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"Deux éléments permettent de confirmer le soupçon : un gain atypique et un flux financier atypique" : invité à s’exprimer au cours d’une table ronde organisée par le Ceifac jeudi 10 juin 2021, Fabien, un enquêteur de Tracfin a longuement évoqué les méthodes utilisées par le service de renseignement pour détecter les manipulations liées aux paris sportifs et dont les gains utilisent des circuits de blanchiments. Le spécialiste invite à poursuivre la surveillance des réseaux "déjà identifiés et signalés". Il évoque aussi les cartes prépayées, utilisées par les fraudeurs pour les jeux en ligne.
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En 2019, Tracfin a récupéré 100 000 informations concernant d’éventuelles manipulations sportives. C’est ce qu’indique Fabien, responsable d’une division de huit enquêteurs de ce service de renseignement français au cours d’une table ronde organisée le jeudi 10 juin 2021 par le Collège européen des investigations financières et de l’analyse financière criminelle (Ceifac), et portant sur "le renseignement au service de la lutte contre les manipulations, les fraudes et le blanchiment". Parmi ces huit enquêteurs, deux sont spécialisés sur la thématique du jeu. "Nous ne travaillons que sur les informations transmises", précise-t-il.
Ces informations émanent de différentes sources : personnes — physiques ou morales — assujetties au Code monétaire et financier dans le cadre de déclaration de soupçons, autorités administratives françaises lorsqu’elles détectent au cours d’opérations de contrôle des faits qui pourraient être qualifiés de blanchiment, échanges entre CRF, banques qui transmettent des informations sur les dépôts ou retraits d’espèces importants réalisés sur des comptes bancaires français en tenant compte du seuil et de la récurrence de ces opérations, entreprises spécialisées dans le transfert d’argent — telles que Moneygram ou Western Union — lorsqu’elles notent des transferts particulièrement importants ou réguliers.
"Confronter des soupçons"
Tracfin ne "peut pas tout traiter" parmi la masse d’informations envoyée et doit donc "prioriser", notamment par rapport aux enjeux financiers. "Lorsque nous n’arrivons pas à confirmer, l’information n’est jamais classée : elle est mise en attente", précise Fabien. Le service dispose en effet d’un "data lake" (en français, "lac de données") qu’il peut exploiter "pour confronter des soupçons de manipulations sportives" dans le but d’établir un lien entre la manipulation en question et des flux financiers. "L’élément financier ne caractérise pas la manipulation sportive, il apparaît soit en amont, soit en aval", poursuit l’enquêteur.
Afin que les acteurs qui contrôlent les paris sportifs puissent repérer plus rapidement les informations susceptibles d’être exploitées par les enquêteurs, Tracfin et l’Autorité nationale des jeux ont déterminé ensemble les "atypismes du jeu" qui méritent un signalement : prises de paris importants sur des équipes ou des sportifs "favoris", concentration de paris sur une zone géographique donnée qui laisse penser "qu’il pourrait y avoir collusion entre différents parieurs", offre secondaire qui reçoit étonnamment beaucoup de paris, prises de paris importantes sur des comptes récemment créés. Un taux de réussite anormalement élevé dans les résultats d’une équipe donnée est également considéré comme un élément à signaler.
Relier les éléments financiers à la manipulation
Lorsque les enquêteurs suspectent une manipulation sportive, ils s’attachent à trouver des éléments financiers qui relient le pari à la manipulation. "Idéalement nous recherchons un flux financier entre le parieur et un des acteurs de la compétition", indique Fabien, qui poursuit : "deux éléments permettent de confirmer le soupçon : un gain atypique et un flux financier atypique. La plupart du temps ce qui nous est signalé concerne des matchs à l’étranger, et nous dépendons donc des autorités étrangères".
Comme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (lire sur AEF info), l’enquêteur se positionne en faveur d’une attention toute particulière accordée aux "signaux faibles" en étant attentif aux éléments qui concernent des joueurs ou des arbitres afin de voir "comment ils pourraient être impliqués dans des matchs supposés truqués". Il estime par ailleurs primordial de surveiller les réseaux déjà identifiés et sanctionnés, afin de vérifier si ceux-ci continuent à vivre malgré les sanctions, et si le produit des fraudes déjà identifiées utilise désormais des circuits de blanchiment.
Le jeu pour "masquer l’origine des fonds"
Au-delà des paris sportifs, l’enquêteur évoque également le jeu, notamment en ligne. Il mentionne l’article 324-1-1 du Code pénal qui permet, depuis 2013, de "mettre en avant la présomption de blanchiment" : "à partir du moment où les circuits utilisés sont complexes et n’ont d’autre explication que la volonté de dissimuler l’origine ou la destination des fonds, on estime que c’est du blanchiment".
Selon lui, le jeu est justement utilisé par certains pour "masquer le plus possible l’origine des fonds" car il permet l’anonymat dans un certain nombre de cas, comme le PMU. "Avec l’arrivée des jeux en ligne, on s’est dit que la traçabilité sur internet allait faire tomber l’anonymat mais c’était une erreur de jugement. Les fraudeurs ont développé des compétences importantes en matière de fraude documentaire pour pouvoir ouvrir des comptes joueurs avec de fausses identités" note-t-il. "Cela nous a obligés à monter en gamme sur ce type de fraude en nous intéressant aux données de connexion et aux faux documents."
L’enquêteur évoque aussi la notion d’opacité permise par le jeu : sur les points de vente fixe, les fraudeurs peuvent utiliser des espèces tandis qu’en ligne, ils se servent de cartes prépayées, également achetées en espèces. Tracfin souhaite donc développer le travail effectué avec les sociétés qui gèrent ces cartes prépayées afin d’obtenir des informations.
Également invité à cette table ronde, le directeur sécurité de la Française des jeux Philippe Lemaire rappelle que la société a les mêmes obligations de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme qu’un établissement financier. "Nous avons à disposition des informations exclusives pour mettre en œuvre ces obligations de vigilance", précise-t-il. Il s’agit notamment d’informations sur les transactions de jeu et sur les détaillants (30 000 points de vente en France). Philippe Lemaire précise que la Française des jeux compte 25 millions de clients dans l’Hexagone et 3 millions en ligne. La société répertorie chaque année "plusieurs milliards de transactions et près d’un million de gagnants par an" qui figurent dans ses fichiers conservés "cinq ans".
Voici une sélection des brèves fonction publique de la semaine du 20 mars 2023 :
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Laetitia Dive,
journaliste