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Justice climatique : l'accord de Paris, argument incontournable des plaidoiries

"L’accord de Paris n’est opposable qu’aux États qui l’ont ratifié. Mais il fait figure de boussole universelle puisqu’un certain nombre d’acteurs non étatiques se sont engagés à concourir à l’objectif fixé à l’article 2", à savoir "contenir d'ici à 2100 le réchauffement climatique bien en dessous de 2 °C", rappelle l’avocat Sébastien Mabile. Ce traité international, adopté le 12 décembre 2015, marque un avant et un après dans les affaires climatiques, qu’il s’agisse d’actions engagées à l’égard des États ou des entreprises. Il est leur dénominateur commun. En France ? Total et Grande-Synthe. Aux États-Unis ? Les affaires contre les "carbon majors". Mais aussi en Colombie, en Australie ou aux Pays-Bas… "À partir du moment où il est mobilisé dans des requêtes et interprété par des juges, cet instrument prend vie", analyse Christel Cournil, professeure de droit public à Sciences Po Toulouse.

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En septembre dernier est paru l’ouvrage "Les grandes affaires climatiques", sous la direction de Christel Cournil, professeure de droit public à Sciences Po Toulouse. "Je trouvais intéressant de montrer qu’il y a des procès partout dans le monde, menés dans des systèmes juridiques très différents, avec des cultures juridiques très variées. Et pourtant, ils traitent tous du même sujet, le climat, avec des personnes qui souhaitent dire à un moment donné 'l’État ne va pas assez loin' ou 'l’entreprise est responsable'. Ce dénominateur commun semblait pertinent pour présenter ces affaires avec, à la fois, ce qui les sépare et ce qui les rassemble", explique à AEF info l’enseignante. À commencer par l’accord de Paris, cet "instrument phare".

Les contours de la justice climatique

680 pages plus tard, on peut dire que cette publication s’inscrit dans la tradition juridique des célèbres "grands arrêts", cartographiant toutes les grandes affaires climatiques existantes, qu’elles émanent du contentieux français (devant le juge civil ou administratif), des contentieux européen ou mondial. En se côtoyant dans ce recueil, ces affaires — contre les États ou contre les entreprises — permettent de dessiner les contours de la justice climatique.

Il manque à ce panorama la décision du Conseil d’État, rendue le 19 novembre, selon laquelle le gouvernement doit notamment "justifier, dans un délai de trois mois, que son refus de prendre des mesures complémentaires est compatible avec le respect de la trajectoire de réduction choisie pour atteindre les objectifs fixés pour 2030". À l’origine de la saisine en janvier 2019, le maire écologiste de Grande-Synthe (Nord). Il pointe "l’inaction climatique" du gouvernement et estime sa commune littorale menacée par la hausse du niveau de la mer. L’action est rejointe par les quatre ONG portant "l’Affaire du siècle"(1), qui ont "eu l’idée d’entrer dans le contentieux avec le mécanisme d’intervention volontaire", indique Christel Cournil, membre du conseil d’administration de Notre Affaire à tous. "Nous avions produit un riche argumentaire pour notre contentieux et voulions compléter le dossier de la ville de Grande-Synthe, en particulier sur l’obligation générale de lutte climatique qui pèse sur les épaules des États."

Grande-Synthe, une décision "inédite" voire "historique"

Pour Judith Rochfeld, professeure de droit privé à l’École de droit de la Sorbonne, la décision de la juridiction administrative "est plus qu’une avancée, c’est une décision historique ! Si on nous avait dit il y a quelques mois que le Conseil d’État demanderait des comptes à l’État français sur sa trajectoire et sa stratégie d’adaptation, nous aurions été très peu à le croire !"

C’est a minima "inédit que le juge administratif s’exprime sur la portée des obligations de l’État en matière de lutte climatique", considère Christel Cournil. Le Conseil d’État rappelle que l’accord de Paris est un traité de droit international, dont les sujets sont les États. "Il n’a donc pas d’effet direct sur les particuliers qui l’invoqueraient devant le juge national. En revanche, il faut que les autorités nationales mettent en œuvre dans le droit national les engagements auxquels ils ont souscrit" quand ils ont adopté et ratifié le traité. Autrement dit, il faut "interpréter le droit national à la lumière de l’accord de Paris, ce qui est très intéressant car cela fixe un cap", surtout "dans une perspective de contentieux climatiques qui se développent". En cherchant "un relais national", le Conseil d’État n’est pas isolé, beaucoup d’autres juridictions font la même chose, rappelle Judith Rochfeld. "Ce qui est également intéressant, c’est qu’il reconnaît à la commune un intérêt à agir", note Christel Cournil. La demande de Grande-Synthe est jugée recevable car elle est "particulièrement exposée aux changements climatiques".

