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"Je suis très pessimiste, je pense que le débat de Glasgow [COP 26 en novembre 2021] va échouer", affirme Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, lors de l’université d’été du Medef, mercredi 25 août 2021. Il constate une fracturation du monde depuis la crise du Covid et le repli sur soi de chaque pays, alors que "le changement climatique est un problème global". Interrogé sur sa nouvelle stratégie, il se défend de faire du greenwashing. Le PDG plaide également sa cause sur la présence de la compagnie pétrolière en Birmanie.
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Le premier débat de la REF a porté sur l'éthique des entreprises. AEF
"On a perdu notre capacité de liberté de penser ou d’expression. Concernant le changement climatique, j’ai parfois l’impression que je n’ai pas le droit de dire ce que je pense. On a beaucoup de mal à avoir un débat serein sur le climat", avance Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies. Il intervenait lors d’un débat sur "l’éthique du business", organisé par le Medef le 25 août 2021, à l’occasion de son université d’été, appelée la REF (Rencontre des entrepreneurs de France).
un enjeu global dans un monde fracturé
"Comment peut-on traiter un sujet global comme le changement climatique alors que le monde se fracture depuis la crise du Covid et que chacun fait preuve d’égoïsme, s’occupant uniquement de sa propre population ?", s’interroge le PDG de la compagnie pétrolière. "Ce n’est pas en dépensant des milliards d’euros en Europe dans le cadre de Fit for 55 que l’on est plus efficace", estime-t-il.
"Le sujet c’est : qu’est-ce que l’Inde va faire demain pour sortir de la pauvreté énergétique ? Je suis très pessimiste, je pense que le débat de Glasgow va échouer. Parce que l’Inde et d’autres pays vont rappeler l’article de l’accord de Paris sur le transfert financier majeur [les 100 Md $ que les pays développés doivent fournir chaque année aux pays en développement à compter de 2020, selon l’engagement pris en 2009] afin de permettre à ces pays de donner à leur population une énergie décarbonée. Ne pas se poser la question de ce transfert, c’est passer complètement à côté du sujet."
"une transformation qui suppose du courage"
Questionné sur la sincérité de l’engagement environnemental de TotalEnergies par rapport à son nouveau nom, il souligne que "lorsqu’on décide de changer le nom d’une entreprise qui a 100 ans, ce n’est pas une décision que l’on prend au hasard pour faire du greenwashing". "J’ai d’autres moyens de le faire", ajoute Patrick Pouyanné. "Alors qu’on sait que le marché de l’énergie doit bouger et que le pétrole va décliner, c’est un choix profond, durable et rentable de positionner l’entreprise sur des marchés qui vont croître, comme l’électricité. On ne va pas mentir, on va continuer à produire du pétrole car aujourd’hui la planète fonctionne à 80 % aux énergies fossiles mais on va faire évoluer l’entreprise avec un programme et un engagement extrêmement clair."
Pour le patron de TotalEnergies, ce ne sont pas que des paroles puisque "déjà cette année, un quart des investissements sont consacrés aux énergies renouvelables, soit trois milliards de dollars". "Et si je peux faire cet investissement, c’est parce que je sors 25 milliards de revenus du pétrole."
"Comme PDG, je me considère comme responsable de ce qui va se passer jusqu’en 2030, à ce moment les produits pétroliers ne représenteront plus que 30 % des ventes de Total (avec 50 % de gaz et 15 à 20 % d’électricité)", affirme-t-il. C’est une transformation qui suppose du courage. On se donne les moyens de devenir un des cinq premiers producteurs d’énergie renouvelables en 2050."
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, lui fait la remarque que sa responsabilité en tant que patron de compagnie pétrolière va bien au-delà de dix ans. Patrick Pouyanné assure alors qu’il partage cette idée intergénérationnelle, vivant "directement des débats" avec ses enfants. "Je fais cette transformation pour eux et pour mes salariés qui se sentent plus à l’aise dans une entreprise progressiste plutôt qu’une qui subit des attaques permanentes".
régulation de libéralisme autoritaire
"Il est évident que les entreprises doivent changer, car il est question de préservation de l’humanité. Le message du Giec saura mettre au défi les plus sceptiques", espère Eva Sadoun, coprésidente du Mouvement Impact France, qui organise également ses universités d’été de l’économie de demain (lire sur AEF info). Elle pointe cependant un problème majeur freinant la transition : "Pour le moment, cela coûte moins cher d’émettre, de délocaliser. Il y a toute une régulation de libéralisme autoritaire qui favorise une seule forme d’entreprise." Pour elle, il va falloir "aider les entrepreneurs en créant une compétitivité sociale et écologique, qui ne passe pas que par la taxe carbone mais toute une nouvelle fiscalité d’incitation".
La représentante d’Amnesty International salue l’engagement des entreprises mais souligne le fait que "la crise est de telle proportion qu’il faut aller au-delà". "Les actions volontaires ne suffiront pas, donc nous appelons à transposer la loi sur le devoir de vigilance au niveau international, sous forme de traité international de l’Onu (lire sur AEF info)".
L’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine appelle, lui, à "remettre un peu de géopolitique dans le débat". "Il faut distinguer l’obligation écologique, ce que j’appelle l’écologisation qui s’impose à tout le monde, de la volonté des élites occidentales de se servir des entreprises pour poser des conditions et moraliser le reste du monde. Il ne faut pas surcharger les entreprises de toutes sortes de missions que les gouvernements n’arrivent plus à mener, ça ne marchera pas."
Total en Birmanie
Interrogé sur la présence de TotalEnergies dans des pays comme la Birmanie, Patrick Pouyanné admet que "le débat sur la présence d’une entreprise dans un pays qui ne respecte pas les droits de l’homme est l’un des plus compliqués". "Total s’est développé là où il y a du pétrole et du gaz, ce n’est pas nous qui décidons où ils se trouvent. Total était déjà en Birmanie avant que la junte vienne au pouvoir."
"Désormais, on attend de TotalEnergie, entreprise mondiale, d’être une espèce de lieu de souveraineté et de devenir le régulateur porteur de ces valeurs. Mais je suis face à un dilemme : si je ne paye pas mes impôts, mon patron local peut aller en prison, et si j’arrête la production d’énergie, je coupe ce service pour la population locale, les hôpitaux. D’ailleurs, la junte pourrait avoir recours au travail forcé. Et si je quitte le pays, je revends mes actifs à qui ? à des entreprises chinoises ? À des entreprises contrôlées par la junte ? Il n’y a pas vraiment de bonne solution", déplore-t-il.
"Les atteintes aux droits humains en Birmanie sont terribles mais le nombre des pays où ce n’est pas idéal est plus élevé qu’on le pense. Si aujourd’hui, on devait décider d’entrer dans un tel pays, ces questions seraient bien plus prises en considération qu’avant", remarque le PDG.
Agnès Callamard assure de son côté qu’Amnesty International sait entendre et prendre en compte ces problématiques. "Nous savons que le retrait de Total de Birmanie à l’heure actuelle aurait des impacts négatifs sur les populations locales. Ce que nous demandons aux entreprises, c’est qu’elles mettent en œuvre les recommandations de la communauté internationale et qu’elles cherchent à protéger les droits humains dans la mesure où elles en ont la capacité et le contrôle. Nous attaquons les entreprises quand nous avons des preuves claires qu’elles ont manquées à des obligations qu’elles auraient pu respecter." Elle se félicite également de la "prise de conscience du système juridique de la responsabilité pénale des entreprises pour leur contribution à la violation des droits humains".
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Sabrina Dourlens,
journaliste