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Des campus quasi déserts, des indicateurs de santé mentale "extrêmement alarmants" et des "pots cassés que l'on paiera après" : le résultat d’une année complète de crise sanitaire sur les campus français fait peine à voir, à en croire le récit qu’en livrent les interlocuteurs d’AEF info dans cette 7e chronique mensuelle de la pandémie. Le 3e reconfinement, annoncé le 31 mars par Emmanuel Macron, a beau inverser les rôles entre lycées et universités – les premiers fermés, les secondes ouvertes – les dés sont jetés et le semestre devrait se terminer comme il a commencé : mal. Mais dans cette nuit sans fin se préparent les révolutions de demain : "Quoi qu’il arrive, il n’y aura jamais de retour à la situation d’avant-crise", prophétise Valérie Gibert, DGS de l’université de Strasbourg. "On va avoir un dynamisme fou à un moment donné", renchérit Pierre Wolkenstein, doyen de santé à l’Upec.
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Emmanuel Macron, le 31 mars 2021 Droits réservés - DR
Le couperet est tombé tardivement, plusieurs semaines après les premiers cris d’alarme des médecins sur une troisième vague de Covid-19 dévastatrice, mais la réalité est bien là : le 31 mars 2021, Emmanuel Macron a de nouveau demandé aux Français, pour la 3e fois en un an, de rester chez eux (lire sur AEF info). Si les écoles, collèges et lycées doivent fermer, les universités, elles, sont cependant épargnées : les étudiants peuvent continuer à se rendre en cours "une journée par semaine", à la grande satisfaction de la communauté académique (lire sur AEF info). "Pour une fois, nous ne sommes pas mécontents, il a parlé de nous et nous restons ouverts, contrairement aux lycées", note au lendemain de l’annonce Joël Alexandre, président de l’université de Rouen Normandie.
une génération de jeunes "sacrifiés"
Après une année entière de crise, ce troisième serrage de vis national ne constitue donc pas une rupture sur les campus : "Pour nous, cela ne change strictement rien", observe Jean-François Hamet, DG de l’Ensicaen, le 7 avril. Un mois qui devrait ressembler aux deux précédents : beaucoup d’enseignements à distance, une pincée de cours en petits groupes pour ceux – en général peu nombreux – qui ont pu garder un logement à proximité, et une lutte physique et psychologique quotidienne pour ne pas sombrer. Car l’inquiétude sur l’état de santé des jeunes ne faiblit pas, bien au contraire.
"Ce qui est vraiment préoccupant aujourd’hui, c’est que si la Covid ne tue pas les jeunes, la détresse et la précarité sont en train de faire toute une génération de jeunes 'sacrifiés' – le mot n’est pas de trop", s’inquiète Michel Deneken, président de l’université de Strasbourg, le 25 mars. Et pas seulement sur le plan des études : il s’agit de ce qu’un jeune de 20 à 25 ans fait à cet âge-là, la construction de soi, la rencontre de l’autre, les choix de vie. Les indicateurs de santé mentale sont extrêmement alarmants", ajoute-t-il.
Évidemment, les personnels ne sont pas épargnés : "Nous avons besoin de nous reposer", reconnaît Pierre Wolkenstein, doyen de santé à l’Upec. "Ce qui me manque le plus, en tant que citadin, c’est la notion d’espace", ajoute le médecin. "On ne voit plus grand-chose à part son écran, son hôpital, sa faculté. Nous avons une espèce de carence sensorielle qui s’installe, et qui nous entraîne dans le maelström de la morosité."
"Nous avons une espèce de carence sensorielle qui s’installe, et qui nous entraîne dans le maelström de la morosité."
Pierre Wolkenstein, doyen de santé à l’Upec
Sondée le 14 avril, Valérie Gibert, DGS de l’université de Strasbourg, confirme : "Je sors d’une réunion de notre cellule opérationnelle de gestion de crise et la première demi-heure, c’était la déprime généralisée ! L’impression qu’on ne va jamais en sortir." "Il est urgent qu’on revienne au plus vite, les plus nombreux, dans les meilleures conditions", complète Michel Deneken, son président.
"on est parti pour finir l’année avec les modalités hybrides actuelles"
Mais cette heureuse vision semble n’être encore qu’un lointain horizon. "On ne va pas demander à tous nos étudiants de revenir à 100 % alors qu’il ne reste qu’un mois et demi de cours : on est parti pour finir l’année avec les modalités hybrides actuelles", indique Christophe Germain, DG d’Audencia business school.
