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Comment encadrer les cours filmés ? Avec la crise sanitaire, le recours à la vidéo s’est considérablement développé : cours en amphi faisant l’objet d’une captation vidéo ou via des outils de visio (Zoom, BBB, etc.). S’il existe bien "un cadre juridique pour protéger la vie privée et les droits d’auteur", Sarah Weber, DAJ de l’université de Lorraine reconnaît qu’il s’agit d’un sujet "très difficile à border", et qu’il n’est pas évident de lutter contre de nombreuses "dérives", par exemple les étudiants qui diffusent des extraits de cours. AEF info fait le point sur le cadre juridique existant.
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Avec la crise du coronavirus et le confinement, les établissements d'enseignement supérieur ont été obligés de déployer de nouveaux outils pour continuer à enseigner. Le recours à la vidéo s’est alors imposé et généralisé, avec des cours en amphi filmés, des sessions en visio sur Zoom, BBB, Teams, etc. Mais le développement de ces nouveaux formats a aussi entraîné un flot d’inquiétudes du côté des enseignants-chercheurs.
Craintes
"Quand on doit faire cours en visio, quid de notre droit à l’image ? Certains enseignants ne veulent pas être filmés", alertait Sylvie Bauer, présidente de la CP-CNU, en septembre dernier (lire sur AEF info). "Et qu’en est-il de la propriété intellectuelle sur les contenus de nos enseignements qui sont mis en ligne ? Où est-ce archivé ? Et n’existe-t-il pas un risque de surveillance de ce que l’on fait en cours ?", poursuivait-elle, tout en soulignant qu’un enseignant-chercheur n’a pas "l’habitude d’être sous l’œil des caméras".
Risque de censure. Sylvie Bauer évoquait alors la "forte inquiétude" de la CP-CNU, en citant notamment l’affaire de Saclay en mai dernier : un enseignant avait été sanctionné pour le contenu de ses examens (lire sur AEF info).
Autre exemple : en octobre dernier, à la suite de l’affaire Aram Mardirossian, professeur d’histoire du droit à Paris-I, dont les propos sur le "Mariage pour tous" durant un cours avaient ensuite été diffusés sur les réseaux sociaux (lire sur AEF info). QSF avait alors regretté que "par la multiplication des enregistrements sauvages et leur diffusion incontrôlée, toute prestation d’enseignement de nature non strictement technique [puisse] se voir portée devant le tribunal de l’opinion avec statut d’événement public".
"Forcément, quand on fait un cours et qu’il est filmé, avec un risque de rediffusion sur des réseaux sociaux, on fait évidemment beaucoup plus attention à ce que l’on dit", souligne Jean-Pascal Simon, secrétaire générale du syndicat Sup’Recherche-Unsa, interrogé par AEF info.
Consentement préalable. Autre problème identifié : à Paris-I, au mois de septembre dernier, l’annonce de la mise en place d’un dispositif de captation vidéo automatique dans les amphithéâtres a suscité la crispation de certains enseignants (lire sur AEF info). Ils regrettaient notamment que l’établissement n’ait pas recueilli leur consentement au préalable.
Des rediffusions plusieurs années après ? Pour Jean-Pascal Simon, "nous ne savons pas non plus, quand nous faisons une vidéo, si elle ne sera pas ensuite rediffusée dans quelques années. Nous ne maîtrisons pas forcément ces diffusions", ajoute-t-il, tout en soulignant à quel point les incertitudes autour de ce sujet sont nombreuses.
"C’est pourquoi, lors du CTMESRI du mois septembre, nous avons rappelé les craintes de nos collègues de voir se mettre en place une distanciation durable de l’enseignement sans cadre, ni garantie. Il est donc urgent de les rassurer et pour cela il faut cadrer ces conditions particulières de travail. Nous avons demandé la mise en place d’une charte du télé-enseignement", ajoute Jean-Pascal Simon. Pour le moment, d’après les informations d’AEF info, rien n’a encore été proposé.
Un cadre juridique difficile à faire respecter
"Le cadre juridique existe pour protéger la vie privée et les droits d’auteur. Mais nous manquons de moyens pour lutter contre les dérives", reconnaît d’entrée de jeu Sarah Weber, directrice des affaires juridiques de l’université de Lorraine.