L’accord de Paris "structure la lutte climatique"

L’article 2 de l’accord de Paris pose l’objectif commun sur lequel les États ont réussi à se mettre d’accord à l’issue des négociations de la COP 21 : contenir d’ici à 2100 le réchauffement climatique bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C. À partir de 2015, "on va voir apparaître dans les requêtes l’utilisation de l’accord de Paris", poursuit Christel Cournil. "Cet accord va produire des effets un peu partout, comme en France, où on va estimer qu’il structure la lutte climatique nationale parce que c’est une espèce de baromètre, de trajectoire, de standard posé qu’il faut respecter au niveau national."

La juriste prend quelques exemples à l’international. Le 31 juillet dernier, la Cour suprême irlandaise a retoqué le plan national de lutte contre le réchauffement climatique, jugeant qu’il n’était pas suffisamment précis. Le gouvernement doit détailler précisément les mesures qu’il compte mettre en place. En février 2019, en Australie, "on a demandé au juge de chausser ses lunettes climatiques pour estimer la pertinence d’un projet de mine à ciel ouvert et de dire s’il portait atteinte à la soutenabilité du système climatique, au regard des objectifs fixés de l’accord de Paris". "C’est un outil indéniable qui va être utilisé quasi systématiquement dans les procès."

Judith Rochfeld, auteure de "Justice pour le climat ! Les nouvelles formes de mobilisation citoyenne", complète : "La convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 1992, qui est le texte fondateur, et l’accord de Paris sont les deux traités récurrents dans les argumentations." Lorsqu’il s’agit de contentieux européens, à l’initiative de citoyens, un second type d’arguments apparaît, fondé sur la violation de droits fondamentaux. Ils s’appuient en particulier sur les articles 2 (droit à la vie) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la CEDH (convention européenne des droits de l’homme).

La CEDH se saisit de la question climatique

 

La Cour européenne des droits de l’homme a annoncé lundi 30 novembre 2020 qu’elle acceptait la plainte de six jeunes Portugais dénonçant l’inaction climatique de 33 pays, dont la France. La juridiction européenne a déclaré "accorder la priorité" à ce premier recours pour inaction climatique porté devant elle, en raison de "l’importance et l’urgence des questions soulevées". Elle demande donc aux États concernés de répondre aux plaignants, âgés de 8 à 21 ans, sur la manière dont leurs gouvernements contribuent aux émissions mondiales à l’intérieur et à l’extérieur de leurs frontières (lire sur AEF info).


"Discussions sur son caractère contraignant"

Les procès climatiques n’ont cependant pas attendu 2015 pour apparaître, nuance Marta Torre-Schaub, directrice de recherche au CNRS, spécialiste du droit de l’environnement et de la justice climatique, citant le plus célèbre d’entre eux, Urgenda, qui s’appuie sur la convention cadre des Nations unies de 1992 (voir encadré) ou encore "l’affaire Juliana contre les États-Unis", reposant sur des droits constitutionnels américains pour reconnaître aux jeunes générations un droit fondamental à un climat stable. Il n’en reste pas moins qu’à partir de 2015, l’accord de Paris est "de tous les procès climatiques", souligne Judith Rochfeld, "avec une discussion centrale sur son caractère contraignant".

"À partir du moment où il est mobilisé dans des requêtes et interprété par des juges, cet instrument prend vie", selon Christel Cournil. Certes, il sera "interprété différemment selon les juges nationaux", ce qui "lui donne plus ou moins de place". En France, l’accord de Paris prend pour la première fois une "place intéressante par cette invocation dans Grande-Synthe".

URGENDA, Le cas emblématique

 

Il y a un an, le 20 décembre 2019, la Cour suprême des Pays-Bas confirmait l’obligation pour l’État néerlandais de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 25 %, par rapport à 1990 et d’ici à 2020, contre les 20 % visés par le gouvernement. La juridiction a ainsi choisi de suivre le sens du jugement de première instance rendu en 2015 après deux recours en appel entrepris par l’État. Cette décision a été qualifiée d’historique car pour la première fois au monde, une décision de justice contraint un État à agir pour prévenir les changements climatiques.

