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Alors que le déconfinement est théoriquement en œuvre depuis le 11 mai, un certain nombre d’universités restent étrangement vides. Certes, il n’a jamais été permis aux étudiants de revenir, mais ce n’est pas le cas pour les personnels. Or si les directions d’établissements sont soucieuses de recréer du collectif et des liens informels, elles se heurtent au "syndrome de l’escargot", avec des agents qui ont découvert qu’ils étaient mieux chez eux. Si la problématique est prégnante en Île-de-France, notamment en raison de la densité des transports en commun, elle se pose aussi en région. Certains établissements, ont fait le choix d’un retour progressif pour "acculturer" les agents à la vie post-Covid, alors que d’autres ont imposé un retour massif. Quoi qu’il en soit, la crise sanitaire aura eu un effet imparable : accélérer la mise en place du télétravail dans les universités.
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Pas facile de se "déconfiner". Fatigue émotionnelle, perte de motivation, peur d’être contaminé, peur de transmettre le virus à son entourage, angoisse à l’idée de retrouver son quotidien stressant, risques de conflit entre les collègues qui respectent les gestes barrières et ceux qui ne le font plus : les raisons qui conduisent au "syndrome de l’escargot", et donc à l’envie de rester chez soi, dans sa coquille, sont nombreuses. Au départ, beaucoup ont invoqué les difficultés de garde, les écoles ayant tardé à reprendre les enfants. Mais même depuis le 4 juillet, date de début des vacances scolaires, les bâtiments administratifs des campus restent assez déserts. "Certains agents ont fait un amalgame entre les étudiants, dont le retour n’est possible qu’à la rentrée de septembre, et la reprise du travail sur site pour les agents", déclare Thibault Pierre, DGS de l’université de Nanterre.
Mi-juillet, il constate que "seuls 20 % des personnels travaillent sur place". S’il a demandé aux équipes de revenir en juillet, sauf cas particuliers liés à des problématiques de santé, il constate que, "pour le moment, c’est encore compliqué". Il relève de manière anecdotique que durant la première semaine de juillet, le Crous n’a servi qu’une soixantaine de repas. "Même si les gens apportent leur déjeuner, je pense que c’est quand même un indicateur du peu de personnels actuellement présents dans les locaux."
Transport et chaleur
Ce constat est largement partagé dans les universités parisiennes, même si peu de nos interlocuteurs ont accepté d’en parler ouvertement. Pour Jean Chambaz, président de Sorbonne université, ce phénomène est lié au contexte spécifique de l’Île-de-France, caractérisé par la densité des transports en commun et les temps de trajets, certains personnels habitant à 1h30 de leur lieu de travail. "Évidemment, quand on nous demande de respecter les gestes de distanciation, ce qui est très important pour maîtriser l’épidémie, les gens hésitent à reprendre les transports en commun", relève-t-il.
Thibaut Pierre juge pourtant que "c’est le bon moment pour revenir dans les locaux, en profitant de la période estivale en général plus calme, pour réinstaller une routine". Il ajoute que les personnes qui reviennent "se rendent compte que la reprise des transports se passe plutôt bien. C’est une façon moins brutale que de revenir en septembre, quand le rythme aura vraiment repris", estime-t-il.
Thierry Fratti, élu Sgen-CFDT au CHSCT de Paris-III, ajoute une autre difficulté : le fait que les climatisations et ventilations soient interdites. "Cela rend le retour invivable dans certains bâtiments de type Pailleron comme à Censier, avec de grandes baies vitrées, où il peut faire 37 à 38 °C dans les bureaux", avance-t-il.
reprise progressive d’activité
Dans son établissement, la reprise a été progressive. Fin juin, il a été demandé aux agents de reprendre en hybride : trois jours par semaine de présentiel, deux jours de télétravail. Puis à temps plein à compter du 11 juillet.
Même chose du côté de Sorbonne université : "Nous avons mis en place des mesures progressives d’activité, mais en demandant que l’ensemble des personnels reviennent sur site, avant de prendre quatre semaines de congés d’été d’affilée afin d’être en mesure de reprendre l’année prochaine d’une bonne façon", explique Jean Chambaz. "J’ai constaté que les gens peuvent avoir de l’appréhension à faire ces longs transports. Mais ils éprouvent un énorme plaisir à revenir sur le campus et retrouver les collègues. Ils sont contents d’être revenus." Un constat partagé par Thierry Fratti : "Les agents qui sont revenus sont plutôt contents de retrouver leurs marques, et me disent que pour eux, c’est un moyen de passer à autre chose, d’aller de l’avant."
le déconfinement plus complexe à gérer que le confinement
La difficulté de faire revenir les personnels sur site ne s’éprouve cependant pas qu’à Paris. "Organiser le déconfinement s’avère finalement plus complexe qu’organiser le confinement", constate Xavier Leroux, président de l’université de Toulon. "Je constate de grands écarts entre ceux qui veulent revenir très vite et ceux qui refusent, pour des raisons multiples. Il faut arriver à gérer ces écarts psychologiques quand sur un même site, un labo veut reprendre comme avant en une semaine, et un autre veut y aller tout doucement."