"Avec la période de confinement nous sommes confrontés à ces questions relatives aux droits d’auteur et à l’image mais la question n’est pas plus prégnante actuellement qu’elle ne l’était auparavant", souligne-t-elle. En effet, "les étudiants, avec leur smartphone, filmaient déjà les cours, qu’ils diffusaient ensuite sur les réseaux sociaux. Nous avons déjà eu à gérer des situations où un enseignant donnant un cours se retrouvait ensuite librement accessible sur internet. Sans compter, tous les cours polycopiés qui se retrouvent ensuite sur des sites payants, vendus par les étudiants."
"L’université apporte un soutien aux enseignants confrontés à ces situations, mais il faut savoir qu’il est très difficile de faire retirer le contenu sur un site d’hébergement. Quant aux cours polycopiés, certains étudiants les diffusent sectionnés de manière à brouiller les pistes et éviter de remonter jusqu’à l’auteur. Néanmoins là aussi, nous pouvons faire en sorte de faire retirer ce cours", ajoute la DAJ de l’université de Lorraine.
"Quoi qu’il en soit, il s’agit vraiment d’un sujet très difficile à border car à moins d’être derrière chaque étudiant et de surveiller qu’il ne filme pas le cours, il est impossible de contrôler leurs actes", admet Sarah Weber.
droit d’auteur, droit à l’image
Le cours d’un enseignant est donc "protégeable" à deux titres : celui du droit à l’image et celui des droits d’auteur.
Droits d’auteur
Clotilde Firmin, juriste en propriété intellectuelle au sein de l’université de Lorraine, explique que les droits d’auteur "n’ont pas besoin d’être formalisés par écrit. Ils vont se créer automatiquement avec la production d’une œuvre. Cette dernière doit revêtir une forme d' 'originalité', et dans le cas d’un cours, la 'patte de l’enseignant'. Ceci est valable quel que soit le support de cours : polycopié, captation vidéo en amphithéâtre ou réalisées sur des applications de vidéo-conférences". Elle rappelle aussi que les droits d’auteur se composent des droits moraux et des droits patrimoniaux.
"En règle générale, la loi prévoit que les agents publics cèdent automatiquement leurs droits à l’État. "Mais il existe un régime dérogatoire pour les enseignants-chercheurs qui, du fait du principe d’indépendance, sont titulaires de leurs droits d’auteur, explique-t-elle. L’enseignant peut céder des droits patrimoniaux, mais conserve les droits moraux."
Droit à l’image
"Le droit à l’image est un droit jurisprudentiel qui découle du droit au respect de la vie privée prévu par l’article 9 du code civil", rappelle en préambule Philippe Raimbault, président de la commission juridique de la CPU et de l’université fédérale de Toulouse. Mais il souligne que dans le domaine de l’ESR, ou plus largement en droit administratif, il existe très peu de jurisprudence en la matière.
"Il faut vraiment s’interroger sur les modalités de réalisation de la captation", explique Romain Couval, chargé d’affaires juridiques au sein de l’université de Lorraine. "S’il s’agit d’un groupe, il n’y a pas besoin de faire signer une autorisation à condition que les personnes filmées ne soient pas identifiables", indique le juriste. De plus, "on peut estimer que l’enseignant qui sait qu’il est filmé ou qui prend l’initiative de réaliser lui-même la captation autorise de façon tacite l’utilisation de son image pour la diffusion auprès des étudiants inscrits au cours. Mais il est préférable au plan de la sécurité juridique d’obtenir l’autorisation expresse afin de préciser l’étendue et la durée de l’usage cédé", ajoute-t-il.
Sarah Weber souligne également que pour des cours en amphi, "on veillera à ce que seul l’enseignant soit filmé en évitant de faire une captation de l’auditoire. Si des plans de la salle sont réalisés, on fera attention à ce que le public soit filmé de dos, ou flouté".
Modèles d’autorisation. "Pour assurer une sécurisation juridique nous avons proposé un modèle d’autorisation à disposition des composantes qu’elles peuvent faire signer aux enseignants et le cas échéant aux étudiants", relève Romain Couval.
Droit à l’image et cours depuis son domicile. "Si l’enregistrement a lieu au domicile, celui-ci est également protégé (il est d’ailleurs possible de flouter l’arrière-plan si on le souhaite)", précise également Sup Infos, la lettre d’information du syndicat Sup’Recherche-Unsa, dans son édition de juillet 2020.