À l’origine de l’affaire, une plainte de la fondation Urgenda. L’organisation, composée de 886 citoyens néerlandais et œuvrant en faveur du développement durable aux Pays-Bas, reprochait au gouvernement néerlandais de mettre en danger les droits fondamentaux de ses citoyens en ne prenant pas de mesures assez fortes pour lutter contre le changement climatique. Elle considérait les objectifs étatiques comme trop faibles, et s’appuyait en particulier les articles 2 et 8 de la CEDH.


Le rôle de l’expertise scientifique

Marta Torre-Schaub, dont le livre "Justice climatique : procès et actions" a été publié en novembre, constate entre les contentieux un "enrichissement des arguments, avec une certaine connectivité des différents plaignants. Ils se servent de modèle les uns les autres". Les premiers arguments présentés dans l’affaire Urgenda ont par exemple été "repris dans l’affaire belge, l’affaire irlandaise et l’Affaire du siècle en France, mais chaque fois en s’adaptant au droit national". Il y a effectivement une "circulation au fil du temps des répertoires d’actions, des argumentaires juridiques", observe Christel Cournil en compilant les affaires pour son recueil. À noter également, une homogénéisation sur les références d’expertise, avec la mention des rapports du Giec, pointe la professeure toulousaine. "D’ailleurs, s’il y a un avant/après accord de Paris, il y a aussi un avant/après du rapport spécial du Giec de 2018 sur la hausse de 1,5 °C, qui a été très important" sur l’expertise scientifique.

"À travers le monde, il y a donc un terrain commun de remise en question, celui de la carence des États à coller à leur trajectoire de baisse des émissions et d’objectifs d’adaptation des territoires avec des particularités. Mais certains procès se démarquent par une très grande originalité", pour Judith Rochfeld. Elle cite le cas colombien d’avril 2018, dans lequel la défense du climat est passé par la personnification d’entités naturelles, en l’occurrence l’Amazonie, un "argument que nous n’avons pas encore en Europe mais qui s’allie avec la défense des droits fondamentaux, l’accord de Paris, la convention cadre de 1992".

Giec et lien de causalité

"L’accord de Paris invite une pluralité d’acteurs à être plus actifs sur la question climatique, à s’aligner eux aussi sur la trajectoire des 2 °C", met en avant Marta Torre-Schaub. Ce qui peut expliquer pourquoi "les communes et les collectivités, qui n’engageaient pas d’action en justice avant 2015, pour les questions climatiques, le font davantage contre des entreprises, en particulier aux États-Unis".

L’accord de Paris n’est pas directement mobilisé dans ce type d’affaires et les différences d’argumentation plus importantes que dans les litiges contre les États. Il y a d’abord les procès qui calquent les arguments adressés aux États, comme l’affaire Shell aux Pays-Bas dans laquelle des milliers de citoyens pointent les carences de la politique climatique de la "carbon major". Viennent ensuite les procès mettant en cause les questions de responsabilité.

Ces dossiers en responsabilité civile contre les entreprises aux États-Unis sont "plus sophistiqués", en particulier sur l’établissement du lien de causalité. Les expertises scientifiques, "qui ont permis d’élaborer l’accord de Paris, ont un rôle à jouer en continuant de nourrir les questions de lien de causalité". "Dans ces affaires civiles, on demande des sommes d’argent très importantes donc il faut établir le lien de causalité puisqu’on vise à obtenir une réparation d’un préjudice, qu’il faut prouver, ainsi que l’origine du préjudice", détaille Marta Torre-Schaub.

tromperie sur les produits

"La causalité juridique est calquée sur la causalité scientifique classique : une cause entraîne un effet", reprend Judith Rochfeld. Mais pour ce type de pollution liée au climat, "on n’est pas sur un type de causalité du même ordre, car il y a des auteurs et des causes multiples, des émissions très diffuses dans le temps et en localisation, qui peuvent atteindre un effet de seuil, avec une émission beaucoup plus nocive que toutes celles qui précédaient". Ce type de causalité "qu’on n’a pas l’habitude de traiter juridiquement, pousse, pour accueillir ce type de responsabilité, à changer de causalité".