À Nanterre, en éco-gestion, les étudiants de master ne sont d’ailleurs jamais revenus physiquement. "Nous aurons eu, en tout et pour tout, un mois de présence cette année, entre fin septembre et fin octobre", résume avec amertume Pierre Pariente, directeur du master Audit et contrôle de gestion, interrogé le 10 mars.
"De toute façon, les étudiants ne réclament plus. Ils ne veulent plus venir, ils se sont habitués, certains sont rentrés en province. On va payer les pots cassés après."
Pierre Pariente, maître de conférences à Nanterre
"De toute façon, les étudiants ne réclament plus. Même en licence, où l’on applique la jauge à 20 % sur la base du volontariat, le taux de présence des étudiants est très faible. Ils ne veulent plus venir, ils se sont habitués, certains sont rentrés en province. On va payer les pots cassés après." Même sentiment à Strasbourg, où Michel Deneken regrette de ne pas avoir pu garder les universités ouvertes plus longtemps : "Je pense qu’on aurait pu relever le défi, en tout cas avec la jauge à 50 %. Cela n’a pas été le cas. On en paiera le prix."
Très souvent, les interlocuteurs d’AEF info décrivent des campus quasi déserts et étrangement silencieux. "Nous avons pu remettre du présentiel, mais il y a une absence de vie étudiante. Cela m’inquiète pour les résultats à la fin du second semestre", confie Patrick Courilleau, vice-président Formation et vie étudiante de CY Cergy Paris université, le 25 mars. "J’ai le sentiment personnel qu’il y a une certaine démotivation de la part de nos étudiants."
Des questions évidentes sur la valeur de cette année d’études
Ces expériences d’études tronquées ou intermittentes, la difficulté d’en évaluer les acquis, nourrissent la crainte de "diplômes bradés". "Évaluer en distanciel reste difficile et souvent calqué sur les modalités d’évaluation du présentiel, cela ne convient souvent pas", constate le directeur de l’IUT Rives de Seine, Xavier Sense, qui rapporte l’expression d’un chef de département, selon lequel le risque est de devenir une sorte "d’école des fans", avec beaucoup de bonnes notes.
"Des diplômés – licence, master, etc. – se disent : mon diplôme n’est-il pas de la monnaie de singe ? Un entrepreneur, un patron, ne va-t-il pas renoncer à embaucher les diplômés de 2020 ?"
Michel Deneken, président de l’Unistra
"On fait passer un bac dans des conditions inouïes. Résultat : 95 % de réussite dans notre académie. Comment peut-on ne pas instiller dans leur tête la conviction qu’ils ont un bac dégradé ?", s’interroge encore Michel Deneken, à Strasbourg.
"Ajoutez à cela que des diplômés – licence, master, etc. – se disent : mon diplôme n’est-il pas de la monnaie de singe ? Un entrepreneur, un patron, ne va-t-il pas renoncer à embaucher les diplômés de 2020 ?" D’ailleurs, ce qui préoccupe le plus Clément Starck, étudiant dans le master Audit et contrôle de gestion de Nanterre, "ce sont les perspectives d’avenir" : "On n’a pas d’horizon et ça me fait beaucoup stresser. Parfois, j’en dors mal", dit-il.
Le président strasbourgeois se veut cependant rassurant, notamment sur la question des stages qui n’ont pas toujours eu lieu : "Je constate, en parlant à quelques membres de notre Fondation, qu’il n’y a pas de suspicion généralisée, pas d’a priori sur l’année de diplôme qui vient de passer. Nos partenaires du monde socio-économique et les enseignants se sont mis d’accord pour dire qu’un petit stage était toujours mieux que pas de stage du tout."
Peu de perspectives de réouverture, tandis que la vaccination patine
Et l’absence quasi totale de perspectives sur un début de sortie de crise n’arrange rien. L’espoir porté par la vaccination se heurte à la lenteur de la campagne. Dans les universités et les écoles, la vaccination des personnels a, dans le meilleur des cas, à peine débuté pour les plus âgés, mais elle est bien plus souvent un non-sujet, comme à Audencia.
L’université de Bourgogne, via son SSU, a reçu au 25 mars "de quoi vacciner 80 personnes", rapporte son président Vincent Thomas, ce qui "est très peu par rapport aux 1 800 personnels". Même l’université de Strasbourg, première en France à s’être saisie de la possibilité pour les médecins du travail de vacciner les personnels de l’établissement, est "en panne", confie sa DGS, parce qu’elle "n’a pas accès au vaccin AstraZeneca".