À Nice, 20 % des personnels des labos sont revenus sur site lors de la reprise, ils étaient 50 % mi-juillet, et la présidence espère atteindre 80 % à fin juillet. La difficulté a été d’organiser "techniquement" le déconfinement et de "faire en sorte que toute la communauté revienne sur site en toute confiance", explique Jeanick Brisswalter, président d’université Côte d’Azur. "Nous avons anticipé suffisamment tôt l’achat de masques et de gel hydroalcoolique, adapté les plannings pour permettre à chacun de revenir même si c’est peu, et mis en place une commission d’examen pour les personnes qui présentent des contre-indications au retour mais souhaitent quand même revenir", poursuit-il.
"acculturer", "sevrer" ?
À l’université de Lorraine, le retour a été progressif, le seuil "plafond" de 30 % de personnels en présentiel ayant été levé à partir du 11 juin. "L’idée est de se dire : Oui, le virus est là, mais il faut que les agents (hormis les personnes vulnérables) apprennent à vivre avec. Ouvrir les portes avec les pieds, le gel, les gestes barrière…", explique Sébastien Lajoux, DGA délégué aux RH. "Nous n’avons pas demandé à tout le monde de revenir en même temps mais progressivement : c’est une acculturation à la vie de bureau en présence du Covid."
Ce n’est pas le chemin choisi par la DG de Toulouse business school : les personnels n’ont pas eu le choix. Et pas question de progressivité. "Tout notre personnel a repris le chemin de l’école fin juin", se félicite Stéphanie Lavigne, les parents d’enfants scolarisés ayant eu un délai jusqu’au 10 juillet. "Ça fait plaisir d’être dans une dynamique de retour à l’école. Certains personnels ont eu un peu de mal à revenir car être à la maison, c’était plus confortable. Mais il n’y avait pas de raison de rester à la maison, sauf dans certains cas particuliers et après négociations avec le manager."
La DG précise que "certaines personnes s’attendaient à un retour progressif, comme s’il y avait une espèce de 'sevrage' du travail à la maison. Ils pensaient revenir un jour par semaine la 1re semaine, puis deux jours, etc." Une hypothèse qu’elle a rejetée. "Nous avons accentué les messages et la communication interne sur ce qu’on avait mis en place dans l’école pour assurer la sécurité des personnels. Pour les rassurer, nous avons beaucoup investi dans la sécurité sanitaire. Nous avons aussi fait une communication appuyée sur le fait que nous sommes un collectif. Au final, la reprise s’est beaucoup mieux passée que ce qu’on avait anticipé."
"Recréer du collectif, remettre de la cohésion, de l’informel dans les échanges", c’est aussi un besoin que ressent Thibaut Pierre, DGS de l’université Paris-Nanterre. D’autant que son établissement vient de se doter d’une nouvelle gouvernance. "Il faut préparer la rentrée, nous avons une nouvelle équipe présidentielle et une nouvelle offre de formation. Pour certains, qui seront restés chez eux de mars à septembre, cela fera six mois sans avoir mis les pieds à l’université", s’inquiète-t-il.
déploiement de télétravail
Quoi qu’il en soit, des nouvelles habitudes de télétravail semblent définitivement prises. Tous les établissements qui n’avaient pas encore mis en place de charte de télétravail vont s’y atteler. Jean Chambaz annonce par exemple un plan de 2 à 3 M€ sur l’année qui vient pour "déployer un télétravail très structuré, avec une formation et du matériel ergonomique" pour "1 000 collègues". "Cela se décidera dans chaque service. On met les moyens pour ceux qui souhaitent en bénéficier. Car l’expérience a prouvé que même avec le télétravail imposé, on pouvait avoir une université organisée."
La crise a également accéléré la mise en place d’une charte du télétravail à Paris-III, votée en CA le 10 juillet, abordant le télétravail organisé, le télétravail exceptionnel (en cas de crise) ou le télétravail occasionnel (en cas de grève des transports ou de météo extrême), note Thierry Fratti, élu Sgen-CFDT au CHSCT de la Sorbonne Nouvelle.
Michel Deneken, président de l’université de Strasbourg, se montre quant à lui plus prudent : "Les personnels ont découvert les joies du télétravail, mais aussi les craintes et déconvenues. Dans certains services, il va se développer ; mais dans d’autres, cela pose question." À suivre !
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Gwénaëlle Conraux,
journaliste