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C’est l’un des grands dossiers énergétiques des années à venir : quelle sera la composition du mix électrique français en 2050 ? AEF info y consacre un décryptage pour rendre compte de l’état technique du débat actuel. Si l’horizon avancé par l’exécutif est connu à moyen terme, avec une part du nucléaire réduite à 50 % en 2035 et celle des énergies renouvelables qui atteindra 40 % en 2030, les questionnements restent entiers pour les années suivantes. À ce titre, de plus en plus de travaux rendent comptent d’une faisabilité technique et économique d’un mix fortement renouvelable censés construire les choix politiques futurs. Ceux de l’Ademe ont ouvert la voie avant que des chercheurs, comme ceux du Cired, et récemment le gestionnaire de réseau RTE s’en emparent à leur tour. Malgré ce "consensus scientifique", des critiques demeurent sur un tel futur énergétique.
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Énergies renouvelables ou nucléaire ? Le choix du mix électrique en 2050 sera tranchée dans le cadre de la prochaine élection présidentielle. Droits réservés - DR
Le débat entourant la composition du futur mix électrique va prendre un tournant décisif cette année avec la publication annoncée de plusieurs études prospectives, le choix définitif étant néanmoins suspendu à l'issue de la prochaine élection présidentielle. L'actuel locataire de l’Élysée, pas encore candidat, semble néanmoins s’être déjà positionné. À l’occasion d’un déplacement à l’usine Framatome du Creusot (lire sur AEF info), en décembre dernier, Emmanuel Macron a en effet marqué son soutien au nucléaire indiquant en avoir "besoin". "Si je ferme le nucléaire demain, qu’est-ce que je fais ? Le nucléaire est une énergie décarbonée non-intermittente. Je ne peux pas le remplacer du jour au lendemain par du renouvelable. Ceux qui disent ça, c’est faux", avait-il alors indiqué.
Point de tension
Politiquement clivante, l’affirmation ne fait pas non plus consensus d’un point de vue technique et économique. La loi énergie-climat de 2019 a acté le passage de l’atome de 70 à 50 % du mix électrique en 2035 tandis que la loi de transition énergique tablait, dès 2015, sur une production de 40 % d’électricité renouvelable en 2030, contre 25 % aujourd’hui. Il s’agit dès lors de savoir ce qu’il adviendra de la diversification du système passée cette période. Et privilégier l’une ou l’autre des deux sources d’énergie décarbonées à l’horizon 2050 constitue le point de tension principal entre les différents prospectivistes.
Trois chercheurs liés au Cired — Behrang Shirizadeh, Quentin Perrier (désormais rattaché à I4CE) et Philippe Quirion — ont relancé cette réflexion, lancée par l’Ademe dès 2013 puis amplifiée (lire sur AEF info), à la fin de l’année dernière avec une étude parue dans The Energy Journal ("How Sensitive are Optimal Fully Renewable Power Systems to Technology Cost Uncertainty ?") et présentée en novembre (lire sur AEF info). Ils soutiennent ainsi qu’un mix composé à 100 % d’énergies renouvelables est "techniquement possible" à un coût "raisonnable" : 21,4 Md€ par an, à 52 €/MWh, soit "à peu près le coût du parc de production actuel, hors réseau, tel qu’estimé par la Commission de régulation de l’énergie", précise à AEF info Philippe Quirion, chercheur au CNRS et membre de l’association anti-nucléaire Négawatt.
Avec 264,5 GW de capacités installées, dont 122 GW de photovoltaïque et 80 GW pour l’éolien terrestre, ce système répond à une demande d’électricité heure par heure, en dépit des fluctuations météorologiques mais n’inclut ni les importations et exportations liées aux interconnexions ni flexibilité de la demande d’électricité. Si ces éléments peuvent faire varier le mix "optimal", ils n’ont en revanche pas d’impact sur le coût global du système, faisant dire aux chercheurs que ces technologies sont "largement substituables" entre elles.
Mix "optimal" à 75 % renouvelable
Une seconde étude (Low-carbon options for the French power sector: What role for renewables, nuclear energy and carbon capture and storage ?), publiée en novembre dans la revue Energy Economics, à laquelle n’a pas contribué Quentin Perrier, et dont les résultats ont été détaillés le 14 janvier par les chercheurs (lire sur AEF info), est venue la compléter. Elle intègre cette fois le nucléaire, ainsi que le CSC (captage et stockage de CO2), permettant notamment de comparer sa compétitivité avec celles des énergies renouvelables. Les différents scénarios convergent vers un mix "central" optimal composé à 75 % d’énergies renouvelables, "quel que soit le coût social du carbone (1)", et de 25 % de conventionnelles réparties entre le nucléaire et le gaz naturel avec CSC. Son prix serait, lui, compris entre 45 €/MWh et 49 €/MWh pour un prix du carbone de 200 €/t CO2. La capacité de stockage requise, par méthanation, step ou batteries, est par ailleurs relative puisqu’elle ne "dépasse pas 20 Mt/an de CO2", tout comme leur part dans le coût total, avance encore le chercheur.
