En plus des cookies strictement nécessaires au fonctionnement du site, le groupe AEF info et ses partenaires utilisent des cookies ou des technologies similaires nécessitant votre consentement.
Avant de continuer votre navigation sur ce site, nous vous proposons de choisir les fonctionnalités dont vous souhaitez bénéficier ou non :
Modification des relations de travail, implications sur le temps de recherche, gains en termes d’agilité et de simplification des procédures : dans une table ronde organisée par l’AFDESRI le 22 janvier 2021, intitulée "Dirigeantes en temps de crise", Emmanuelle Garnier, présidente de Toulouse-II, Dominique Costagliola, directrice adjointe de l’IPLESP, et Laurence Corvellec, DGS de l’ENS, font part de ce que leur a révélé cette crise. Avec plusieurs défis à relever, que ce soit de répondre à la demande de socialisation des étudiants ou de continuer à faire avancer les grands projets.
Cette dépêche est en accès libre.
Retrouvez tous nos contenus sur la même thématique.
Emmanuelle Garnier se dit tout d'abord "frappée par la capacité des établissements, en quelques jours, à réinventer complètement le système et à le faire basculer dans de nouvelles modalités opérationnelles, certes pas parfaites, mais qui ont fonctionné". Jamais elle n'aurait cru cela possible. "Quand on voit comment on peine des dizaines d'années sur certaines réformes et que là, on a réalisé une révolution complète en dix jours, tant du point de vue de l'enseignement que du travail administratif… C'est un petit miracle."
Son espoir pour l'avenir est d'aller vers une "université plus souple, mieux adaptée à la réalité de la vie des étudiants, dont beaucoup travaillent". Selon elle, "cette crise a révélé en profondeur cette réalité de la vie quotidienne des étudiants. Aucun personnel ne peut aujourd'hui ignorer les problématiques 'équipements', 'logement', 'restauration' et 'socialisation'."
la socialisation, 3e pilier aux côtés du social et du psychologique
Elle confesse d'ailleurs que cette question de la socialisation a été pour elle une "révélation". "Je suis frappée de voir que la réponse aux maux étudiants a été jusqu’à présent une réponse un peu automatique, soit sur du social – on a beaucoup musclé nos aides et les enveloppes budgétaires – soit sur du psychologique – avec les Crous et les services de santé. Mais on ne couvre pas le spectre des demandes. Il y a un 3e pilier en émergence qui est celui de la socialisation."
La question qui se pose donc selon elle aux établissements est aujourd’hui de trouver "comment aller plus loin pour prendre en considération la lutte contre l’isolement, la démotivation, la difficulté à se projeter". "On est face à un grand point d’interrogation sur le 'comment'. Les étudiants nous le disent : ils n’ont pas besoin de psy, mais de rencontrer des gens, de parler, de rire. On a là un chantier important. Il faut trouver des idées."
Elle insiste aussi sur un public qui lui semble "particulièrement fragile mais dont on parle peu", à savoir les doctorants, qui sont "en pleine crise de démotivation". "Nous avons posé la question au MESRI de savoir si l’on pouvait les inclure dans le dispositif des petits groupes de dix. On nous a répondu que non." Elle alerte notamment sur les doctorants de SHS qui ne peuvent plus aller sur le terrain pour leurs enquêtes. "Je redoute des abandons de thèse, de guerre lasse", dit-elle.
Dominique Costagliola, directrice adjointe de l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique, évoque de son côté le cas des "doctorants par ailleurs médecins" qui n’ont "plus aucun temps pour faire de la recherche". "C’est un public qu’il faut suivre de manière précise et attentive. Il faudra adapter les critères d’évaluation pour ne pas les pénaliser."
un effet positif sur la vie interne des laboratoires
Dominique Costagliola revient également sur les impacts de la crise sur le fonctionnement de la recherche. Avec un effet positif : celui de l’accélération incroyable du calendrier pour le financement des projets de recherche. Là où il s’écoule d’ordinaire un an entre l’idée d’un projet et sa mise en œuvre, elle a assisté à des projets montés en un mois, même pour des protocoles incluant des malades. "On a vu que le système pouvait être beaucoup plus agile qu’en temps normal et j’espère que nous en tirerons des leçons."
