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Les docteurs qui orientent leur carrière vers le monde de l’entreprise ne doivent pas le faire par défaut, mais par "conviction" et par "choix" : "Aller dans une entreprise ne doit pas être un plan B", résume Yves Bréchet, directeur scientifique de Saint-Gobain, lors d’une table ronde sur l’emploi des docteurs durant les Rencontres physique-entreprise-recherche de la SFP (Société française de physique), le 17 septembre 2021 à Paris. Plusieurs jeunes physiciens en entreprise illustrent ce choix et les qualités que leurs employeurs apprécient chez les docteurs, à commencer par la "créativité".
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Organisées par la SFP (Société française de physique), les rencontres physique-entreprise-recherche se sont tenues le 17 septembre 2021 au centre international de conférences de Sorbonne Université, à Paris. Droits réservés - DR - Sorbonne Université
"Quand on prépare un doctorat, on acquiert bien sûr des compétences scientifiques mais on développe aussi un état d’esprit, une manière de poser des questions et de regarder le monde, qui sont des qualités au moins aussi importantes", estime Yves Bréchet, en introduisant une table ronde sur l’emploi des docteurs aux Rencontres physique-entreprise-recherche de la SFP (Société française de physique), le 17 septembre 2021 dans les locaux de Sorbonne Université, à Paris.
"POROSITÉ" DE PLUS EN PLUS IMPORTANTE ENTRE L’ACADÉMIQUE ET L’INDUSTRIE
Yves Bréchet est lui-même docteur en sciences des matériaux, aujourd’hui directeur scientifique de Saint-Gobain après avoir commencé sa carrière comme maître de conférences à Grenoble INP avant d’être nommé professeur, puis haut commissaire à l’énergie atomique de 2012 à 2018 (lire sur AEF info).
Il estime que "se poser la question du devenir des doctorants, c’est avant tout que chacun se demande où il se sentira le plus utile". Monde académique ? Industrie ? "Les relations entre ces deux mondes ont beaucoup évolué, et la porosité va être de plus en plus importante, pas forcément dans les formats que nous avons actuellement", assure-t-il. Selon lui, l’une des qualités reconnues du doctorat, y compris par les entreprises, c’est d’être "une école de créativité et de réactivité".
LA CRÉATIVITÉ, UNE QUALITÉ ESSENTIELLE ACQUISE DURANT LA THÈSE
David Louapre peut en témoigner. Après son doctorat de physique quantique obtenu à l’ENS Lyon en 2004, il est entré comme ingénieur de recherche au centre d’Aubervilliers de Saint-Gobain, où il a fait des mathématiques puis de la physique appliquée pendant douze ans, dont trois aux États-Unis. Aujourd’hui, il est directeur scientifique d’Ubisoft, société de jeux vidéo. Il a aussi créé la chaîne "Science étonnante" sur YouTube.
"Certaines entreprises peuvent avoir la perception qu’une personne ayant fait trois ans de doctorat a perdu son temps par rapport à celle qui sort d’une école d’ingénieurs. Mais s’il est une qualité essentielle que l’on acquiert et que l’on cultive pendant ces trois ans de thèse, c’est bien la créativité. Cela fait une différence qui est une véritable carte à jouer sur le marché de l’emploi", souligne-t-il.
La créativité, mais aussi la réactivité et la capacité à s’adapter : "Je venais de commencer mon doctorat à Lyon quand mon directeur de thèse est parti au Canada au bout de trois mois pour saisir l’opportunité d’une collaboration avec Blackberry, m’invitant à le suivre si je le voulais. Je me suis donc retrouvé à Waterloo, près de Toronto, sans bien savoir à quoi ma thèse ressemblerait à la fin. C’est un peu déstabilisant, mais c’est aussi super formateur !"
"ON OSE, ON N’A PAS PEUR, ET C’EST LIÉ À LA THÈSE"
"On ose, on n’a pas peur, et c’est lié à la thèse", renchérit Maxime Harazi, docteur en acoustique de l’université de Paris (2017) et chercheur en acoustique physique à la start-up grenobloise Hap2U depuis 2019, après un post-doc de deux ans – à Grenoble également. "Il y a toujours plein de problèmes qui arrivent pendant une thèse : une manip qui ne marche pas, un appareillage qui casse, une collaboration qui ne se fait pas…" Au-delà de cette aptitude à gérer le risque, Maxime Harazi met aussi en avant le fait que les docteurs "connaissent les laboratoires et les personnalités de leur discipline, savent où chercher des compétences, ce qui a de la valeur pour une entreprise".
Il conseille toutefois d’être "très clair" sur son aspiration et d’en faire part à l’employeur dès les entretiens de recrutement. "La recherche dans le public et le privé, ce n’est pas pareil. Une entreprise a des notions de rendu, de rentabilité, de clients. J’ai dit dès l’entretien d’embauche que, sans aller jusqu’à vouloir travailler en autarcie dans ma bulle, sans interaction avec les clients, je voulais plutôt être chercheur, rédiger des articles, participer à des séminaires et des conférences scientifiques, et cela a convenu à l’entreprise."