Leurs simulations reposent sur 18 années de données météorologiques (2000-2017) issues de la Nasa, dont certaines avec des périodes sans vent ni soleil pour se prémunir contre d’éventuelles critiques sur ce point. Ils affirment, par ailleurs, que le changement climatique aura "peu d’impact" sur la production éolienne et solaire en France, entre –3 et –5 %, précise Philippe Quirion, citant notamment les travaux de l’IPSL sur le sujet. Le président du Réseau action climat France ajoute également la demande d’électricité, un élément "très important" mais qui reste complexe à identifier sur cette échelle de temps. Le modèle des deux prospectivistes du Cired s’appuie donc sur une consommation fixe de 422 TWh par an, un profil utilisé par l’institut Négawatt dans ses propres travaux prospectifs, en la comparant avec la demande "la plus élevée jamais observée", de 480 TWh en 2016.
Les chercheurs observent, dans ce nouvel article, "une forte augmentation de la part de l’énergie nucléaire dans le mix électrique en augmentant la demande d’électricité. À l’inverse, pour une faible demande d’électricité, l’énergie nucléaire ne contribue pas de manière significative à la production d’électricité". La proportion d’énergies renouvelables ou de nucléaire est, par ailleurs, "très sensible" aux coûts relatifs des technologies. Sur le cas spécifique du nouveau nucléaire, si les prochains EPR parviennent à diviser leur coût au moins par deux et si les progrès des renouvelables sont plus lents que prévu, sa part pourrait monter à 50 %. Mais elle pourrait aussi tomber à zéro si son coût ne diminue pas d’au moins 40 %, une baisse jugée "très optimiste" par les chercheurs au regard des nombreux retards et des coûts croissants des chantiers dont celui de Flamanville. L’EPR normand accuse ainsi plus de dix ans de retard pour un coût qui passerait de 3,8 Md€ en 2006 à plus de 19 Md€ lors de son raccordement au réseau, soit "pas avant 2023", selon la Cour des comptes (lire sur AEF info).
Des hypothèses "héroïques"
Cette position n’est pas celle d’Henri Prévot, consultant en énergie et auteur d’un blog sur lequel il publie ses propres études prospectives. Pour lui, "les hypothèses du Cired sont difficilement crédibles voire héroïques". Les baisses de coûts des éoliennes et du solaire sont "tellement optimistes" à ses yeux, qu’il a souhaité également utiliser les données de RTE contenues dans son bilan prévisionnel de 2017 sur l’équilibre offre-demande d’électricité en France dans lequel le gestionnaire de réseau a publié cinq scénarios de mix électrique pour 2035. "Même en supposant une très forte baisse des coûts éolien et photovoltaïque, la production et le stockage d’électricité sans nucléaire ne seront pas moins coûteux qu’avec le nucléaire", affirme-t-il à AEF info. Et concernant le coût de production dans 30 ans, c’est "parole contre parole" selon lui. Dans une note critique, relayée par l’association pronucléaire Sauvons le climat dont il est un contributeur régulier, l’ingénieur des mines liste ainsi sept "verrous" qu’il serait nécessaire de lever sans quoi il est "inutile de parler d’un mix 100 % renouvelable".
Parmi eux, il y a "la stabilité du réseau" dont il faudrait qu’elle soit "préservée sans l’inertie des machines tournantes de production", affirme-t-il, opposant ainsi la "concentration" du nucléaire à la "dispersion de centaines de milliers de points de production d’électricité" issue des énergies renouvelables. Il serait également question d’un "encombrement" massif des sols puisque, d’après ses estimations, un tel système supposerait d’implanter "30 00 éoliennes et 100 00 hectares de panneaux photovoltaïques", soit des surfaces affectées "500 à 1 000 fois plus importantes qu’avec le nucléaire pour une même consommation d’électricité". Le consultant craint également un "abandon de souveraineté" vis-à-vis d’autres pays en termes notamment de "consommation de matériaux", celle de cuivre serait par exemple "huit fois plus importante" pour construire des éoliennes que des centrales, dit-il.
