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Comment accompagner des enseignants confrontés du jour au lendemain à un confinement de plusieurs semaines, à l’approche des examens, et alors que beaucoup ne sont pas familiers du "distanciel" ? C’est le défi qu’ont dû relever les structures d’appui aux enseignants : SUP, services numériques, missions d’appui, centres d’innovation, etc. Comment ont-elles géré une demande multiforme et pressante d’une partie des enseignants pour garder le contact avec les étudiants, prendre les outils en main, assurer les cours, évaluer dans des conditions atypiques… ? Cette expérience a mis en lumière nombre d’enjeux : organiser au mieux l’appui technique et pédagogique, former à l’hybridation, garder le contact avec un public inhabituel d’enseignants, disposer de plus de conseillers pédagogiques… La crise a, en tout cas, donné "un bon coup d’accélérateur aux enjeux de transformation pédagogique".
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Pixabay - geralt
Autant d’enseignants "confinés" d’un coup, anxieux de faire cours au mieux dans un contexte dit "dégradé" et, pour certains en demande d’accompagnement, c’est du jamais vu. Quelle a été leur principale demande ? Massivement d’ordre technique, mais pas seulement, répondent unanimement les acteurs de l’accompagnement et du conseil pédagogique dans les universités d’Aix-Marseille, Rennes-I, Rennes-II, Rouen-Normandie, Lyon-III, Bordeaux, Strasbourg et à l’Insa Toulouse, interrogés par AEF info.
Répondre d’abord aux "besoins de base"
La première urgence des enseignants en période de confinement a été de nouer le contact avec les étudiants, raconte Pascale Brandt-Pomarès, VP déléguée au Cipe (centre d’innovation pédagogique et évaluation) d’AMU. "Les enseignants s’inquiétaient de savoir si les étudiants se connectaient bien aux contenus qu’ils mettaient en ligne pour eux. Nous avons donc travaillé avec la Dosi pour vérifier que les étudiants utilisaient bien leur adresse e-mail et se connectaient à l’ENT".
Le Cipe a aussi "mesuré une demande massive d’aide à la prise en main des outils mis à disposition". Pour preuve le nombre de tickets ouverts par les enseignants pour poser une question ou résoudre un problème : 520 entre début mars et fin mai, soit sept fois plus que sur la même période l’an passé. Pour aider les enseignants à s’y retrouver, le Cipe a publié sur son site, comme beaucoup d’autres établissements, une page dédiée au soutien à la continuité pédagogique, qui à ce jour enregistre quelque 1 200 visites.
"Ce n’est pas quand il y a un gros incendie que l’on va tester des prototypes de camions de pompiers !", estime quant à lui Yves Condemine, VP en charge de la stratégie numérique à Lyon-III. Dans un premier temps, l’objectif a d’abord été de répondre "aux besoins de base" des enseignants, un peu comme dans "la pyramide des besoins de Maslow", en l’occurrence ici, maintenir le lien avec les étudiants grâce à des outils simples. Dans l’urgence, Lyon-III a aussi mis l’accent sur les formations à Moodle et à la visioconférence.
Faire cours à distance
Avec Moodle, la formation aux classes virtuelles a rencontré un franc succès. À Rennes-II, "les demandes de formation ont explosé, alors que cela faisait des années qu’on essayait de promouvoir les classes virtuelles !", constate Esla Chusseau, administratrice provisoire du SUP. Tandis qu’à l’université de Rouen Normandie, le "vrai succès" rencontré par le service de salles virtuelles de la plateforme Big Blue Button a conduit l’université à acquérir de nouveaux serveurs, explique David Leroy, VP du conseil académique en charge de la CFVU.
À l’Insa Toulouse, 20 % des enseignants avaient des pratiques pédagogiques variées, notamment hybrides, avant le confinement, explique Bertrand Raquet, son DG. Cela résultait notamment d’un travail de formation des enseignants engagés depuis une quinzaine d’années, densifié avec l’idefi "défi diversités" et poursuivi par un plan de soutien à la pédagogie (lire sur AEF info). Pourtant, quand il a fallu passer à "100 % de distanciel", le choc a été rude. "Ce qui a été extrêmement utile, c’est Open Insa créée il y a trois ans". Ce service inter-établissements permet notamment la production de formations en ligne et de formations individualisées (lire sur AEF info).
