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Faire du bien-être au travail un "objet commun", réinterroger le rôle des managers qui doivent passer d’une "posture du contrôle" à une posture du "facilitateur", les associer davantage à la prise de décision, abandonner les organisations en silo pour plus de transversalité, expérimenter en associant la communauté universitaire… autant d’enjeux pour les établissements d’ESR après la crise sanitaire qui ont été mis sur la table et débattus lors d’un webinaire AEF info Live le 19 mars 2021 par Manuel Tunon de Lara (université de Bordeaux), Sébastien Lajoux (université de Lorraine), Cyril Garnier (FNCAS), Ségolène Journoud et Fabien Francou (Anact). Si les difficultés en termes de qualité de vie au travail préexistaient à la crise, celle-ci a été le "catalyseur" de la prise de conscience des gouvernances : "Cela ne peut plus être un sujet de seconde zone", pour le président de la CPU.
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Augmentation de la charge de travail, du temps de réunion, de l’amplitude horaire, intrication de la vie personnelle et professionnelle, difficulté à respecter les temps de repos… Si les questions de la qualité de vie au travail ne sont pas nouvelles, force est de constater que la crise sanitaire et la généralisation du télétravail, qui était encore peu entré dans les mœurs chez les personnels de l’ESR, ont mis en lumière l’urgence à prendre en charge ces enjeux.
"Cela ne peut plus être un sujet de seconde zone. On voit, depuis la crise, qu’il y a une exacerbation [des risques psychosociaux] et je pense que les situations sont différentes selon les chemins parcourus par les établissements", estime Manuel Tunon de Lara, président de l’université de Bordeaux, lors du webinaire d’AEF info Live, organisé en partenariat avec la FNCAS, la CPU et la Casden-Banque populaire, le 19 mars 2021, intitulé "Bien-être au (télé)travail : quels sont les défis pour les établissements d’ESR ?". Ce thème fait l’objet d’une des 10 tendances identifiées par la rédaction, dans le cadre de l’édition 2021 de son Cahier de Tendances de l’ESRI.
Une problématique à faire émerger au niveau national
Dans son université, une enquête réalisée en 2016 sur la fusion avait déjà mis au jour des situations de souffrance au travail et un schéma directeur a été établi. Le président de la CPU entend désormais appréhender la question de la qualité de vie au travail et de la responsabilité sociétale des établissements "au niveau national pour que toutes les gouvernances puissent s’en saisir". "On propose aux nouveaux présidents des formations sur différents domaines et ce domaine-là en est un sur lequel il faut peut-être un peu plus insister. La CPU est aussi en lien avec le réseau des DRH, des vice-présidents CA, c’est une dynamique à impulser", poursuit-il.
"La plupart des difficultés préexistaient à la crise. Se posent avec acuité les chemins à poursuivre et à défricher : on peut avoir comme GPS la nécessaire transformation managériale de nos organisations", estime Sébastien Lajoux, directeur général adjoint délégué aux ressources humaines de l’université de Lorraine. Pour lui, l’ESR est en effet à une "croisée des chemins", alors que la crise sanitaire a entraîné une "porosité" grandissante entre la sphère privée et professionnelle, différemment vécue d’un salarié à l’autre. "Cette crise souligne et exacerbe les différences sociétales entre collègues sur différents points : précarité, isolement social, conditions d’habitat, charge de famille, explique-t-il. Tout cela renvoie aux enjeux sociétaux tels que l’égalité femme-homme, l’accès à la santé, le maintien dans l’emploi, etc."
Des attentes sur la prise en compte des disparités des vécus
"Longtemps, le monde du travail – et particulièrement la fonction publique – a considéré l’agent de manière uniforme comme un serviteur du service public, plutôt que comme un individu avec ses forces et ses faiblesses. Et ce, en raison de la culture séculaire de l’égalité de traitement, de la situation légale et réglementaire des fonctionnaires", analyse Sébastien Lajoux.
Pourtant, du côté des personnels, il y a bien des attentes sur la prise en compte de la disparité des vécus, par exemple au regard de l’équité sur l’usage des outils numériques : "Certains sont en demande de formation sur leur utilisation", précise Cyril Garnier, vice-président "établissements et prospective" de la FNCAS. La crise a aussi, selon lui, révélé "l’immense besoin de lien social" des personnels, au-delà des cafés Zoom et apéros virtuels qui ont pu être organisés, ainsi qu’une double attente : celle d’un besoin de coordination des actions menées par les établissements envers les étudiants, personnels et enseignants, et celle d’un besoin de sens dans le travail effectué à distance.
Au cœur de ces transformations, le rôle du manager
Et dans cette perspective, la réinterrogation du rôle du manager est cruciale, tant pour Sébastien Lajoux que pour Ségolène Journoud, responsable du département "Élaborations des solutions de transfert" à l’Anact. "On s’attache à dire qu’il faut faire évoluer tout un système managérial vers une forme proche des principes de la QVT : la prise en compte du travail réel et un glissement de la posture du contrôle vers la posture du facilitateur", indique Ségolène Journoud.
