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"Le PIA a survécu aux alternances politiques, ce qui est un signe fort qui a consolidé son ADN", déclare Guillaume Boudy, secrétaire général pour l’investissement, dans une interview, fin mars 2021. Il réagit à la série d’articles publiés par AEF info sur les 10 ans du PIA et considère que le programme "a eu des effets très probants, notamment sur l’ESRI". "Je crois que nous sommes restés trop discrets sur les résultats et notamment les aides aux entreprises", concède-t-il toutefois. Guillaume Boudy revient également sur le PIA 4, "un programme de soutien à l’innovation cohérent, depuis l’éprouvette du chercheur jusqu’à la première série industrielle" et "légitimé par la crise sanitaire". Enfin, sur le volet régional, il rappelle que le PIA 4 entend affirmer la "décentralisation de la décision en la confiant aux préfets, en partenariat étroit avec les présidents de région".
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Guillaume Boudy, secrétaire général pour l'investissement. Droits réservés - DR
AEF info : Vous êtes secrétaire général pour l’investissement depuis le 3 janvier 2018. Quel regard portez-vous sur le PIA lancé il y a dix ans ?
Guillaume Boudy : La force du PIA est d’avoir établi une doctrine, récemment inscrite dans la loi, qui n’a pas été modifiée depuis son lancement il y a dix ans. Le programme d’investissements d’avenir a survécu aux alternances politiques, ce qui est un signe fort qui a consolidé son ADN. Par ailleurs, ce programme a permis de changer les états d’esprit, ce qui n’était pas évident. Globalement, il a eu des effets très probants, notamment sur l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation, comme l’a montré le rapport d’évaluation du comité de surveillance des investissements d’avenir (lire sur AEF info).
En revanche, je crois que nous sommes restés trop discrets sur les résultats et notamment les aides aux entreprises. Nous n’avons pas assez communiqué sur l’impact socio-économique important des investissements d’avenir de l’État. Pourtant, parmi les entreprises de l’indice French Tech 120, plus de 50 ont bénéficié d’un financement PIA, dont 18 entreprises membres du Next40 (Ynsect, Doctolib, etc.). Ces entreprises auraient peut-être existé sans le PIA, mais sans doute pas au niveau d’excellence qu’elles ont atteint grâce à son soutien.
Par ailleurs, le PIA a permis de réaliser tout un travail sur l’aval de la chaîne de l’innovation. Quand le programme a été créé en 2010, le financement des start-up en fonds propres était très, très limité. Il n’y avait pas cette tradition en France si ce n’est quelques business angels, mais pas de fonds d’investissement d’importance… Aujourd’hui, le PIA a permis la mise en place de 17 fonds d’investissement, ce qui a contribué à améliorer drastiquement les résultats de la France en matière de capital-risque.
AEF info : Dans une interview à AEF info, l’ancien commissaire général Louis Schweitzer estime que "l’une des principales transformations du PIA, en matière d’ESRI, est sans aucun doute la fin de l’égalitarisme". Partagez-vous ce constat ? (lire sur AEF info)
Guillaume Boudy : Nous avons conservé ce système très compétitif grâce au jury international, auquel nous tenons beaucoup, qui porte un regard de très haut niveau absolument essentiel. Les membres n’ont de comptes à rendre à personne. Pourtant, il n’est pas toujours aisé de dire non à un projet. Je rejoins tout à fait Louis Schweitzer sur son constat. Nous assumons pleinement cette forte sélectivité des projets. Il faut un certain courage pour choisir les meilleurs.
Néanmoins, il faut que cette sélectivité soit intelligemment accompagnée. Lorsque nous avons lancé les Tiga ("Territoires d’innovation"), on nous a alertés sur le fait que si nous voulions prendre les meilleurs, ils seraient forcément issus des plus gros consortiums. Pour parer à ce risque, nous avons mis en place un système d’admissibilité, qui ouvre droit à un accompagnement d’ingénierie de projet, donnant ainsi leurs chances aux territoires plus petits ou moins dotés en ressources. Grâce à ce processus, certains projets de taille moyenne ou petite sont devenus aussi performants que les plus gros.
