on a évalué d’autres choses avec d’autres moyens". L’alignement n’a "pas résisté", ce qui a entraîné "une perte de sens". C’est aussi avec les acquis d’apprentissage – que la crise amène à prioriser – que l’alignement pédagogique devra se faire, et pas seulement entre enseignement et évaluation des acquis, explique-t-il.
Benoît Raucent met également en avant la notion d’ "approche programme" : "Quand certains blocs [d’enseignement] sont faits à distance et d’autres en présentiel, il y a une synchronisation à faire. Le programme ne doit plus être vu comme une morcellisation de petits enseignements où l’on finit par donner quelques heures de cours, mais il faut aller vers une globalisation de la formation". Dans une telle approche, l’équipe pédagogique prend de l’importance. "On peut concevoir que, plutôt que de recevoir l’équivalent d’un demi-crédit ECTS, on va confier à une équipe d’enseignants la gestion de dix crédits ECTS", propose-t-il.
"Pour schématiser, en France, on évoque plutôt l’approche par compétences, avec un référentiel au sommet d’où découlent les 'compétences travaillées dans les enseignements'", indiquait à AEF info Benoît Raucent en avril 2020 (lire sur AEF info). "L’expérience montre souvent qu’avec ce type d’approche, on risque de 'perdre' des enseignants en cours de route. Alors qu’au Canada, en Suisse, en Belgique, on préfère souvent parler d’approche programme. L’idée de base est de partir des enseignants pour définir, dans une approche collégiale, les acquis d’apprentissages. C’est un concept proche des compétences, mais moins dogmatique."
HCERES : vers un changement de relation avec les évalués ?
Pointant des "écueils de l’organisation actuelle des formations comme un ensemble de cours déconnectés les uns des autres, de méthodes d’enseignement et d’évaluation qui sont encore trop centrés sur des approches top down, l’approche magistrale et des modalités d’évaluation qui sont axées sur la transmission des connaissances au détriment des compétences", Lynne Franjié appelait de son côté, en introduction du webinaire, à "s’interroger sur les perspectives en matière de construction de programmes de formation qui mettraient davantage en œuvre des démarches d’alignement pédagogique, par exemple, ou bien des recours à des méthodes pédagogiques diversifiées".
"Pendant la crise sanitaire, on a vu des innovations d’urgence, comme des projets de stages à domicile ou de la mobilité at home", observe Lynne Franjié. "En matière d’évaluation, ce type d’initiative pédagogique était en général très timidement analysée par les responsables de formation, alors que le HCERES avait des critères à ce sujet depuis plusieurs années. Mais dans les auto-évaluations que nous sommes en train d’évaluer actuellement au sein de la vague B, on a relevé des amorces de réflexion, par exemple sur l’approche par compétence ou sur les enseignements à distance mis en place à l’occasion de la crise sanitaire."
Outre l’évolution des formations, les deux autres questions de fond, selon Lynne Franjié, sont la place de l’étudiant dans l’enseignement et dans l’apprentissage d’une part, le rôle et le métier d’enseignant d’autre part. "Ces questions nous occupent au HCERES au moment où nous réfléchissons à l’évaluation des formations dans l’après-crise sanitaire, mais aussi où nous élaborons les référentiels d’évaluation de la vague C qui sera lancée en novembre 2021 et mise en œuvre en septembre 2022", indique-t-elle (lire sur AEF info).
Le rééquilibrage, voire l’inversion, de la relation pédagogique entre l’étudiant et le professeur amène Thierry Coulhon, président du HCERES, "à réfléchir à un changement de relation [du HCERES] avec les évalués". Cela doit pousser le HCERES "à une attitude plus modeste", estime-t-il. "Loin de nous l’idée que nous devons être des donneurs de leçons, [il faut] plutôt essayer de percevoir du terrain sa capacité d’initiative et éventuellement la diffuser". Il s’agit aussi "d’être très concrets et très attentifs à la réalité des choses et à leur résultat", indique-t-il en conclusion de ce premier webinaire.
La rentrée 2021 a été l’occasion, pour le HCERES et AEF info, de mener un partenariat inédit pour ausculter les premiers effets à moyen terme de la crise sanitaire du Covid-19 sur le système d’enseignement supérieur et de recherche français, après 18 mois de très fortes turbulences (lire sur AEF info).
Vous pouvez retrouver les vidéos de ces quatre webinaires ci-dessous, ainsi que les synthèses écrites qui en ont été faites :
Partie 1 : Quelles pédagogies dans l’après-crise Covid ?
Partie 2 : Formation, carrières, temps de service : de nouvelles perspectives pour la pédagogie ?
Partie 1 : Vie étudiante : l’impact multiforme de la crise renouvelle fortement les pratiques
Partie 2 : Précarité étudiante : une urgence à améliorer la coordination et à établir de meilleurs indicateurs
Partie 1 : Christian Bréchot : "L’impact de la France à l’international sur le Covid a été très limité"
Partie 2 : Covid : en France, l’ESRI n’a pas été considéré comme un acteur de la résolution de la crise
Partie 3 : "Ce n’est pas aux institutions de recherche d’être les arbitres des controverses"
Partie 1 : Comment les gouvernances universitaires se sont-elles adaptées durant la crise sanitaire ?
Partie 2 : Télétravail : quel effet sur le service rendu, les encadrants, les femmes ou l’usage des locaux ?
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Catherine Buyck,
journaliste