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"La sortie de la crise sanitaire et le durcissement de la compétition internationale nécessitent d’accompagner les entreprises sur trois enjeux stratégiques, dont le plus important est celui de l’évolution des compétences", déclare à AEF info Patrick Martin, le président délégué du Medef. Un sujet qui "n’est pas encore suffisamment intégré dans la vision stratégique des entreprises". Dans ce cadre, mais aussi pour rétablir l’équilibre financier du système de formation, il estime que la possibilité d'"encourager les entreprises à investir dans les compétences via [un] plan de transformation de l’économie" pourrait être envisagée. Alors que le Medef va conventionner avec la CDC pour promouvoir le CPF auprès de ses adhérents, il plaide également pour une prise de conscience des entreprises vis-à-vis de ce dispositif dont elles devraient s’emparer dans une logique de coconstruction.
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Patrick Martin, président délégué du Medef Medef
AEF info : Les bouleversements économiques liés à la crise sanitaire ont placé la formation professionnelle au rang des priorités. Que faut-il faire pour entretenir cette dynamique afin d'accompagner la reprise ?
Patrick Martin : Nous sommes convaincus que la sortie de la crise sanitaire et le durcissement de la compétition internationale nécessitent d’accompagner les entreprises sur trois enjeux stratégiques : la transition écologique, la digitalisation et, c’est de mon point de vue le plus important, l’évolution des compétences. Ce sujet n’est pas encore suffisamment intégré dans la vision stratégique des entreprises qui, pour certaines, en sous-estiment encore le caractère essentiel. C’est ce qui va nous amener, dans le cadre des discussions que nous avons avec le gouvernement, non pas sur un "plan de relance 2" mais sur un plan de transformation de l’économie, à inviter les pouvoirs publics et les entreprises à mieux prendre en compte ce sujet des compétences.
Nous devons clairement faire plus et mieux en matière de formation initiale et professionnelle. Nos adhérents implantés en Asie constatent que, d’une part, les écarts de salaire avec l’Europe et la France diminuent progressivement mais aussi que, d’un autre côté, le niveau de qualification des salariés dans ces pays monte extrêmement vite. Le rapport coût-efficacité des collaborateurs asiatiques s’améliore de jour en jour et ce, même si les salaires augmentent. C’est un vrai défi alors que nous nous interrogeons sur l’attractivité et la compétitivité de la France.
AEF info : Quels sont les leviers pour accélérer les actions en faveur du développement des compétences ?
Patrick Martin : À un moment ou un autre, nous allons tomber sur un sujet de financement. Nous le voyons au travers de la situation difficile de France compétences et plus largement de tout le système de formation. Au moment où nous devons donner un coup de collier colossal sur les compétences, nous avons un système globalement déséquilibré. Ce qui a été mis en place, de manière remarquable, par l’État pour le financement de l’alternance ou, dans une moindre proportion, sur le financement des transitions collectives, risque d’être insuffisant. Il va falloir des mesures d’accompagnement supplémentaires pour les entreprises, sans qu’on sache encore dire de quelle nature, qui devront être une part majeure du plan de transformation de l’économie.
AEF info : Dans ce contexte, en quoi le CPF monétisé peut-il être un outil intéressant pour les entreprises ?
Patrick Martin : Il y a une réelle montée en puissance du CPF que découvrent les salariés et les entreprises, mais nous considérons que nous sommes encore loin du compte. Le Medef estime qu’il est de sa responsabilité de participer à l’appropriation du CPF par les entreprises. Le dispositif est certes récent, mais il y a urgence à rehausser le niveau de compétences des actifs en France et le CPF doit participer à cette dynamique. Il y a une forme d’incompréhension de nombre d’entreprises sur la philosophie du CPF, présenté comme un outil à la main des salariés. Beaucoup d’entre elles ont intégré que c’était un fait acquis et que le CPF n’était plus un objet pour elles. Nous nous efforçons de faire passer le message qu’il peut et même qu’il doit y avoir de la coconstruction et du cofinancement avec les employeurs. Nous porterons prochainement des propositions dans ce sens.
AEF info : Le CPF tel qu’il est issu de la loi "Avenir professionnel" répond-il à vos attentes ou espérez-vous le voir évoluer à la suite des concertations avec le ministère du Travail ?
Patrick Martin : Nous commençons à disposer, que ce soit les entreprises, les branches ou les Opco, de données significatives particulièrement intéressantes pour avoir un "film" de la consommation tant qualitative que quantitative du CPF. Cela permet notamment de constater que l’utilisation du CPF pour des formations "décalées" par rapport aux attentes des entreprises ne se confirme pas. Nous voyons également qu’il y a dorénavant une meilleure répartition de l’accès aux formations sur tous les niveaux hiérarchiques. Sur ces points la loi remplit ses objectifs et le travail réalisé par la CDC pour mettre à notre disposition ces éléments d’analyse est à souligner.
Par ailleurs, le CPF est l’un des thèmes dont nous discutons avec les autres partenaires sociaux dans le cadre de l’agenda social autonome initié par le Medef, et des constats communs semblent se dessiner. Le décalage actuel entre aspirations des salariés et priorités de l’entreprise est logique. Ce n’est pas faire offense aux salariés que de constater qu’il leur manque parfois un certain nombre d’informations sur les opportunités et les tendances générales du marché de l’emploi en général, mais aussi dans leur branche et dans leur entreprise. De notre point de vue, l’objectif, sans toucher à ce stade au dispositif, est que les entreprises s’impliquent plus, informent plus et mieux leurs salariés pour mieux orienter la consommation du CPF et permettre une utilisation plus massive du CPF.
