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Sur son site internet, la CFE-CGC Michelin dénonce l’introduction d'"un objectif annuel obligatoire portant sur la réduction d’effectifs", rapporté par "plusieurs managers" dans un contexte de réorganisation en cours dans l’entreprise. "Les managers peuvent même surperformer à 120 % en 'supprimant' plus de postes que prévu…", s’inquiète le syndicat catégoriel. Cet objectif a été, depuis, reformulé, et porterait désormais sur la réduction de frais. Mais est-il légal de fixer un objectif de réduction d’effectifs aux managers ? Quels risques peut entraîner une telle pratique ? Selon Carine Cohen, avocate au sein du cabinet Walter Billet, cette pratique est "très risquée". Elle peut entraîner des "effets pervers" susceptibles de menacer la santé des salariés. Selon Arnaud Teissier, avocat chez Capstan, "il n’est pas anormal que les managers soient un relais d’un projet d’entreprise".
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Dans le cadre de la réorganisation en cours chez Michelin (lire sur AEF info), "la CFE-CGC a été alertée par plusieurs managers, sur une demande 'étrange' de leur hiérarchie qui leur propose en 2021 un objectif annuel obligatoire portant sur la réduction d’effectifs", peut-on lire sur le site du syndicat catégoriel, dans un post daté du 14 avril 2021. "Il fait référence au projet Simply avec un indicateur d’atteinte en 'nombre de salariés en moins' au 31 décembre 2021. Les managers peuvent même surperformer à 120 % en 'supprimant' plus de postes que prévu…" Et la CFE-CGC de souligner "l’empressement de quelques services à déclarer 'éligibles' des salariés 'invités' à se positionner sur la RCC 2021" (lire sur AEF info).
L’objectif a depuis été retiré, sur demande de l’organisation, et reformulé, en mentionnant plutôt la "réduction de frais", rapporte-t-elle. Pour la CFE-CGC, cette formulation traduit "un objectif d’améliorer la productivité, qui nous convient, car il ne faut pas se voiler la face".
"On a bien été alertés par la CFE-CGC sur cette formulation des objectifs, qui n’est pas conforme", confirme la direction de Michelin. "Le 13 avril dernier, on a envoyé un mail aux managers concernés par le projet 'Simply', en rappelant que la formulation d’objectifs en termes de réductions d’effectifs était contraire au projet. Ce projet concerne la réduction des frais généraux, et pas en premier lieu la réduction d’effectifs, qui ne peut d’ailleurs être un objectif en soi. On a aussi rappelé que tout impact sur les effectifs doit s’inscrire dans un accompagnement social."
Les managers peuvent être un "relais positif"
Au-delà du cas de Michelin, cette pratique est-elle légale ? Selon Carine Cohen, avocate au sein du cabinet Walter Billet, "c’est une pratique qui peut se faire, mais qui est très risquée. Il faut faire attention à la manière dont cet objectif est rédigé". Si les postes supprimés s’inscrivent dans un PSE, "l’employeur devra mettre en place et appliquer des critères d’ordre des licenciements", qui ne sont pas compatibles avec des objectifs de réduction d’effectif ciblés parmi les salariés, rappelle l’avocate. Si les suppressions de poste s’inscrivent dans le cadre d’un appel à volontariat, des objectifs assignés aux managers risquent de suggérer que "l’employeur sait déjà qui sont les salariés qu’il souhaite voir partir".
"Est-il fautif que les managers aient pour objectif de contribuer à la réussite de la RCC ?", interroge pour sa part Arnaud Teissier, avocat associé chez Capstan. "Il n’est pas anormal que les managers soient un relais d’un projet d’entreprise, dès lors qu’ils ne posent pas de contrainte aux collaborateurs pour qu’ils signent une rupture conventionnelle. Aujourd’hui, il y a d’ailleurs une attente des instances de représentation du personnel et de l’administration du travail à s’assurer de la mise en œuvre d’un accompagnement tout au long de la procédure de réorganisation. Les managers peuvent participer à cette dynamique d’accompagnement et être des relais positifs de la réorganisation." Arnaud Teissier rappelle par ailleurs qu’une RCC peut prévoir un "maillage plus ou moins précis", qui peut aller jusqu’à cibler certaines équipes. Ce maillage est défini par la négociation.
Une pratique risquée, surtout pour la santé au travail
Dans tous les cas, rappelle Carine Cohen, un objectif de suppression de postes ne doit pas apparaître dans les entretiens d’évaluation avant consultation des représentants du personnel, le risque étant le délit d’entrave. "Il y a l’obligation de consulter le CSE sur les ruptures de contrat de type économique, mais le CSE a aussi des attributions plus générales en matière de mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs. Une réorganisation avec plusieurs suppressions de postes rentre dans les prérogatives du CSE."
Ce type d’objectif présente surtout un risque en matière de santé au travail : "Si le management est encouragé à supprimer des postes, et si sa rémunération doit dépendre de cet objectif, il risque de mettre en œuvre un management dit 'toxique'. Cela encourage les comportements déviants, qui peuvent entraîner des RPS ou des burn-out", détaille Carine Cohen.
Un objectif vague peut être attaqué
Mais si "un objectif explicite peut entraîner des effets pervers, un objectif plus vague et édulcoré risque d’être attaqué par les salariés, au motif qu’il n’est pas suffisamment précis, réalisable ou atteignable". Dans ce dernier cas, le manager pourrait réclamer le montant maximum de la rémunération variable prévue à son contrat.
L’objectif reformulé chez Michelin, qui fait référence à une réduction des frais, "peut couvrir énormément de coûts autres que les coûts salariaux, donc le salarié peut l’atteindre autrement", estime Carine Cohen. Cependant, cette formulation demeure porteuse de risques, car la réduction de frais risque de demander plus de travail aux équipes. "On fait ainsi descendre en cascade la pression supportée par le manager."
En conclusion, fixer des objectifs de réduction d’effectifs aux managers "n’est pas une bonne idée", selon Carine Cohen. "Cela met trop de pression sur les managers, qui souvent ne sont pas assez formés pour la gestion d’équipe." Selon Arnaud Teissier, ce type d’objectif "peut susciter des perceptions négatives. Dans un projet de réorganisation, il peut y avoir beaucoup de sensibilité et d’inquiétude, il faut donc être vigilant sur les indicateurs que l’on retient et savoir s’en expliquer sereinement".
Chez Michelin, la CFDT, la CFE-CGC et Sud se portent signataires de l’accord-cadre désormais appelé "Adapt 2021-2023" (lire sur AEF info), qui doit accompagner les départs de salariés dans le cadre de la réorganisation annoncée début janvier 2021, et qui prévoit jusqu’à 2 300 suppressions de postes d'ici 2023 (lire sur AEF info). L’accord est donc majoritaire, seule la CGT ne le paraphera pas. Les organisations syndicales signataires, à l’instar de Sud et la CFDT, soulignent des mesures à la fois pour les salariés qui quitteront l’entreprise mais aussi pour ceux qui resteront.
Le salarié dont le licenciement est nul doit être réintégré dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent, sauf si sa réintégration est matériellement impossible. Constitue une impossibilité matérielle de réintégration du salarié dont le licenciement est nul le fait que le poste qu’il occupait ait été pourvu, ainsi que les postes équivalents, après une réorganisation. C’est ce que juge la Cour de cassation dans un arrêt non publié du 23 octobre 2019. Il importe peu que le salarié trouve que sa demande est légitime au regard de la prospérité de la situation financière de l’entreprise.
Voici une sélection des brèves fonction publique de la semaine du 20 mars 2023 :
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Sophie Esposito,
journaliste