Pour y remédier, il faudrait donc, poursuit Henri Prévot, "diminuer la consommation d’électricité", notamment en mettant "tous les logements existants à la norme BBC (bâtiments basse consommation)" comme le prévoit la PPE. Or, cela "coûte très cher, entre 20 et 30 Md€ par an, sans résultat sur le CO2 puisque l’électricité est déjà largement décarbonée en France", avance-t-il, indiquant qu’il serait "beaucoup moins coûteux de dépenser moins pour économiser l’énergie, d’équiper les logements en pompes à chaleur et de consommer plus d’électricité nucléaire".
Rejetant toute forme de sobriété, "une vertu morale" dans ce débat nucléaire-renouvelables selon lui, il insiste sur le seul objectif qui vaille à ses yeux, "moins de CO2, pour pas trop cher", également le titre de l’un de ses livres paru en 2013. "Pour éviter des dépenses de CO2, il faut les faire là où ça coûte le moins cher", explique-t-il, appelant à des partenariats avec d’autres pays comme ceux du Sahel car les gaz à effet de serre n’ont "pas de frontière". "Il faut regarder l’ensemble du système en ajoutant aux dépenses de production d’électricité les dépenses d’économie d’énergie", ajoute-t-il.
"Sans le nucléaire, il faudra d’énormes capacités de production et dépenser davantage pour transporter et distribuer cette électricité produite un peu partout et fluctuante", résume l’ingénieur des mines. L’ensemble de ses critiques a, depuis, fait l’objet d’une réponse détaillée des chercheurs du Cired sur le blog de l’économiste Alain Grandjean.
Nous avons été critiqués par Henri Prévot (ingénieur général des Mines) suite à notre publication d’électricité 100 % #renouvelable avec @QPerrier et @pquirion1 : six (+1 bonus) "si". Notre réponse cosignée par @alaingrandjean (un grand merci à lui): https://t.co/4gQDwkgbLl
— Behrang Shirizadeh (@BShirizadeh) January 14, 2021
"Conscensus scientifique"
Pour David Marchal, directeur exécutif adjoint de l’expertise et des programmes de l’Ademe, la vision d’Henri Prévot est "d’un autre siècle". Lui se dit "globalement assez satisfait de la tournure que prennent les choses". "Quand on a lancé les premiers travaux sur un mix 100 % renouvelable, notre objectif était de boucher un trou puisque personne en France ne regardait ces sujets. Aujourd’hui, force est de constater que ça a permis d’alimenter le débat public et que des laboratoires s’emparent de ces questions", se félicite-t-il auprès d’AEF info, citant également le travail de RTE. Avec l’AIE, le gestionnaire de réseau s’est ainsi penché sur les "conditions et prérequis en matière de faisabilité technique pour un système électrique avec une forte proportion d’énergies renouvelables à l’horizon 2050", selon l’intitulé du rapport commandé par le ministère de la Transition écologique fin 2019 et présenté le 27 janvier (lire sur AEF info).
Ses conclusions rejoignent en partie celles des chercheurs du Cired affirmant qu’un tel système est "techniquement réalisable" s’il répond à quatre conditions "strictes et cumulatives" : stabiliser le système, grâce notamment à de nouveaux convertisseurs, sécuriser l’alimentation électrique en trouvant entre 40 et 60 GW de capacités supplémentaires, redimensionner les réserves opérationnelles et développer massivement les réseaux d’électricité au-delà de 2030. À cette occasion, le président du directoire de RTE, Xavier Piechaczyk, a reconnu un "consensus scientifique" sur des solutions techniques visant à en accueillir une très large part, tout en indiquant qu’il y avait, pour ce faire, "des défis de taille à relever, d’industrialisation et de déploiement", notamment concernant la variabilité des éoliennes et panneaux solaires. "Et plus la part de renouvelable est grande, plus les défis seront grands", a-t-il ajouté.
Pour la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili (ex-EELV), il s’agit désormais de "poursuivre ce travail de prospective pour garantir un débat public de qualité et fonder nos choix en matière de politique énergétique sur des bases scientifiques et techniques, en éclairant pleinement les conséquences des différents scénarios envisageables".