Sensibiliser les étudiants. Sup’Recherche-Unsa recommande aussi à l’enseignant de commencer ses cours en sensibilisant les étudiants sur ces questions de droits à l’image, car pour certains, "l’image a 'vocation naturelle' à circuler". Romain Couval estime également qu’il peut être utile de bien rappeler en début de cours que celui-ci est filmé et à qui il est destiné. Pour les cours délivrés en visio-conférence, "il faut également sensibiliser l’auditoire à l’usage de la caméra et du micro afin de limiter les risques de dérives", relève-t-il.
Responsabilité de l’établissement concernant les droits d’auteur
Qu’en est-il par ailleurs de la responsabilité d’un établissement vis-à-vis à de ces captations vidéo ? Clotilde Firmin explique qu’au sein de l’université de Lorraine, les enseignants-chercheurs peuvent déposer sur la plateforme de l’établissement (Arche) divers documents : polycopiés de cours, autres documents, captations vidéos… "Pour la diffusion des contenus sur Arche, nous avons mis en place des contrats de cession de droits d’auteur, en conservant une forme de souplesse, en fonction du contenu diffusé", explique la juriste. Elle précise que cela concerne tous les formats de cours, et pas uniquement la vidéo. Les enseignants déposant aussi sur Arche des polycopiés, des enregistrements vocaux, etc.
"Tout l’intérêt de passer par Arche pour un enseignant, c’est vraiment d’assurer un minimum de contrôle sur sa production. Même si cela ne garantit pas tout. Car encore une fois, la diffusion de vidéo est difficilement maîtrisable", précise Sarah Weber.
"L’université conseille les solutions techniques les plus efficientes et les plus sûres. Mais l’enseignant garde la maîtrise du choix des outils qu’il souhaite utiliser, indique la DAJ de l’université de Lorraine. "Cependant, encore une fois, en cas d’atteinte aux droits de l’enseignant – utilisation frauduleuse d’une vidéo par exemple – l’enseignant pourra bénéficier de l’aide de l’établissement, tient-elle à préciser (voir encadré sur la protection fonctionnelle).
"L’enseignant-chercheur peut aussi se tourner vers son établissement en sa qualité d’agent public, souligne Sarah Weber, DAJ de l’université de Lorraine. Il bénéficie de la protection fonctionnelle s’il est victime d’une infraction à l’occasion ou en raison de ses fonctions."
"L’administration doit protéger l’agent, lui apporter une assistance juridique et réparer les préjudices qu’il a subis. La demande de protection fonctionnelle doit être formulée par écrit auprès de l’administration-employeur à la date des faits en cause", précise le site service-public.fr.
Conventions
L’université de Lorraine n’est pas le seul établissement à avoir décidé d’encadrer ces pratiques, en mettant en place des conventions. C’est le cas aussi de l’université Paris Nanterre. "Avec les enjeux pédagogiques actuels, en raison de la crise sanitaire, nous avons accéléré le développement de notre Web TV pour proposer des cours, alors que cette plateforme avait été initialement prévue pour de la captation scientifique, comme des colloques", raconte Véronique Champeil-Desplats, VP déléguée à la recherche de l’université Paris Nanterre. Elle rapporte que l’établissement a rapidement pu constater que "l’encadrement juridique en la matière était assez flou et qu’il n’y avait aucune jurisprudence concernant l’ESR". "Les enseignants-chercheurs ont alors vraiment insisté pour avoir un cadre plus précis."
C’est pourquoi "nous avons travaillé tout l’été sur un modèle de convention, signée par l’université et l’enseignant-chercheur", précise Véronique Champeil-Desplats. La convention relative à l’autorisation d’ouverture d’une chaîne numérique personnelle à un enseignant, enseignant-chercheur ou chercheur de l’université Paris Nanterre, permettant l’utilisation d’outils de captation audiovisuelle dans le cadre de ses fonctions pédagogiques, a été votée par le CA et la CFVU début septembre. "Pour le moment, aucun enseignant-chercheur n’a refusé de la signer."
Pour le président de la commission juridique de la CPU, ces conventions représentent une étape importante pour les universités. Mais il tient à préciser "qu’elles ne règlent pas tout". "Il faut les voir comme une première marche, qui a le mérite de montrer que l’établissement se préoccupe du sujet, et qu’il souhaite notamment cadrer cette question en interne, avec ses personnels. C’est aussi un moyen pour rassurer les enseignants-chercheurs".
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Juliette Plouseau,
journaliste