Dans un courrier adressé à Jean Castex le 12 mars, la CPU, la CGE, la Cdefi et de Régions de France ont fait valoir qu’entre mars et avril, "31 millions de doses devraient venir s’ajouter aux 4,5 millions déjà injectées, portant la capacité vaccinale française à hauteur de 35,5 millions de doses, réparties entre les différents vaccins". "Cela signifie que les 17 millions de personnes à risque identifiées par le Conseil scientifique pourront alors être vaccinées", et que l’affectation aux jeunes d’une partie de ces vaccins pourra se faire "sans priver une seule personne à risque". Mais pour l’instant, la vaccination des 16-50 ans n'est pas prévue avant la mi-juin.
la population étudiante est-elle aujourd’hui mieux immunisée ?
Certains formulent toutefois un petit espoir : que la population étudiante soit, plus qu’une autre, déjà assez bien immunisée de manière naturelle, le virus ayant beaucoup circulé dans cette tranche d’âge. Romain Soubeyran, à CentraleSupélec, note ainsi que le nombre de cas recensés sur son campus de Saclay "reste à des niveaux très bas" et que ces chiffres sont "peut-être dus à une immunité collective acquise l’année dernière", les gestes barrières n’étant "pas systématiquement respectés à la résidence".
Pierre Wolkenstein, à l’Upec, partage la même intuition pour ses étudiants de santé, et souhaiterait en avoir le cœur net en leur proposant "des sérodiagnostics". La faculté vient en outre de lancer un sondage auprès d’eux "pour connaître leur couverture vaccinale" (considérés comme des professionnels de santé, ils ont déjà droit au vaccin). "Nous voulons voir le degré de réticence de cette population, l’idée étant de relancer une campagne de vaccination tout de suite", dit-il.
Sans attendre d’en savoir plus sur le niveau d’immunisation de sa communauté, l’université d’Angers a décidé de passer à l’action dès le début du mois d’avril : pour mieux sécuriser son campus, elle s’est équipée de 50 capteurs de CO2 grâce à Alain Godon, enseignant-chercheur à Polytech Angers, qui a fait plancher ses étudiants sur leur construction "à partir de composants commandés par la direction de la prévention et de la sécurité". Pour de nombreux experts en effet, la solution à la pandémie ne viendra pas à 100 % des vaccins, mais d’un respect réel des gestes barrière, dont l’aération des locaux est la pièce maîtresse (lire sur AEF info).
La rentrée se prépare dans un grand flou
Surtout si l’on veut se donner les moyens d’envisager une rentrée 2021 en présentiel, ce que chacun espère. "On s’y prépare, même si l’on sait que c’est hautement improbable", dit Valérie Gibert. Pourtant, certains rêvent les choses en grand : "Nous voulons faire de la rentrée un moment convivial, sur un mois entier, en prévoyant du soutien psychologique mais également pédagogique, car certains étudiants vont entrer en L3 en ayant très peu fréquenté l’université", dit Carine Bernault, présidente de l’université de Nantes, le 9 avril. "Nous comptons demander à l’État un soutien financier. Un groupe travaille sur cette problématique à la CPU."
Si beaucoup veulent croire à un scénario "assez proche de la précédente rentrée universitaire", tous y posent de sérieuses conditions et se préparent en réalité à une reprise bien différente : "Il faudra observer une prudence nécessaire sur les cours en amphi et conserver une hybridation assez large", prévoit ainsi Joël Alexandre, à Rouen. À l’Ensicaen, "le dispositif d’accueil est prêt" pour un mode dégradé d’enseignement, assure Jean-François Hamet.
des mutations qui couvent en silence
"Nous commençons à tirer les enseignements de la crise et cela modifiera forcément les modalités pédagogiques à long terme, ainsi que les dispositions de télétravail."
Valérie Gibert, DGS de l’Unistra
Alors que la crise dure, que de nouvelles habitudes s’enracinent, chacun a bien conscience aussi que plus rien ne sera jamais comme avant. Et que l’on est peut-être en train d’assister à l’accouchement dans la douleur d’un système d’enseignement supérieur transformé.