Elle note aussi un effet positif sur la vie interne des laboratoires. "En temps normal, on peine à organiser des séminaires de laboratoire en présentiel et quand on est 20 sur 250 personnes, c’est déjà un succès ! Là, grâce aux séminaires en virtuel, nous sommes près de 200 participants : cela va donner des idées pour le futur."
des effets contrastés hommes/femmes sur le temps de recherche
Quant aux effets sur le temps consacré à la recherche, ils sont contrastés selon les profils. Si certains ont eu plus de temps pour publier ou candidater à des appels à projets – Dominique Costagliola a constaté un accroissement de 30 % de dépôt sur un projet européen dont elle est membre du jury – différents participants au séminaire nuancent : "Sur le nombre de projets déposés (ou de pré-prints) pendant le confinement, il faut distinguer ceux déposés par les hommes, qui ont augmenté, et ceux déposés par les femmes, qui eux ont diminué, parfois énormément dans certaines disciplines", fait par exemple remarquer Frédérique Pigeyre, professeure au Cnam. Rachel Schurhammer, directrice de la faculté de chimie de l’université de Strasbourg, pointe pour sa part "une différence entre les enseignants-chercheurs et les chercheurs".
Frédérique Chlous (MNHN) témoigne de son côté des "difficultés des cadres pendant cette période, et en particulier des directeurs d’unité et les directions intermédiaires" : "Ils ont dû abandonner toute recherche. L’encadrement, non formé, a dû surinvestir en temps et en énergie pendant cette crise."
des relations de travail transformées
Laurence Corvellec, DGS de l’ENS-PSL, revient quant à elle sur les effets positifs sur les "relations de travail", complètement "transformées", sans doute "durablement". "Il n’y a plus de sujet sur les horaires de travail, sur comment on s’organise. On a réussi à mettre en place un cadre de confiance. On a appris à mieux communiquer, mieux informer, à créer de nouveaux liens avec les communautés. On a gagné en agilité et je ne pense pas que l’on reviendra dessus." Mais elle précise que ces avancées ne concernent pas tous les secteurs, ce qui peut induire des "tensions" et des préoccupations différentes selon les métiers.
Autre point d’attention : la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle, devenue plus ténue : "Il y a un point d’équilibre à trouver", note Dominique Costagliola. "Quand on voit les gens tous les jours, on peut détecter si quelqu’un ne va pas bien. C’est plus difficile sur Zoom ou Teams." Laurence Corvellec abonde : "Cela ne peut se faire sans une évolution du fonctionnement des cadres, du top management comme des cadres intermédiaires, afin de responsabiliser davantage les équipes. Mais comment maintenir cela dans la durée ? Il y a des collaborateurs qu’on ne voit plus : comment s’assurer qu’ils tiennent le coup ? Là aussi, on peut décider de simplifier la relation de travail, inventer par exemple d’autres cadres que celui de l’entretien annuel d’évaluation, être plus novateur et fonctionner dans une plus grande collégialité."
Elle fait part des premiers résultats d’une enquête menée toutes les semaines sur 1 000 personnes à l’ENS, depuis le début du 2e confinement : "Les femmes répondent plus et mettent en avant des difficultés sur le management. Elles se sentent moins soutenues par leur hiérarchie que les hommes. Le mot 'enfant' ressort pour les femmes, jamais pour les hommes. Et le mot 'fatigue' est également de plus en plus cité. La difficulté est donc bien là : il faut que l’on continue à transformer, tout en gardant la qualité de vie au travail."
Comme un pied-de-nez à la Une du Parisien titrée "Ils racontent le monde d'après", parue le 5 avril 2020, et qui mettait en scène quatre experts masculins, la seconde table-ronde de l'événement, intitulée "Elles pensent le monde de demain", s'est intéressée à la manière de mieux faire progresser la participation des femmes, tant dans les médias que dans la gouvernance des établissements. "La crise du Covid s'est caractérisée par une grande prépondérance des hommes scientifiques et experts, les femmes n’ont que très peu été sollicitées : est-ce que c’était par manque de disponibilité, manque de sentiment de légitimité ? Le constat est là et il faut essayer de repenser les rapports de pouvoir. Il faut que les femmes participent mieux aux décisions et pas se contenter d’une parité au rabais, il faut nous solliciter pour nos compétences et nos expertises", estime Valérie Verdier, PDG de l'IRD.
