En plus des cookies strictement nécessaires au fonctionnement du site, le groupe AEF info et ses partenaires utilisent des cookies ou des technologies similaires nécessitant votre consentement.
Avant de continuer votre navigation sur ce site, nous vous proposons de choisir les fonctionnalités dont vous souhaitez bénéficier ou non :
À l’école nationale de police de Sens (Yonne), les élèves gardiens de la paix apprennent leur métier en tenant compte des évolutions de la société. "Les règles de base sont les mêmes qu’avant. Mais nous avons ajouté beaucoup de choses dans le domaine social et sur la question des discriminations", souligne le commandant Serge Ollier, directeur adjoint. Les élèves se confient au sujet des accusations de violences illégitimes ou de racisme au sein des forces de l’ordre. Avec le sentiment d’un décalage entre "ce qui circule" et la réalité du métier de policier, affirment-ils.
Cette dépêche est en accès libre.
Retrouvez tous nos contenus sur la même thématique.
La facade de l'école nationale de police de Sens. Droits réservés - DR
"Monsieur, vous sortez du véhicule." Le conducteur refuse d’obtempérer, s’énerve, insulte, menace. Les trois jeunes policiers vont devoir faire usage de la force pour le sortir de la voiture. La portière est ouverte et l’un des gardiens de la paix se penche à l’intérieur pour se saisir de l’homme côté conducteur, tandis qu’un autre policier ouvre le côté passager. Au volant, le conducteur semble bien décidé à leur donner du fil à retordre. Cris, éclats de voix. Et puis des rires aussi.
"C’est l’exercice du matin. Contrôle routier pédestre. On a d’abord eu le cours théorique, et maintenant on passe à la pratique, en essayant tous les cas de figure possibles", explique Franck, 29 ans, entré à l’école de police le 6 janvier 2020. Devant lui, sur le parking de l’école nationale de police de Sens, (Yonne) d’autres élèves entourent une Renault pour l’exercice. Plus calme et classique cette fois-ci.
"SE CONTRÔLER"
Franck, comme les autres élèves entrés en janvier 2020, fait partie de la 256e promotion qui sortira en décembre prochain. La dernière à faire douze mois de scolarité. Depuis l’entrée en vigueur de la réforme de la formation initiale des gardiens de la paix (lire sur AEF info), celles et ceux qui arrivent depuis le 22 juin 2020, la 257e promotion, passeront huit mois à l’école, puis seize dans un service. "Mais pas lâchés dans la nature", précise un formateur à AEF info. "Seize mois avec un tuteur et des évaluations, et toujours sous la responsabilité de l’école."
Pour Franck, ce sera donc douze mois de scolarité, "durant lesquels ici en fait, on nous donne une colonne vertébrale", dit-il à AEF info. "Sur l’exercice contrôle routier, on apprend le placement, les bons gestes, se mettre en sécurité, ne pas rester devant le véhicule, se placer de manière à avoir une vue sur l’intérieur du véhicule pour parer à tout danger, et savoir aussi se contrôler, ne jamais s’énerver." Mais savoir interpeller si nécessaire.
Parmi les techniques d’interpellations, celle dite de "l’étranglement" n’est plus enseignée depuis les déclarations de l’ancien ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, le 8 juin 2020 (lire sur AEF info), et l’instruction du DGPN, Frédéric Veaux, le 15 juin (lire sur AEF info). "On nous demande d’enseigner quelque chose, ou pas. On fait ce qu’on nous demande de faire", réagit le commissaire divisionnaire Gérard Cardaliaguet, directeur de l’ENP de Sens, sans plus de commentaires.
"DISCERNEMENT ET ADAPTATION"
Le temps de la formation à l’école de Sens peut donner un sentiment protecteur, un peu à l’abri du bruit extérieur, mais sans en être totalement coupé, en plein mouvement mondial de manifestations après la mort de Georges Floyd, un Afro-Américain, à la suite d’un contrôle de police à Minneapolis le 25 mai dernier. En France aussi, des associations et des collectifs ont organisé des manifestations, sur fond de polémique sur les "violences policières" et d’accusations de racisme au sein des forces de l’ordre. "On ne se préoccupe pas trop de tout ce que l’on entend", dit Franck. "Ici le mot d’ordre, c’est s’adapter, respecter la conformité de ce qu’on nous apprend à l’école. Rester toujours dans les clous."
"Moi, ma priorité, ce sont les gamins. Qu’ils ne prennent pas tout ce qui circule comme un raz-de-marée", explique de son côté le directeur adjoint de l’ENP, Serge Ollier, commandant divisionnaire fonctionnel. "L’essentiel c’est qu’ils se comportent bien, qu’ils s’adaptent. Discernement et adaptation."
Franck, lui, semble avoir d’autant plus de recul qu’il a déjà une grosse expérience de terrain. Avant l’école de police, il a été pompier durant dix ans, à la BSPP à Nanterre (Hauts-de-Seine). "À force de travailler sur des interventions communes avec la police, j’ai appris à connaître leur métier. Pour moi, le déclic, ça a été les attentats de 2015, pour pouvoir prévenir, et ramasser les blessés après coup." Après l’école, il compte "faire de la voie publique, police secours", et ensuite "monter en grade et aller vers un service d’investigation".
"LES GENS PARLENT SANS SAVOIR"
Police secours, la police de voie publique, on l’envisage comment avec tout ce qui se dit sur la police ? "Ça nous touche, tout ce qu’on entend. Mais ce qu’on nous donne à voir, ce qui circule, ce n’est pas ce qu’on nous apprend", répond Maïlys, 21 ans, originaire de La Réunion. "Les gens parlent sans savoir. Ils regardent trois secondes d’images hors contexte et se font une opinion."