"Les arguments deviennent différents"
"Jusqu’à présent, les critiques contre les énergies renouvelables se concentraient sur des questions de faisabilité technique ou de coût. Je pense qu’on a fourni des éléments de réponses. Aujourd’hui, les arguments deviennent différents puisque le nouveau nucléaire coûtera plus cher", défend David Marchal, parlant d’un travail "complémentaire" avec RTE. Ainsi, pour les installations mises en service entre 2018 et 2020, le coût de production pour l’éolien terrestre est compris entre 50 et 71 €/MWh et 45 et 81 €/MWh pour les centrales au sol photovoltaïques selon l’étude de l’agence publique "Coûts des énergies renouvelables et récupération en France", mise à jour en janvier 2020. Celui de l'EPR de Flamanville serait compris entre 110 € et 120 €/MWh par la Cour des comptes, dans son rapport publié en juillet 2020 sur la filière, contre 42 €/MWh fixé par le dispositif actuel de l’Arenh. En 2018, EDF estimait que ce "prototype" était "non représentatif de ce que pourrait être le coût" du nouveau nucléaire en général, qu'il évaluait en 2018 entre "60 et 70 €/MWh" (lire sur AEF info). Tout en reconnaissant dès 2017 qu'il visait un nouveau nucléaire compétitif face aux énergies fossiles et non plus face aux énergies renouvelables (lire sur AEF info).
À l’Ademe, "tous les travaux sur le sujet visent à évaluer le potentiel de développement des énergies renouvelables de manière à pouvoir lever les freins", poursuit-il. Le coût élevé de l’éolien en mer en est un par exemple. C’est la raison pour laquelle cette source d’énergie apparaît assez peu dans les travaux prospectifs alors que son développement permettrait notamment d’avoir "moins de terrestre dans le mix" et donc "de répondre aux problématiques d’acceptation sociale" auxquels les parcs onshore sont confrontés (lire sur AEF info). En atteignant 44 €/MWh, l’appel d’offres remporté par EDF en 2019 pour le parc éolien offshore de Dunkerque, dont la mise en service est prévue en 2025, marque toutefois un changement.
Quelle route emprunter ?
Plusieurs autres travaux sont en cours au sein de l’Ademe témoignant qu’un mix "très majoritairement renouvelable est possible". L’un défend la possibilité d’une autonomie énergétique d’ici à 2035 des cinq zones non-interconnectées d’outre-Mer (Mayotte, la Réunion, Guadeloupe, Martinique et Guyane) et de la Corse, avec un mix 100 % énergies renouvelables répondant notamment au sujet "complexe" de la stabilité du réseau. "Pour ces territoires non interconnectés, nous avons testé les réponses du système face à quelques incidents pour mesurer la stabilité en fréquence. Avec les énergies renouvelables et le stockage, elles étaient meilleures que pour un système conventionnel ; même si cela ne règle pas tout, ces éléments de connaissance sont très encourageants", affirme-t-il. Pour autant, David Marchal le précise, "on se focalise sur un mix à 100 % renouvelable mais à 80 %, ce serait déjà un autre monde".
Un autre travail intitulé "Prospective Énergie Ressources 2050", dont les contours ont récemment été dévoilés (voir encadré), porte, lui, sur quatre trajectoires "contrastées" pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et "sortir d’une vision uniquement portée sur l’électricité". "On veut aller plus loin en quantifiant les matières nécessaires à la transition pour le système électrique mais aussi pour la mobilité ou la rénovation thermique des bâtiments par exemple", expose-t-il.
À l’occasion d’un séminaire, organisé le 15 janvier, l’Ademe a souhaité présenter une ébauche des quatre scénarios qui composent son étude "Prospective Énergie Ressources 2050". Ce travail commencé en 2019 doit permettre d’illustrer les "champs d’options encore possible à long terme pour atteindre la neutralité carbone" à cet horizon. Les résultats, "préliminaires" à ce stade, ont l’ambition de "nourrir de futurs textes comme la prochaine SNBC", expose Eric Vidalenc, économiste à l’Ademe et animateur de cette matinée. Cinq axes "structurants" (technique, société, économique, gouvernance, territoires) composent ces scénarios
"Le premier et le dernier scénario sont deux mondes qui n’ont rien à voir. Le but est de montrer qu’en 2021 on peut encore choisir différents chemins de transition. Il n’y a pas une manière d’y parvenir", explique l’économiste. Le projet doit aboutir d’ici "l’automne 2021".
RTE publiera justement, à l’automne, huit scénarios de mix sous l’angle technique, économique, environnemental et sociétal pour atteindre la neutralité carbone dont le scénario "le plus ambitieux" pour le nucléaire est de 50 % en 2050, impliquant un "effort très important" de "renouvellement accéléré du parc". Trois scénarios "renouvelables sans nouveau nucléaire" reposeraient, eux, sur un mix électrique composé à 85 % de renouvelables et à 15 % de nucléaire tandis qu’un autre se concentrait sur un système 100 % renouvelables. Après l’analyse d’un objectif fixé à 2050, Philippe Quirion n’exclut pas un nouveau travail qui pourrait cette fois porter sur la "transition", le chemin à emprunter pour atteindre la neutralité carbone. "Avant de prendre la route, il faut décider où on veut arriver."
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Antoine Corlay,
journaliste