ATTENTION À NE PAS CROIRE QUE L’INNOVATION NE VIENT QUE DE LA SCIENCE
"Les entreprises cherchent de plus en plus des 'problem solvers' ", analyse de son côté Thomas Houy, docteur en management de Télécom Paris (2008), où il est depuis maître de conférences en stratégie d’entreprise et entrepreneuriat. Souhaitant être entrepreneur, il avait commencé par créer son entreprise, "qui a bien marché puis s’est bien plantée", relate-t-il. Ce qui ne l’a pas empêché de monter une deuxième société une fois son doctorat en poche, en parallèle à son activité d’enseignant-chercheur.
"Quand il n’y avait que le risque à gérer, les entreprises pouvaient se couvrir en établissant des business plans. Mais nous sommes maintenant dans un monde d’incertitude, qui amène à passer du seul 'design' au 'problem solving'. La créativité est donc devenue une qualité importante, pour résoudre des problèmes que l’on n’avait pas anticipés. Le doctorat est pour cela une très bonne école."
D’autant, précise-t-il, que l’on n’innove plus comme avant, "sur la base de l’intuition, mais sur une base scientifique" : "Les VC [capitaux-risqueurs] veulent avoir des preuves que cela va marcher. Et ce changement oblige à une forme d’humilité, de savoir reconnaître que l’on ne sait pas tout et donc de comprendre comment résoudre le problème. Or c’est typique des docteurs, qui s’enrichissent du savoir des autres, dans une vraie dynamique de découverte et d’interdisciplinarité pour co-construire et trouver la solution." Il met aussi en garde contre le "défaut des chercheurs qui, lorsqu’ils essaient d’innover en entreprise ou de créer une spin-off, se challengent sur l’excellence scientifique des dispositifs, alors que l’excellence du design et l’expérience utilisateur sont tout aussi importantes".
L’ATOUT DE SAVOIR TRAVAILLER EN AUTONOMIE ET EN ÉQUIPE
Constance Moreau-Luchaire, docteure en physique de l’université Paris-Saclay (2016), a pour sa part décidé de quitter le milieu académique pour le conseil en marketing stratégique chez BCG, pendant deux ans, avant de rejoindre la Maison du whisky fin 2020, où elle est responsable du marketing. Ce parcours lui a montré qu’il y a deux catégories d’entreprises : "celles qui considèrent que le doctorat est un vrai plus en ce qu’il apprend à réfléchir, indépendamment du sujet de la thèse ; et celles, encore nombreuses, qui pensent que si l’on a un doctorat de physique, on ne saura faire que de la physique".
"Tout l’enjeu consiste donc à démontrer que l’on peut être plus que son sujet de thèse, à montrer toutes les compétences que l’on a acquises – dont la rigueur dans la réflexion – et que même si l’on n’a jamais fait de business, on peut apprendre rapidement." Le fait de "savoir travailler en autonomie et en équipe est intéressant pour le monde de l’entreprise", ajoute-t-elle. "Les docteurs n’hésitent pas à aller trouver les bonnes personnes pour surmonter un obstacle : c’est très rassurant et important pour un manager, qui peut alors avoir une relation de confiance."
Dans ce type de société, explique-t-elle aussi, "il faut sortir d’un certain nombre d’écoles pour passer le premier tour" de la sélection à l’embauche, mais il se trouve que le "PhD" fait partie des diplômes requis. "Le processus de recrutement des docteurs est le même que pour les autres diplômés, mais la société vérifie que les docteurs savent bien où ils s’embarquent et qu’ils ont les connaissances requises par rapport à celles des ingénieurs ou des commerciaux." "De plus en plus d’entreprises sont ouvertes aux profils des docteurs, pour leur créativité, et le doctorat reste la référence à l’international", confirme David Louapre.
"SI NOUS FAISONS DES ÉTUDES AUSSI LONGUES, C’EST POUR ÊTRE HEUREUX DANS NOS JOBS"
Elle insiste sur le fait que son parcours est le fruit d’un "vrai choix" : "Je ne voulais pas poursuivre dans le monde académique. Mon premier choix s’est porté sur le conseil en stratégie et je voulais exercer dans un gros cabinet. Je n’ai postulé qu’à deux sociétés : BCG – que je voulais – et McKinsey." "Parmi les conseils que j’ai pu donner à mes doctorants, j’ai toujours insisté sur le fait qu’aller dans une entreprise ne doit pas être un plan B, mais un plan A' ", renchérit Yves Bréchet.
"Il faut avoir une mémoire extraordinaire pour tenir dans le mensonge", poursuit-il. "Donc si vous allez en entreprise, ce ne doit pas être pour y jouer un rôle ni essayer de mentir sur votre motivation si c’est par défaut, d’autant qu’en plus vous n’y seriez pas heureux." En s’appuyant sur sa propre expérience, il indique que chaque emploi qu’il a occupé répondait à une "conviction personnelle" et à ses "affinités" : "Il faut avoir la conviction d’aller dans un endroit où l’on se sentira bien, et on s’y sentira bien si on y a des affinités", résume-t-il.
"Il ne s’agit pas de faire sa diva, mais les docteurs ont quand même de l’or entre les mains", conclut Maxime Harazi. "Et si un poste ne vous convient pas, il y a suffisamment d’offres sur le marché pour en changer. Si nous faisons des études aussi longues, c’est quand même pour que l’on soit heureux dans nos jobs."
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René-Luc Bénichou,
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