Le foisonnement de vidéos d’interventions musclées sur les réseaux sociaux, qui se retrouvent ensuite sur les chaînes de télévision, ne semble d’ailleurs inquiéter ni Franck ni Maïlys. L’école les forme à être filmés en intervention "puisque maintenant tout le monde filme". "On leur explique qu’ils ne peuvent pas s’y opposer. Et que s’ils font leur travail avec conscience et professionnalisme, il n’y a pas d’inquiétude à être filmé. C’est le fait de s’y opposer et de commencer à s’énerver qui peut déclencher une réponse problématique", explique un formateur. "Être filmés, ça ne nous fait pas peur. Si l’interpellation et le menottage sont faits dans les règles, il n’y a pas de souci", renchérit Franck.
Maïlys, elle, se dit "en confiance", et "pas découragée" par les polémiques. "J’ai grandi dans un quartier où il y avait beaucoup de trafics de drogue, c’est ce qui m’a motivée à entrer dans la police. Et puis, c’était le rêve de mon père. Ce qui se dit ne me fait pas peur."
VACATIONS FUNÉRAIRES
Au dernier étage d’un bâtiment de l’ENP, se déroule un cours. On parle délits routiers, droit, procédure, dans cette salle où quinze élèves font face au tableau blanc. Parmi eux, il y a Stéphanie, 21 ans, arrivée à l’école de police après un bac littéraire, des études de droit, et six mois en tant qu’adjointe de sécurité. Elle vient d’une famille de policiers, et a fait son stage de découverte de 3e au commissariat de Troyes (Aube). "La police je connais donc un peu. Les gens en parlent, mais tant qu’on n’est pas dedans…", lâche-t-elle. "Franchement notre métier ne se limite pas aux contraventions et aux interpellations. Les vacations funéraires
"Avant de porter un jugement, il faut connaître les tenants et les aboutissants. Moi, les polémiques m’attristent plus qu’autre chose. Mais ça m’arrive de parler avec des connaissances auprès desquelles je suis obligée de défendre mon métier. Quand j’arrive dans une soirée, s’ils savent ce que je fais, les personnes présentes posent des questions du genre 'vous arrêtez les gens ?'. En fait il n’y a pas de nuance. C’est un métier qu’on aime ou qu’on déteste."
RACISME
"On ne communique pas assez avec la population", estime à ses côtés Aminata, 33 ans. "Il y a plein de choses qui sont mélangées, et les gens ont du mal à faire la part des choses. Il n’y a pas de recul." Elle est arrivée du Sénégal à l’âge de 12 ans. Après des études de sport, une naturalisation, elle est adjointe de sécurité durant six ans à partir de 2014 dans des services spécialisés au sein desquels elle fait de la prévention contre la drogue et l’alcool en lien avec les centres de loisirs.
Elle explique qu'"en tant que policière, femme, et de couleur, ce n’est pas évident d’expliquer tous les jours, partout, ce que je fais et pourquoi je le fais". Le racisme, elle l’a rencontré. "La police n’est pas raciste, mais il y a des individus dans la police qui font des blagues et tiennent des propos racistes, des collègues qui font des blagues racistes avec moi, et qui ne me font pas marrer", témoigne-t-elle. "Mais comme je ne garde pas ce que je pense pour moi, si un collègue se comporte mal devant moi, je vais le lui dire. À force de dire les choses sans attendre que la coupe soit pleine, je pense que la police sera meilleure", poursuit-elle avant d’ajouter : "Les racistes n’ont rien à faire dans la police."
Pour ces futurs gardiens de la paix, les accusations de racisme partent parfois un peu dans tous les sens. "Comme avec le conducteur qui te dit que tu le contrôles parce que tu es raciste alors que derrière la vitre, au soleil, tu ne vois pas qui est au volant", raconte Stéphanie. "Il y a des moments où il faut couper court, et ne pas rentrer dans le débat, il y a des gens qui n’attendent que ça", explique un formateur. "Et toujours garder en tête que les gens s’adressent à un uniforme, pas à vous personnellement, et qu’il convient donc de prendre du recul."
"SE SÉPARER DE CEUX QUI NE FONT PAS L’AFFAIRE"
Selon le commissaire Gérard Cardaliaguet, il ne faut pas non plus hésiter à écarter les éventuelles brebis galeuses, et ce dès la formation. "Notre priorité, ce sont les élèves. Cela veut aussi dire savoir se séparer de ceux qui ne font pas l’affaire. Soit qui ne bossent pas, soit qui ont des problèmes de comportement. Autant on peut tendre la main, autant on peut la fermer", explique-t-il. "Mais les problèmes sont vraiment à la marge", précise le commandant Serge Ollier.
Les deux directeurs rappellent également que "la formation a changé". "Les règles de base sont les mêmes qu’avant. Mais on a ajouté beaucoup de choses dans le domaine social, et sur la question des discriminations", souligne le commandant Ollier. Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a fait une intervention à l’école de police de Sens, la Licra en fait également, ou encore l’association de lutte contre l’homophobie Flag, créée par des policiers. "Ça se passe bien, ça accroche bien avec les élèves parce que c’est dans leur système de vie", note Gérard Cardaliaguet. "Ça colle à leur époque, ça n’aurait peut-être pas fonctionné avant."
"On a changé de type de formation, de support pédagogique, on s’intéresse non plus seulement au policier, mais à l’environnement dans lequel il évolue", poursuit le directeur de l’école. Une police ouverte au monde, plus complexe aussi. Fort de son expérience, à moins d’un an de la retraite, le commissaire estime que "ce métier sera plus difficile pour eux qu’il ne l’a été pour nous".
Vous souhaitez contacter
Jean-Marie Godard,
journaliste