Le PIA doit être transparent, c’est de l’argent public. Il faut que tout le monde connaisse les règles du jeu et c’est pourquoi nous tenons absolument à ce que les cahiers des charges soient publiés en amont, puis les projets sélectionnés suivant un processus compétitif et ouvert.
"Le positionnement du PIA sous l’autorité directe du Premier ministre lui a permis de s’ouvrir davantage au dialogue interministériel, passant ainsi du 'faire à la place des ministères' au 'faire avec les ministères'."
AEF info : Selon vous, le PIA a-t-il été suffisamment évalué ?
Guillaume Boudy : Nous avons eu la chance de disposer d’un rapport d’évaluation de grande qualité sur le premier volet du PIA, rendu en décembre 2019 par notre comité de surveillance que préside Patricia Barbizet et qui est composé de parlementaires et de personnalités qualifiées de haut niveau. Auparavant, nous n’avions jamais eu cette vision globale, transversale. Il y avait quelques angles morts, comme la comparaison internationale. Les résultats de ce rapport sont très positifs et valident la doctrine du PIA.
Le rapport a notamment souligné que nous étions encore dans la déclinaison du rapport Juppé-Rocard, même si le PIA 3 a marqué une première inflexion en mettant place des outils plus transversaux que dans les précédents PIA. Nous avons voulu faire du PIA 4 un outil plus stratégique, permettant d’animer une réflexion plus interministérielle, qui s’était un peu émoussée avec le temps. Concrètement, le PIA 4 propose de construire, pour quelques grands enjeux socio-économiques stratégiques pour la France, un programme de soutien à l’innovation cohérent, depuis l’éprouvette du chercheur jusqu’à la première série industrielle. La crise que nous traversons, en révélant certaines vulnérabilités de nos organisations, est venue légitimer une démarche du PIA 4 engagée quelques mois auparavant à la demande de l’Élysée et de Matignon.
En outre, et contrairement à ce qu’on a pu dire, tous les outils du PIA (IRT, ITE, Satt, idex, isite, etc.) ont été très régulièrement évalués. Chaque fois qu’une décision de refinancement est prise, une évaluation préalable est conduite sous les auspices de l’ANR. En 2019, nous sommes même allés plus loin en confiant une mission d’évaluation scientifique des IRT au HCERES (lire sur AEF info). En revanche, dans le cadre du PIA 4, seront privilégiées des évaluations dites in itinere, pour permettre les ajustements nécessaires en cours d’exécution, ce qui n’exclut pas bien sûr les évaluations ex-post.
Interrogés dans le cadre d’un dossier d’AEF info sur les 10 ans du PIA, les anciens commissaires généraux René Ricol, Louis Gallois et Louis Schweitzer ont unanimement salué le modèle des IHU (lire sur AEF info). "C’est un modèle en effet très fascinant car il touche à la santé, domaine qui concerne tout le monde", estime pour sa part Guillaume Boudy. "Ce sont des outils qui fonctionnent bien et qui sont pilotés par des grandes personnalités scientifiques", poursuit-il.
Toutefois, il considère qu’il est "juste et injuste à la fois de dire que les IHU sont le symbole du PIA", arguant qu’il est "difficile de ne pas citer les idex, les labex ou même le soutien apporté aux entreprises. Ce sont aussi de vraies réussites avec de très beaux projets."
AEF info : Alain Juppé, "père fondateur" du PIA avec Michel Rocard, considère que le SGPI "n’a plus le prestige d’antan". Quel est votre sentiment ? (lire sur AEF info)
Guillaume Boudy : Au lancement du PIA, il fallait une équipe de pionniers si j’ose dire, qui ouvre de nouvelles voies en bousculant parfois les habitudes ministérielles. Petit à petit, grâce à l’action déterminée de mes prédécesseurs, le PIA a conquis une place reconnue d’investisseur de long terme, appuyé sur une doctrine solide et efficace. Sa consolidation par plusieurs programmes successifs et son positionnement, sous l’autorité directe du Premier ministre, a permis au PIA de s’ouvrir davantage au dialogue interministériel, passant ainsi du "faire à la place des ministères" au "faire avec les ministères".