"Quoi qu’il arrive, il n’y aura jamais de retour à la situation d’avant-crise", tranche d’ailleurs Valérie Gibert, à Strasbourg. "Nous commençons à tirer les enseignements de la crise et cela modifiera forcément les modalités pédagogiques à long terme, ainsi que les dispositions de télétravail." Certes, la DGS mesure les freins au changement, notamment les peurs suscitées par le distanciel et par le modèle hybride, fortement rejeté par des enseignants-chercheurs épuisés.
"Le Snesup-FSU a fait savoir qu’il refuserait catégoriquement que les futures maquettes de formation prévoient de l’enseignement hybride ou à distance", explique-t-elle à AEF info. "Le discours sur l’hybridation n’est donc pas entendu actuellement. En revanche, nous continuons à proposer des formations sur de nouvelles modalités pédagogiques qui trouvent preneurs : il y a de la demande." L’établissement prévoit de "travailler sur les conditions d’une augmentation du télétravail et du distanciel", en équipant les locaux, mais aussi les personnels (ordinateurs, stations d’accueil, doubles-écrans…). "Or, cela a un coût, et nous n’avons aucune compensation ministérielle. Il va donc falloir faire des choix, c’est tout l’objet des discussions qui vont s’ouvrir dans le cadre du dialogue d’orientation budgétaire. On ne veut plus subir."
"La révolution numérique est en marche"
En Bourgogne aussi, la façon d’envisager l’avenir a changé. "Quand bien même nous serions débarrassés de la Covid, nous ne pourrons pas résister à la revendication des étudiants empêchés qui, en situation de handicap ou en soutien de famille, demanderont à l’avenir de suivre les cours à distance", glisse Vincent Thomas. "Je pense que, petit à petit, nous allons avoir des modalités d’enseignement, non pas bouleversées, mais différentes, avec un peu plus d’hybridation. D’autant plus que nous avons des campus connectés qui fonctionnent bien, pour lesquels les retours sont positifs."
"Je pense que ce n’est pas la dépression qui nous guette, mais au contraire une hyperactivité qui pourrait être très fatigante."
Pierre Wolkenstein
"La révolution numérique est en marche", observe aussi Pierre Wolkenstein, à l’Upec. Le PU-PH prévoit que "tout va aller très très vite" : "Comme on a tous été enfermés, on va avoir un dynamisme fou à un moment donné. Quand il y a des catastrophes, et cela en est une, on se retrouve ensuite avec un phénomène classique de rattrapage. Il va y avoir une accélération dans le numérique, l’IA, les progrès médicaux, etc., et des réformes dans les systèmes, aussi. Je pense que ce n’est pas la dépression qui nous guette, mais au contraire une hyperactivité qui pourrait être très fatigante. J’espère que nous serons suffisamment sages pour tirer les leçons de cette crise et 'organiser' l’agitation à venir. Car on oublie très vite, notre capacité de résilience est énorme."
les priorités des établissements vont changer
La mue de l’ESR qui couve ne sera pas du seul fait d’un usage renouvelé des technologies : certains dispositifs inventés ou accélérés par la pandémie resteront un acquis, comme l’expérience accumulée en matière d’accompagnement, de tutorat ou de prévention des risques de santé. CY Cergy Paris université a par exemple lancé des formations dites de "premiers secours en santé mentale", qui "permettent de former des étudiants aux critères d’alerte que leurs condisciples pourraient avoir sur leur bien-être psychologique", explique Patrick Courilleau, VP. "On visait au départ une soixantaine d’étudiants, mais il y a eu beaucoup de demandes et on va finalement se retrouver avec une centaine d’étudiants formés", souligne-t-il. L’an prochain, cette formation entrera dans l’offre d’UE libres.
C’est aussi dans les priorités des établissements que les approches pourraient fortement évoluer. "L’aspect 'services aux étudiants' (aide psychologique, wellness, sport, service carrière…) prend une importance que nous n’avions pas anticipée : il est dorénavant en haut de nos préoccupations", indique par exemple Delphine Manceau, DG de Neoma business school (lire sur AEF info). Un discours que l’on retrouve à l’université de Strasbourg : "Les états d’esprit ont changé : l’étudiant n’est plus seulement un apprenant, mais un être social, avec ses besoins d’accès à la culture, au sport, etc. C’est l’une des grandes avancées : les universités ont pris conscience qu’elles devaient s’occuper de l’étudiant dans sa globalité", perçoit Valérie Gibert.
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Sarah Bos,
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