Autre obstacle majeur : "Toutes ces activités auxquelles on impute ces pollutions sont des activités légales. Or il est plus difficile d’attribuer une responsabilité à une entreprise alors qu’elle n’est pas en faute." Comme la responsabilité est très difficile à mettre en œuvre, la tromperie prend le relais dans ces procès, consommateurs et des investisseurs arguant de la nocivité des produits pour le système climatique.

Un "exercice ambitieux posé au juge"

En France, le premier contentieux climatique contre une entreprise est incarné par l’affaire Total. "Ce que cherchent les associations et les collectivités territoriales, c’est que le juge, par le détournement du code de commerce, et avec le devoir de vigilance fixé par la loi de 2017, dise que la cartographie et les plans de vigilance de l’entreprise ne tiennent pas assez en compte du standard posé par l’accord de Paris", décrit Christel Cournil. L’objectif de ce recours est de dire "certes, l’accord de Paris n’est pas applicable aux entreprises, qui ne sont pas sujets de droit international. Mais comme elles obéissent à des règles de droit interne et que la France a ratifié l’accord de Paris, quelque part pèse sur elles l’obligation de respecter le standard posé par cet accord". "C’est un vrai exercice ambitieux posé au juge, voire révolutionnaire, qui consiste à demander à ces entreprises de s’aligner sur la trajectoire 1,5 °C fixée par l’accord de Paris."

"Nous avons assigné Total fin janvier 2020", rappelle François de Cambiaire, avocat du cabinet Seattle qui défend les collectivités locales plaignantes. "Le groupe devait répondre à notre assignation sur le fond en juillet mais a pris prétexte du premier confinement pour demander un délai supplémentaire, avant d’envoyer en octobre des conclusions en incompétence, avec les mêmes arguments que pour l’affaire Total/Ouganda."

Manœuvres dilatoires de Total

Une audience est fixée le 14 janvier pour trancher cette question d’incompétence. "En raison de ces manœuvres dilatoires de Total, aujourd’hui, un an après l’assignation, nous n’avons pas de réponse sur le fond sur sa capacité à respecter l’objectif universel de 1,5", regrette-t-il. Si Total n’a pas répondu sur le fond, la multinationale a quand même "publié un nouveau plan de vigilance au sein de son rapport", complète Sébastien Mabile. L’avocat, cofondateur du cabinet Seattle, constate une prise en compte de leurs demandes, avec notamment des modifications sur les émissions européennes et sur la question des scopes.

Pour l’instant, cette première action climatique française à l’égard d’une entreprise porte sur l’alignement avec l’objectif de l’accord de Paris mais "je crois qu’au fur et à mesure, les dommages à assumer seront de plus en plus coûteux, à la fois en termes d’argent et de vies humaines". Comme aux États-Unis, "pionniers dans ces affaires visant à attribuer une part de responsabilité aux compagnies pétrolières", "la responsabilité de ces acteurs historiques se posera nécessairement" en France aussi, déclare François de Cambiaire.

SHELL, un procès "historique" aux pays bas

 

"L’affaire Shell aux Pays-Bas est très similaire à la nôtre dans les moyens et les fondements juridiques. Nous attendons la décision avec impatience", indique Sébastien Mabile. Lancée en avril 2019 par la branche néerlandaise des Amis de la terre (Milieudefensie), l’affaire concerne plus de 17 300 citoyens qui se sont constitués partie civile. Avec six autres ONG, Milieudefensie dénonce une "destruction du climat" de la part de Shell, l’une des plus grandes compagnies pétrolières au monde. Les requérants soutiennent que Shell contrevient à son devoir de vigilance et menace les droits humains, "sapant sciemment les chances de la planète de rester en dessous des 1,5 °C de réchauffement climatique". Ils accusent également Shell de violer les articles 2 et 8 de la CEDH. Le procès a commencé à La Haye le 1er décembre dernier. "Si cette affaire aboutit, Shell devra réduire ses émissions de CO2 conformément à l’accord de Paris sur le climat", espère l’ONG.

 

Des échecs judiciaires à relativiser

Pour l’heure, "la plupart des affaires climatiques sont des tentatives qui ont échoué mais parfois il y a des petites portes… et des pieds dans ces portes qui font évoluer le droit et l’interprétation des juges. Je pense qu’aujourd’hui avec Grande-Synthe on a un pied dans la porte", juge Christel Cournil. "Il y a aussi la pression internationale d’un réseau d’acteurs. Cette décision de Grande-Synthe est historique sur le plan national mais aussi international. Elle est scrutée par tout observateur s’intéressant à la question dans le monde." Pour Judith Rochfeld, le Conseil d’État en a eu conscience.

