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"En tant que membre du gouvernement, je n’ai pas à me prononcer sur la gouvernance d’une entreprise", prévient Olivia Grégoire au sujet du cas Danone. "Pour autant, je trouve curieux que le débat public se focalise sur une entreprise du CAC 40 qui a pris le chemin de l’entreprise à mission […] Je vous le dis avec force : ce n’est pas en partant d’un exemple, d’une entreprise, à l’instant t, qu’il faut remettre en question la portée de la loi Pacte", estime la secrétaire d’État à l’Économie sociale, solidaire et responsable. Dans une interview accordée à AEF info à l’occasion du lancement jeudi 25 mars 2021 d’une initiative de la Place de Paris sur la finance à impact, Olivia Grégoire évoque les "outils" de la loi Pacte, la réforme du label ISR qu'elle souhaite voir aboutir avant la fin de l'année, ainsi que l’accompagnement des TPE-PME dans leurs démarches RSE.
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Olivia Grégoire, Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, chargée de l'Économie sociale, solidaire et responsable. Droits réservés - DR
AEF info : Pourquoi organiser ce jeudi avec Finance for Tomorrow une conférence, intitulée "La finance à impact : effet de mode ou tendance de fond de la finance durable" ?
Olivia Grégoire : Aujourd’hui, beaucoup d’acteurs parlent de la finance à impact mais il n’y a pas, à proprement parler, de définition ou de cadrage homogène pour tous les acteurs. C’est toute l’ambition de l’initiative que nous lançons avec Bruno Le Maire et la Place de Paris ce jeudi 25 mars. Nous voulons rassembler toutes les bonnes volontés, qu’elles soient publiques ou privées, qu’elles viennent du coté ou du non coté, qu’il s’agisse de petits ou de grands acteurs, pour consolider cette initiative de Place. La finance à impact est l’un des tiroirs de la finance durable : elle allie la recherche de la rentabilité financière à la recherche de la "rentabilité" sociale ou écologique. Si la finance durable a permis d’accroître la transparence avec une logique de moyens, la finance à impact impose une logique de résultat !
AEF info : Depuis deux ans, le Forum pour l’investissement responsable (FIR) et France Invest réfléchissent ensemble à la notion d’impact pour éviter que le concept ne soit dévoyé. Ils sont parvenus à une définition qu’ils ont présentée la semaine dernière, articulée autour de trois critères : intentionnalité, additionnalité et mesure (lire sur AEF info). Comment leur démarche s’intègre-t-elle à la réflexion que vous souhaitez mener ?
Olivia Grégoire : Il existe une forte appétence pour l’impact en ce moment, avec effectivement des acteurs comme France Invest et le FIR qui travaillent depuis un moment sur ces sujets. Leur définition est une bonne base et l’initiative de Place devra se l’approprier. Tout l’enjeu aujourd’hui est aussi de se poser toutes les questions que soulèvent ces fondamentaux. Par exemple, sur l’intentionnalité, il reste des questions en suspens : est-ce qu’un investisseur ou une entreprise qui fait de l’impact sans le savoir peut être qualifiée a posteriori d’investisseur à impact ? Sur l’additionnalité, comment fait-on concrètement pour s’assurer – c’est-à-dire mesurer – que l’investisseur à impact a une meilleure performance qu’un autre, toutes choses égales par ailleurs ? Leur définition ne traite par ailleurs pas de la question du "do not harm" (ne pas nuire) : puis-je être considéré comme un investisseur à impact si je crée des emplois durables dans une activité qui se révèle nuisible pour l’environnement ?
Ces trois critères ne résolvent donc pas l’ensemble du sujet de la finance à impact et je pense qu’il est très important, avec l’expertise très solide d’acteurs français de lancer une initiative plus large. Ce n’est pas parce que nous avons quelques acteurs éclairés que la Place n’a pas besoin de se parler. Ces acteurs qui ont de l’expertise seront, s’ils le souhaitent, au cœur de l’initiative que nous portons avec Finance for Tomorrow, la branche dédiée de la finance durable de la Place de Paris.
AEF info : Si une définition commune semble se dessiner, la finance à impact se caractérise aujourd’hui par une diversité de méthodologies et de mesures. Comment faire émerger une méthodologie française, voire européenne ?
Olivia Grégoire : Il faut commencer par se réunir, se parler et s’entendre. À partir de cette initiative de Place, ouverte sur le monde et l’Europe, il est nécessaire de rappeler que la France a nécessairement des choses à apporter à ce débat qui traverse l’ensemble de la finance mondiale. Il y a de l’innovation, de la créativité, du savoir-faire partout dans la Place de Paris. La France est pionnière en matière d’ESG, grâce à notre droit de la RSE depuis 2001, avec le reporting ESG des investisseurs via la loi de croissance verte de 2015 puis dans la loi énergie-climat de 2019. La France peut aussi être inspirante : elle a réussi à influencer la réglementation européenne de 2019 sur la publication d’informations durables dans le secteur financier ("disclosure"), qui a tiré parti de ses travaux précurseurs. Mais ce n’est pas parce que nous sommes les premiers, que nous avons l’assurance de le rester !