Il y a en effet toujours un écart, explique-t-elle, entre ce qu’on nous demande de faire et les moyens qu’on mobilise pour les atteindre. Ces écarts sont soumis à de nombreux déterminants : rapport au collectif, au management, à l’organisation, à l’environnement de travail, et les éléments qui composent chacun comme les compétences et le parcours. "Manager autrement, c’est avoir conscience de l’écart entre le travail prescrit et le travail réel, savoir instaurer des temps de discussion pour connaître ces écarts, voir comment les régulations peuvent se faire, poursuit Ségolène Journoud. Il faut aussi partager collectivement ces réponses."
positionner les manAgers dans les processus de décisions
Les encadrants de proximité, sont pour Sébastien Lajoux, la "colonne vertébrale de la QVT", et doivent être les mieux outillés possible "pour maintenir des relations structurantes et bienveillantes" pendant la crise mais aussi pour l’après-crise. "C’est toujours aussi les montagnes russes pour un encadrant de devoir fédérer autour de valeurs et de sens communs, d’adapter son management aux différentes individualités pour garantir l’épanouissement de chacun, et c’est cela qui va entraîner la réussite de nos missions de service public."
Mais pour que les managers puissent glisser du contrôle des salariés à distance vers davantage de confiance, et ainsi développer des relations de travail qui soient plus "propices à la réussite", il faudra que l’établissement les accompagne et leur fasse également confiance, "en les positionnant dans les processus de décisions", souligne Sébastien Lajoux, qui regrette un "déficit" à ce niveau-là.
abandonner les silos, Favoriser la transversalité
"Notre attention a été attirée sur un point, souligne Cyril Garnier : dans la perspective de la sortie de crise, les personnels interrogés ne veulent pas revenir à ce qu’il y avait avant, car tout n’allait pas bien, et la crise a été le catalyseur de cette prise de conscience. Les attentes des établissements qui font appel à la FNCAS sont de l’ordre de l’accompagnement sur les schémas directeurs et des projections sur plusieurs années en vue d’organiser la transition sociétale. On parle même de transversalité, on essaye d’abandonner ces organisations en silo et on intègre la notion de qualité de vie au travail", détaille-t-il.
La transversalité et le décloisonnement des enjeux sont en effet vus comme des défis à prendre en charge : "On a tendance à traiter de façon séparée chacun des problèmes dans une grande entreprise, les DSI vont traiter les enjeux techniques, la direction les enjeux de management, les représentants du personnel les enjeux sociaux. Il faudrait créer un système d’acteurs transverses pour que tout cela corresponde, explique Ségolène Journoud. Dans le télétravail, il n’y a pas que l’enjeu technique (avoir le bon matériel), il y a aussi un enjeu sociétal (les compétences, les problématiques personnelles de logement). Tout cela doit être partagé les uns avec les autres."
"Les questions de santé au travail ne s’abordent pas seulement sur la réduction des risques, abonde Fabien Francou, chargé de mission à l’Anact. La santé des personnels est en lien avec les questions de gouvernance, de management, de gestion des RH, du dialogue social, et encore plus dans la période actuelle. Il faut arriver à en faire un objet commun."
en faire un défi pour tout le monde
Manuel Tunon de Lara préfère, lui, parler d’une affaire de "culture d’établissement et de réussite collective" : "Si vous n’en faites pas un défi pour tout le monde, alors vous avez beaucoup plus de risques de cloisonnement. Les fiches actions sont faites pour tous, les enquêtes, les chartes, elles concernent tout le monde, les Biatss, les équipes pédagogiques, etc."
Il faut que ce soit un "défi sociétal d’établissement", mais sans qu’il y ait de logique coercitive, pour Sébastien Lajoux. "Nous avons lancé des formations qu’on a améliorées chaque année pour les directeurs de composantes, et tous les collègues qui ont des responsabilités. On arrive à des choses qui tiennent la route." Faut-il pour autant rendre obligatoires certaines formations ? "Oui quand on sera plus mûrs, répond-il. C’est un vrai débat mais s’il est mal posé, il y aura des effets inverses à ceux attendus."
Une nécessité des retours d’expérience
Alors que l’Anact accompagne depuis plusieurs années l’Éducation nationale et l’ESR, Ségolène Journoud note des demandes d’accompagnement différentes, davantage liées à la crise : la mise en place de retours d’expérience, afin d’identifier des situations de travail particulièrement mises à mal, ou celles où cela s’est bien passé afin d’en pérenniser les méthodes.
"L’accompagnement des transformations est aujourd’hui un enjeu majeur pour toute structure. La question, c’est comment elles s’y prennent, poursuit-elle. On s’aperçoit déjà aujourd’hui que celles qui s’en sortent, ce sont les entreprises qui prennent en compte la réalité du travail, et évitent de calquer des nouvelles organisations sur les précédentes." Il est nécessaire également, pour Ségolène Journoud, d’avoir une approche concertée, d’interroger les experts du travail, les professionnels, et enfin, de mener des expérimentations.
"Il faut avoir cette approche itérative : essais, erreurs, ajustements, surtout dans les transformations majeures, ajoute-t-elle. Donc prendre en compte ce qui se joue dans le travail, comment ces nouveaux outils matchent avec la réalité du travail, de façon à ce qu’ils soient efficaces, qu’ils tiennent compte des compétences, et de la santé psychologique et physique au travail."