Pour Agnès Arcier, présidente d'une commission du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, les lois sur la parité restent aujourd'hui mal appliquées, notamment dans le partage de la gouvernance, en raison d'un manque d'accompagnement et d'un manque de suivi. "Quand il n'y a pas de quota, la part des femmes stagne en dessous de 20 %, on le voit dans tous les domaines, notamment dans l'ESR et en politique. Pourquoi ne pas introduire des bonus pour ceux qui font progresser la part des femmes ? Pourquoi ne pas conditionner l'accès au CICE au respect de la parité ?"
Faisant remarquer que même au sein des jurys de thèse, les femmes sont souvent peu nombreuses, Christine Musselin, ancienne directrice scientifique de Sciences Po, avance l'idée de mettre à disposition des universités des répertoires, à l'image de celui des Expertes, pensé pour les médias. "Guillaume Gellé le rappelait aujourd'hui, on est à 40 % de femmes chez les MCF et seulement 26 % chez les PU, ce qui a des conséquences ensuite sur la sollicitation des femmes dans les médias, car ils sollicitent davantage les PU", estime-t-elle.
"Or, je ne vois pas grand-chose dans la LPR sur la question des carrières. J'ai toujours vu, dans mes travaux, que les tenures-tracks n'étaient pas vraiment favorables aux femmes car elles s'adaptent peu à la maternité", poursuit Christine Musselin.
"Dans le cadre de la LPR, les chefs d’établissements présenteront, chaque année, le plan d’action pluriannuelle pour l’égalité F/H, et cela permettra d'avoir de la visibilité sur les données d'un point de vue national, réagit la députée Céline Calvez, qui appelle à développer les actions de mentorats et de "marrainage" en direction des femmes.
la durée de la crise pèse sur les grands projets
Laurence Corvellec pointe également une difficulté majeure, liée au fait que "la crise dure" et qu’il faut "gérer de l’incertitude en permanence", "sans savoir quand ça va s’arrêter" : "Jusqu’à présent, on a surtout géré de la logistique, de l’opérationnel, du technique. Ça, on sait faire. Mais il y a des choses sur lesquelles on a moins travaillé, notamment les grands projets." L’un des enjeux est aujourd’hui de "réussir à sortir de cette crise, de se projeter de nouveau vers l’avenir pour construire des projets transformants".
La DGS évoque aussi la question de la simplification des procédures administratives, "demandée depuis des années" mais enfin permise par la crise : "Il a des verrous qui ont sauté du point de vue des processus de gestion, comme sur les circuits de signature, avec le raccourcissement des schémas organisationnels, l’apparition de la signature électronique… Est-ce la disparition des parapheurs ? Le défi est de maintenir cette organisation. Il faut capitaliser là-dessus et augmenter ces principes de simplification."
le rôle des réseaux
Laurence Corvellec salue enfin l’activité jouée par les réseaux professionnels durant cette crise, qui "se sont renforcés, ont été très présents, partageant beaucoup de documents stratégiques". "Il y a eu une solidarité qui s’est mise en place, tout à fait fructueuse. Et j’ai constaté une énorme solidarité entre DGS au sein de PSL : nous avons établi des liens forts sur lesquels nous allons pouvoir capitaliser à l’avenir."
Pour conclure, Sophie Béjean, rectrice de Montpellier, salue les "nouvelles coopérations nées entre les institutions". "On a travaillé complètement différemment avec les universités, les Crous, les collectivités, les associations. Avec un grand bénéfice. Je m’emploierai dans l’avenir à faire vivre cette nouvelle relation institutionnelle", indique-t-elle.
Toutes ces questions relatives à ce que la crise a révélé et aux changements durables qu’elle appelle seront abordées à l’occasion d’un webinaire organisé par AEF info le 29 janvier 2020 (lire sur AEF info).
Durant ce webinaire d’analyse de l’impact de la crise, trois chercheurs qui en ont fait leur sujet d’étude partageront leurs observations et leurs réflexions :
Vous souhaitez contacter
Sarah Bos,
journaliste