AEF info : Aujourd’hui le label ISR n’est pas un label à impact mais sa révision doit le faire évoluer avec des critères d’éligibilité plus exigeants, ainsi qu’une gouvernance renforcée. L’inspection générale des finances (IGF) a été chargée d’évaluer le dispositif et vous a remis ses conclusions. Pouvez-vous nous en présenter les grandes lignes ?
Olivia Grégoire : Le label ISR, créé en 2016, compte aujourd’hui plus de 500 fonds labellisés et représente environ 212 milliards d’euros. Avec une hausse de 30 % de ses encours entre 2019 et 2020, l’ISR est très attractif… Raison de plus pour capitaliser sur ce label, par exemple en donnant la possibilité de le décliner vers la performance ESG plutôt que sur la simple transparence ! Nous avons justement reçu avec Bruno Le Maire une évaluation du dispositif du label ISR par l’IGF, qui plaide pour plus de lisibilité et une refonte de la gouvernance sur le label.
Je pense que l’impact devra faire partie de ces objectifs renouvelés, peut-être à voir dans une déclinaison spécifique du label. Nous sommes prêts ici à Bercy à mettre tous les sujets sur la table, à lancer une réforme ambitieuse qui doit aboutir de façon certaine d’ici à la fin de l’année.
AEF info : Passons de l’impact à la loi Pacte. Le cas Danone révèle pour certains les limites du statut d’entreprise à mission, en particulier pour les sociétés cotées. Cette mise à l’épreuve grandeur nature pousse-t-elle à envisager des réaménagements du texte selon vous ? Par exemple un droit de vote actionnarial proportionnel au temps passé (lire sur AEF info) ?
Olivia Grégoire : En tant que membre du gouvernement, je n’ai pas à me prononcer sur la gouvernance d’une entreprise. Pour autant, je trouve curieux que le débat public se focalise sur une entreprise du CAC 40 qui a pris le chemin de l’entreprise à mission. Ce débat remet en cause le concept d’entreprise à mission à l’aune d’un seul exemple, d’une seule entreprise, alors que ce sont plus de 150 entreprises en France qui ont pris ce tournant, et pas seulement des PME. Je vous le dis avec force : ce n’est pas en partant d’un exemple, d’une entreprise, à l’instant t, qu’il faut remettre en question la portée de cette loi. L’avenir de l’entreprise à mission n’est pas uniquement incarné par une seule entreprise, mais aussi par la centaine qui endosse ce statut aujourd’hui.
La loi Pacte a-t-elle tout résolu ? Ce serait présomptueux de l’affirmer. Il y a sûrement des choses que l’on doit pouvoir faire en plus, pour une transparence et une gouvernance plus équilibrées. D’ailleurs, je pense que cela fera partie des débats qui nous occuperont dans les prochains mois en vue de la présidentielle. La responsabilisation du capitalisme, ses voies et moyens, tout en laissant à l’entreprise la liberté qu’il lui incombe, est une question d’équilibre qui devra être au cœur des débats économiques à venir.
AEF info : Vous venez de le mentionner, plus d’un an après la parution du décret d’application, 145 entreprises ont franchi le pas de la qualité de société à mission, dont une majorité de PME selon le décompte de l’Observatoire des entreprises à mission (lire sur AEF info). Est-ce à la hauteur de ce que vous imaginiez quand vous présidiez la commission spéciale du texte ?
Olivia Grégoire : Quand je présidais cette commission, je n’avais qu’une seule obsession en tant qu’ancienne entrepreneure: je voulais que les décrets d’application, sans lesquels une loi n’existe pas, soient rapidement publiés. Il y a trop de lois, qui un an après, ne voient pas l’intégralité de leurs décrets publiés, ce qui met à mal l’efficacité de ladite loi. Pour Pacte, nous avons réussi avec Bruno Le Maire à ce que tous les décrets soient opérants dans les neuf à douze mois après la promulgation du texte. Cela peut sembler être un détail mais on ne peut pas affirmer que la loi Pacte est une boîte à outils et ne pas mettre à disposition ces outils !
Ensuite, on nous avait expliqué de 1001 façons que ni la raison d’être ni les sociétés à mission n’intéresseraient les entreprises… Or aujourd’hui nous assistons au début d’un mouvement et il y a de fortes probabilités pour que le rythme de croisière s’accélère, avec de plus en plus de sociétés sur la voie de l’entreprise à mission. Ce qui me frappe, c’est que la plupart des entreprises le sont devenues autour du second confinement. La crise accélère la quête de sens. Elle impose aux entreprises de se poser des questions stratégiques. Bien souvent les arbitrages se font désormais en faveur du sens, pas parce que les entreprises sont des acteurs philanthropiques, mais parce que les planètes sont en train de s’aligner. Les investisseurs recherchent de l’impact, les épargnants recherchent du sens, les consommateurs recherchent de la transparence et de la traçabilité. Il y a un mouvement de fond en faveur du sens qui est en train de se déployer et pour lequel la loi Pacte propose des outils. Ce n’est qu’un début mais je le trouve encourageant dans un moment de crise sanitaire où la survie de l’entreprise reste le sujet prioritaire.