AEF info : Cette meilleure implication des entreprises peut passer par l’entretien professionnel ou un meilleur dialogue social en entreprise sur la formation…
Patrick Martin : Si le dialogue social sur le plan de développement des compétences n’est pas aussi riche qu’il devrait l’être, c’est aussi parce que les entreprises ont excessivement considéré qu’elles avaient été dépossédées de leur rôle dans la définition de leur politique de formation, ce qui n’est pas tout à fait vrai. Sans changer quoi que ce soit, il faut une prise de conscience dans les entreprises : le développement des compétences est un enjeu primordial et le CPF a toute sa place pour y contribuer.
AEF info : Le Medef et la CDC vont signer une convention autour du sujet du CPF
Patrick Martin : Nous allons signer cette convention pour systématiser l’accès aux données dont dispose la CDC sur le CPF. Quelques grandes entreprises, branches professionnelles ou Opco ont déjà établi un lien avec la Caisse des dépôts pour accéder à ces données extrêmement riches. Notre idée est de systématiser cette pratique pour que toute entreprise ou branche qui le souhaite puisse enrichir ou étayer ses stratégies en matière de formation sur la base des données collectées par la CDC.
Nous avons trop tendance à raisonner à l’échelle macro, au niveau national, tous métiers confondus. Il est indispensable que nous puissions descendre au niveau des branches et de l’entreprise pour prendre en compte les problématiques sectorielles et territoriales. Nous sommes contraints par les ressources financières. Par conséquent, le moins que nous puissions faire est d’utiliser les ressources disponibles de la manière la plus pertinente possible. L’outil déployé par la CDC permet de viser ce niveau de pertinence et de précision. Concrètement, nous allons avertir tous nos adhérents de l’existence de ces données et les inciter à les utiliser en nous appuyant sur nos fédérations et nos 122 Medef territoriaux.
AEF info : Pensez-vous que le dispositif du CPF peut ou doit être mis à contribution pour rétablir l’équilibre financier du système de formation ?
Patrick Martin : Nous ne pouvons pas sortir de cette situation financière précaire par le bas, par des mesures strictement économiques. Bien sûr, il faut optimiser le fonctionnement de la formation qui demeure très lourd et complexe. Les acteurs doivent comprendre que cette complexité, un peu délibérée, est un repoussoir pour les salariés comme pour beaucoup d’entreprises. Nous devons nous employer à simplifier le système.
Sur l’aspect financier, des économies de fonctionnement peuvent être dégagées. On peut réfléchir à un ticket modérateur pour le CPF, sans doute aussi à une baisse concertée des coûts-contrats pour l’apprentissage en associant les branches… mais cela ne réglera pas l’impasse financière.
D’autres solutions peuvent être explorées, notamment encourager les entreprises à investir dans les compétences via le plan de transformation de l’économie et revisiter le modèle et la gouvernance de France compétences. La stratégie du pays doit prendre en compte l’enjeu des compétences beaucoup plus que ce n’est le cas aujourd’hui. Si le PIC était financé par le budget général de l’État, le milliard et demi afférent pourrait être "refléché" vers la formation des salariés et représenterait une belle bouffée d’oxygène.
En l’état actuel des choses, il y a des incohérences dans le système. Déjà, au travers du PIC, les entreprises prennent en charge la formation des demandeurs d’emploi. Leur revient-il d’assumer ce coût du PIC à hauteur de 1,5 Md€ par an ? Le propos n’est pas de dire que cette politique publique n’a pas lieu d’être mais, dans un cadre financier contraint, on ne peut demander aux entreprises de tout financer avec le 1,68 % [de la masse salariale dédié à la Cufpa]. C’est une problématique que nous avons sur beaucoup de sujets. Les contributions des entreprises financent souvent des dépenses de solidarité… et cela fragilise la gouvernance des organismes concernés. C’est ce qui se passe avec Action Logement, à l’Unedic… À un moment donné, il faut que les politiques publiques soient portées par le budget de l’État. L’argent ne tombant pas du ciel, les choix faits le sont forcément au détriment d’autres priorités.
Une deuxième incohérence concerne le CPF. Il a été pensé comme un système de capitalisation alors que, tel qu’il fonctionne concrètement, il s’avère être un système de répartition. Le système est dénaturé. Entendre dire que, compte tenu du rythme de la consommation du CPF, nous pourrions ne pas pouvoir financer les formations demandées est aberrant. Par définition, les salariés autofinancent, via les entreprises, leur formation. Si on leur disait qu’ils ne peuvent pas utiliser l’intégralité de leurs droits acquis ils seraient en droit de demander des comptes.
AEF info : Quand on parle équilibre financier du système, il faut aussi parler des ressources disponibles. Le Medef n’est toujours pas disposé à évoquer une hausse de la contribution formation ?
Patrick Martin : Je vous confirme que le sujet n’est pas d’actualité pour nous. Lorsque nous parlons de mettre en place un système incitatif pour les entreprises, nous envisageons bien évidemment un dispositif qui s’appuie sur le volontariat. Il ne peut pas y avoir, d’un côté et sous différentes formes (des subventions dans le cadre du plan de relance ou des dispositions fiscales du type suramortissement), des incitations à ce que les entreprises investissent dans le digital, dans la transition écologique… et qu’on ne retrouve pas des incitations de même nature pour qu’elles investissent dans les compétences.
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Christophe Marty,
journaliste