Ouvrir à la co-construction
Il s’agit non seulement d’expérimenter, mais aussi d’ouvrir plus largement le dialogue à l’ensemble de la communauté. "Nos quelques réussites viennent de cette méthode", estime Sébastien Lajoux. "On a mis en place un groupe de liaison sur les situations de harcèlement, et les représentants du personnel ont souhaité y participer en expliquant qu’ainsi ils pourraient donner confiance aux personnels afin qu’ils saisissent cette cellule, raconte-t-il. Sur tous les référentiels qu’on développe, on essaye de mettre en place des groupes mixtes de travail : on les met tous autour de la table avec un objectif commun, un cahier des charges, une méthode. C’est une leçon d’humilité, et d’efficacité au final."
"Il ne faut pas se contenter de présenter les choses dans une instance, même le CHSCT. Il faut co-construire. C’est un travail de fond permanent, souligne Manuel Tunon de Lara. Nous faisons beaucoup de réunions de dialogue de gestion en amont des CHSCT, où toutes ces questions sont débattues et si on n’associe pas ces représentants et plus largement [le reste de la communauté], je ne suis pas sûr qu’on puisse y arriver."
Pour Cyril Garnier, il ne reste plus qu’un "dernier palier à franchir" pour les universités : mettre en œuvre ce qu’elles "théorisent et enseignent" en matière de responsabilité sociétale. "On n’a jamais été aussi près de franchir ce palier de l’exemplarité. Les gouvernances veulent y aller, la crise a révélé qu’il y avait cette attente, indique-t-il. Les managers sont prêts et les étudiants nous poussent dans cette voie." Et alors que les établissements n’avaient "ni la culture, ni les compétences" au moment de leur autonomie, Manuel Tunon de Lara relève une "courbe d’apprentissage" sur la gestion de leur masse salariale et des salariés. "Je trouve qu’il y a une transformation très rapide, qui s’est parfois traduite par le recrutement de nouveaux profils."
Un besoin de "clarté" sur les processus
Afin d’accompagner la transformation et maintenir les formations, il faut cependant "plus de bras", "plus de RH pour les RH" et se "tourner vers l’extérieur" quand c’est nécessaire : "Il faut expliquer aux partenaires sociaux que ce n’est pas pour déshabiller l’université de ses métiers, mais pour l’enrichir de nouvelles compétences", poursuit le président de l’université de Bordeaux. Au-delà des expérimentations et des enquêtes, il y a aussi la manière dont l’établissement communique autour des résultats et du bilan social. "Avant, c’était quelque chose qu’on cachait", souligne Manuel Tunon de Lara. Aujourd’hui, l’université diffuse des flyers pour résumer la démarche sociale.
"C’est une méthodologie à mettre en place, on a besoin de clarté sur les processus, estime de son côté Sébastien Lajoux. Chacun a besoin de repères et de sens à son action. Il faut parler des responsabilités de l’employeur, notamment sur les défis sociétaux comme l’égalité femme-homme : il n’est plus possible d’avoir des réunions qui commencent à 8 heures ou finissent 19 heures."
Il souligne aussi l’importance du rôle des RH au moment de changements dans les structures, qu’il s’agisse d’une fusion ou même d’un déménagement. "À l’université de Lorraine, on essaye d’avoir une note de service au sens strict : lorsqu’il y a un changement, il faut qu’on puisse faire appel à nous pour accompagner le manager. Un changement, c’est le prétexte aussi pour faire un point sur le bien-être au travail des agents et leurs carrières. Soyons pragmatiques. On est un service ressources pour les RH, il faut aider les DRH à être le mieux possible, et ainsi de suite jusqu’à l’encadrement de proximité."
Selon le 3e baromètre "Bien-être au travail" réalisé par AEF info et la FNCAS (lire sur AEF info), publié le 19 mars 2021, 68 % des personnels, sur les quelque 3 200 personnels et étudiants répondants, estiment que leur établissement les a accompagnés pendant la crise sanitaire.
Pourtant, le baromètre fait émerger des points d’attention : 1 répondant sur 3 ne voit pas de reconnaissance de son travail, et sur les perspectives d’évolution, la tendance est à la baisse (-8 points) et il y a un équilibre entre les "d’accord" et "pas d’accord". La possibilité offerte d’accroître les compétences progresse de 3 points, ce qui pourrait être le signe de l’investissement des établissements en matière de formation, estime Joël Guervenou, vice-président "relations extérieures et communication" de la FNCAS.
Sur l’aspect qualité de vie au travail, le sentiment de bonnes relations de travail continue de prédominer largement avec 77 % de réponses positives (+3 points), mais 1 personnel sur 2 déclare des difficultés à assurer sa charge de travail, ce qui constitue un facteur d’alerte sur des risques psychosociaux. Près de 4 répondants du 10 considèrent que leurs conditions de travail présentent un risque pour leur santé physique ou mentale – il s’agit là de résultats similaires aux années précédentes.
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Sarah Bos,
journaliste