La plupart des procès étaient pour l’instant "des échecs judiciaires dans le sens où ils ne débouchaient pas sur une injonction à l’État d’agir, sauf aux Pays-Bas et désormais en France. Mais du point de vue de la mise en conscience, de la visibilité, de la discussion, de l’intérêt général, de la préservation de ces grands communs… Cela n’est jamais un échec", estime l’enseignante de droit privé. "Ce que l’on constate avec ces procès, c’est le réveil des communautés, avec des citoyens, des associations s’impliquant, mus par l’urgence, dans la préservation de ce grand commun dont ils se reconnaissent bénéficiaires."

"Quand bien même des droits fondamentaux ne seraient pas reconnus violés, donc même sans être victime directe et immédiate, on devrait pouvoir se reconnaître d’une communauté légitime à agir en défense de ce commun" qu’est le climat, explique la juriste. "On doit pouvoir être reçu en justice au nom de cet intérêt diffus, avec une idée de gouvernance distribuée aux mains de nous tous." Selon Judith Rochfeld, c’est ce qu’a tenté la convention citoyenne pour le climat : une forme "plus démocratique, pacifique et plus saine de gestion de ce grand commun" que ne peut l’être un procès climatique.

De l’importance des "petits" procès climatiques

Il y aura néanmoins "de plus en plus de procès climatiques", prédit Marta Torre-Schaub, certains donnant raison à des plaignants, créant ainsi des précédents sur lesquels s’appuyer pour mener d’autres actions. Et puis, s’il y a les grands procès climatiques comme l’affaire Urgenda, il existe aussi des "petits procès climatiques moins visibles, moins emblématiques". Dirigés par exemple contre des projets pétroliers ou des projets d’infrastructures, ils sont "tout aussi importants et parmi ces procès-là, certains aboutissent".

"Le milieu associatif, les victimes, vont saisir de plus en plus les juges", abonde Christel Cournil, "sur des projets qui sortent de terre, jugés climaticides, comme Gonesse". Depuis deux ans, les collectifs font des recours pour "obliger le juge à vérifier la pertinence des études d’impact, à apprécier la dimension climatique des projets au regard de l’accord de Paris". Ce sont des "argumentaires techniques mais essentiels". Là aussi, ces actions sont le "fruit d’une lecture très innovante des associations, s’inspirant de ce qui s’est fait ailleurs pour l’aéroport d’Heathrow en février dernier (2) ou pour celui de Vienne", dont l’agrandissement avait été interdit au nom du climat.

"Le temps du procès n’est pas le temps de l’urgence"

Les faiblesses de l’accord de Paris sont "son caractère volontairement peu contraignant à l’origine et le fait que tous ces procès visant à son effectivité n’ont pas lieu partout dans le monde", comme en Chine ou au Brésil, selon Judith Rochfeld. "Le 12 décembre 2015, au moment de son adoption, je croyais au retour d’une gouvernance multilatérale de cette préoccupation commune. Cela a été au contraire un détricotage du multilatéralisme, avec à sa place, la mobilisation citoyenne, qu’elle soit dans la rue ou judiciaire."

Elle ajoute : "Les enjeux et les intérêts sont tellement complexes, et nous sommes dans une crise tellement profonde, que la réponse judiciaire ne peut pas être la seule réponse. Le temps du procès n’est pas le temps de l’urgence."

(1) L’Affaire du siècle a été lancée au printemps 2019 à l’initiative de quatre ONG : Greenpeace, la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme, Notre Affaire à tous et Oxfam. Elles ont décidé d’assigner l’État pour inaction climatique devant le tribunal administratif de Paris, soutenues par une pétition en ligne ayant recueilli plus de 2 millions de signatures. En juin dernier, le gouvernement a demandé le rejet de cette requête réfutant ces accusations. L’affaire est toujours en cours d’instruction, son issue dépendant du jugement que prononcera le Conseil d’État dans Grande-Synthe.

(2) Depuis, la Cour suprême britannique a rendu le 16 décembre dernier une décision autorisant l'extension de l'aéroport d'Heathrow, contredisant le jugement en appel qui l’avait retoqué pour des raisons environnementales. La Cour suprême a conclu que la décision du ministre des transports de l’époque était légale et qu’il n’y avait "pas d’obligation" de tenir compte de l'accord de Paris.

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Ioana Doklean, journaliste