La loi Pacte n’est pas une loi idéologique, c’est une loi très pragmatique. Vous êtes une petite PME en avance sur la RSE, prête pour le statut d’entreprise à mission ? Allez directement à l’étage 2 de l’entreprise à mission. Vous êtes une boîte industrielle extrêmement éloignée de ces enjeux RSE, vous n’avez jamais fait un bilan de gaz à effet de serre ? Prenez le chemin par la raison d’être pour faire vos premiers pas. Vous êtes une entreprise en avance déjà sur le chemin de la société à mission, vous pouvez réfléchir directement au 3e étage en sacralisant une partie de votre capital pour créer une fondation et financer des sujets d’intérêt général. À chacun son chemin et la loi Pacte est là pour fournir des outils propres à chacun.
AEF info : La raison d’être justement : d’aucuns déplorent la faiblesse de son dispositif, qui peut parfois sonner comme un slogan pour certaines entreprises. Faut-il y penser des garde-fous ?
Olivia Grégoire : Ceux qui estiment que la raison d’être n’est pas engageante ne doivent pas se sentir obligés et peuvent passer à l’étape 2 ! Que ceux qui estiment que l’étape 2 n’est pas assez engageante, qu’ils aillent à l’étape 3 ! Ce pays est quand même formidable ! On m’expliquait il y a deux ans, pendant la préparation de loi, qu’on ne pourrait jamais introduire de raison d’être dans le code civil et aujourd’hui on me dit qu’elle ne va pas assez loin. En tant qu’ancien législateur sur ce sujet, je ne varie pas : l’État est là pour créer des conditions, pour accompagner des mouvements de fond avec des lois. Chacun peut trouver dans cette boîte à outils celui qui correspond à son étape. L’important c’est de se mettre sur ce chemin, d’engager une véritable responsabilité sociale, une véritable comptabilité environnementale. Je ne suis pas très favorable à ce qu’il y ait des juges sur le chemin pour dire "vous allez assez vite, et vous pas assez".
AEF info : Pour attester de la maturité de leur politique RSE, il reste toujours aux entreprises la possibilité de se tourner vers la labellisation… Le problème, c’est que face à la jungle de labels RSE existants, les dirigeants sont un peu perdus. Le rapport Dubost-Imalhayene-Chapron vous a été remis en novembre (lire sur AEF info). Quelles suites lui seront données ? Par exemple sur la charte publique de bonnes pratiques de labellisation des performances extrafinancières des entreprises ou sur le rôle qui pourrait être accordé à la Plateforme RSE ? Selon quel calendrier ?
Olivia Grégoire : L’idée est de mettre en place un comité de surveillance des labels, c’était l’une des propositions du rapport Dubost, rassemblant au sein de l’État plusieurs acteurs qui travaillent déjà sur les labels. Nous allons en effet mettre en œuvre cette proposition dans les prochains mois ; je souhaite que le premier comité puisse se réunir avant l’été.
AEF info : Vous qui avez été directrice de la communication et du développement durable de DDB et Saint-Gobain, et qui ensuite avez créé votre boîte de conseil en stratégie et communication pour les TPE-PME, comment accompagner ces dernières pour qu’elles s’approprient pleinement la RSE ?
Olivia Grégoire : Il faut commencer par dire aux entreprises françaises que pour beaucoup, leurs pratiques sont déjà responsables. Il faut les rassurer plutôt que de leur mettre la pression. Il faut les encourager à regarder ce qu’elles font déjà. Ensuite, il ne faut pas douter que les PME sont intimement convaincues de la nécessité de mettre en place une pratique RSE. L’objectif, pour moi en tant que ministre, c’est de créer les conditions pour qu’elles soient mieux accompagnées dans le déploiement de ces pratiques dans les prochaines années, sans être dans une logique coercitive.
Sur le volet reporting par exemple, nous avons encore du chemin à parcourir : seulement 30 % des bilans de gaz à effet de serre sont conformes. Un bilan carbone simplifié pour les PME, tel que voté en loi de finances pour 2021, peut ainsi sembler plus adapté. Autres exemples : le projet de loi climat et résilience prévoit dans ses articles 16 à 18 des dispositions à destination des PME. Au sein même de leur organe de gouvernance, dans leur comité social et économique (CSE), elles vont pouvoir définir des priorités en matière de RSE. Ou encore, grâce aux opérateurs de compétences (Opco), elles pourront bénéficier d’accompagnement, de compétences, de ressources supplémentaires. Enfin, avant l’été, je lancerai également un "hub" RSE où les entreprises pourront mieux partager et valoriser leurs bonnes pratiques, afin de mener à bien cette transition.
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Ioana Doklean,
journaliste