Quand je suis arrivé, ma feuille de route était très claire. Mon titre était différent, je ne suis pas commissaire général mais bien secrétaire général et les termes ne sont jamais neutres. Le secrétaire général doit avoir une vision plus transversale et beaucoup plus interministérielle, comme le sont les secrétariats généraux rattachés au Premier ministre : SGAE, SGDSN, etc. Nous essayons "d’embarquer" les ministères sans toutefois oublier l’exigence de la doctrine du PIA. Le gouvernement a souhaité faire évoluer ce poste vers une mission de coordination de l’action du gouvernement. In fine, une fois le débat tenu et l’alignement interministériel acquis, la décision d’investir revient au seul Premier ministre.
Comment faire entrer le monde économique dans les universités ? C’est l’un des sujets de réflexion du SGPI. "Les grandes écoles parviennent à trouver des ressources extérieures, il faudrait qu’il en soit de même pour les universités", indique Guillaume Boudy. "C’est pourquoi, nous réfléchissons à un outil du PIA 4 qui permettrait de les aider à constituer une équipe dédiée, car il s’agit d’une fonction à part entière. Nous pourrions octroyer un bonus à chaque fois qu’un euro serait récupéré par les universités", développe-t-il.
"Regardez le monde de la culture. À l’époque, aller chercher de l’argent chez des mécènes pour financer un projet ou un établissement culturel était très mal vu. Et pourtant ils l’ont fait depuis, et avec le succès qu’on connaît", analyse l’ancien secrétaire général du ministère de la Culture. "Nous voulons pousser cela dans l’ESR", insiste-t-il, tout en regrettant le succès mitigé de l’appel à projets SUR (sociétés universitaires de recherche, lire sur AEF info). "Cet AAP visait à renforcer l’autonomie des universités, des écoles, des organismes de recherche ou leurs regroupements en leur permettant de valoriser leur patrimoine matériel et immatériel. Le marché est formidable mais nous avons sans doute brûlé des étapes", concède Guillaume Boudy.
"Ce patrimoine peut être valorisé en montant des joint-ventures avec des entreprises et ainsi en faisant entrer une forme de logique économique dans les universités, en développant davantage la formation continue." "Nous allons lancer cet outil dans le courant de l’année car il est indispensable de donner davantage de moyens nouveaux aux universités", poursuit-il.
AEF info : L’une des critiques formulées à l’encontre du PIA est sa faible régionalisation. Le PIA 4 entend-il répondre à ce défi ? (lire sur AEF info)
Guillaume Boudy : Il y a deux champs sur lesquels nous avons beaucoup de travail : l’interministériel que j’évoquais à l’instant et la collaboration avec les collectivités, qui suscite en effet de fortes attentes. Il est clair que certaines régions ont des compétences fortes. Il faut mutualiser les expériences et capitaliser sur ce qui se fait bien dans une région pour le diffuser aux autres. La force du PIA est d’aller sur un sujet comme les idex et d’investir des centaines de millions d’euros sur 10 ans, ce qu’aucune région ne pouvait faire seule.
Pour autant, les territoires et les collectivités qui les animent sont un des facteurs clés de la réussite des investissements du PIA. En doublant, dans le PIA 4, l’enveloppe du PIA 3 régionalisé (500 M€ de l’État abondés par 500 M€ des régions) nous voulons affirmer la déconcentration et la décentralisation de la décision en la confiant aux préfets, en partenariat étroit avec les présidents de région. Nous avons ouvert plus largement le choix aux régions de définir la taille des guichets qu’ils veulent utiliser et le choix des secteurs d’intervention pour davantage de cohérence avec leurs stratégies 3S d’innovation et de spécialisation.
Sur la partie dite "dirigée" du PIA 4, nous avons saisi début décembre les préfets en leur demandant de se rapprocher des régions pour leur demander sur quelles stratégies d’accélération ils souhaiteraient se positionner particulièrement. Avec le PIA 4, nous voulons préparons le jour d’après, pour ne pas perdre de vue l’investissement du futur afin de sortir plus compétitifs, plus écologiquement responsables et plus souverains de cette terrible crise.
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Julien Jankowiak,
journaliste