"Ce qui est intéressant, note Carole Nocéra-Picand, directrice du Suptice de Rennes-I et chargée de mission transformation pédagogique et numérique, c’est que les enseignants ont d’abord voulu donner leurs cours sans changer la recette, c’est-à-dire en transformant leur cours en présentiel en classe virtuelle. Ensuite, ils ont réalisé qu’on ne pouvait pas demander aux étudiants d’être 6 heures par jour devant un écran. Ils ont donc commencé à mixer synchrone et asynchrone".
"Après Moodle et les classes virtuelles, nous avons développé des formations autour de la question 'comment donner mon cours en synchrone ou asynchrone'", poursuit Carole Nocéra-Picand. Cela s’est traduit par des formations sur la sonorisation de diaporamas, la production de PDF interactifs…"
Commencer à s’inscrire dans la durée
Autre constat : "Beaucoup ont réalisé qu’ils pouvaient se servir du numérique, sans que ce soit un pas immense à franchir. Et ils ont vu que le distanciel ne se résumait pas à déposer des ressources, et ne signifiait pas absence d’interactions. Ils ont été bluffés !" Par ailleurs, le Suptice de Rennes-I a essayé de sensibiliser les enseignants sur le nécessaire alignement entre objectifs d’apprentissage, activités d’enseignement et évaluation, "en proposant et sans rien imposer", précise sa responsable…
À Strasbourg, Sophie Kennel, directrice de l’Idip (Institut de développement et d’innovation pédagogique), qualifie l’accompagnement des enseignants de "technico-pédagogique", même si les demandes ont été plus axées sur la technique. En lien avec la DNum (direction du numérique), la structure a privilégié l’aide personnalisée. Après le rush de l’accompagnement en période de confinement, des "ateliers SOS" (ouverts à environ 25 personnes) seront organisés en juin-juillet, en lien avec l’Inspé et l’IUT Robert Schuman.
Allant au-delà du seul cadre technique, ces ateliers porteront par exemple sur la scénarisation de l’enseignement à distance, la production de supports pédagogiques, l’animation d’une classe inversée… "Après avoir un peu bricolé, les enseignants ont envie de bien faire, de s’inscrire dans la durée". Plus de 200 personnes se sont inscrites, y compris des vacataires.
La question de l’évaluation
"L’enseignement à distance s’est plutôt bien passé, les enseignants ont pensé aux étudiants et se sont adaptés. Cela n’a pas empêché certaines réactions d’agacement, lorsque nous avons parlé d’évaluation. Mais il faut mesurer l’immensité des changements demandés…" Parmi divers outils, l’Idip de Strasbourg a très vite mis en ligne un guide pour transposer les modalités d’évaluation à distance, "L’éval à distance" (lire sur AEF info ici et ici). L’évaluation dans le contexte de la crise sanitaire a été un sujet souvent anxiogène pour les enseignants…
À l’université de Bordeaux, par exemple, c’est sur ce sujet que les demandes ont littéralement "explosé", explique Pauline Jourdan, coordonnatrice "formation et accompagnement" au sein de la Mission d’appui à la pédagogie et à l’innovation (Mapi), la structure de l’uBx dédiée au conseil pédagogique. Organiser un grand nombre de QCM en même temps, par exemple, n’était techniquement pas possible sans nuire aux étudiants qui continuaient à étudier sur les plateformes existantes. Un travail avec la DSI a abouti à une nouvelle plateforme allégée, dédiée aux examens, avec un système de réservation de créneaux, qui s’est ajoutée aux trois plateformes existantes. Cela découle des axes prioritaires que la Mapi a rédigés pour redéfinir son offre de services.
communiquer avec les enseignants
Le "ressenti" des enseignants encore difficile à mesurer
Il a fallu s’adapter à des besoins très divers "en fonction des niveaux de formation et d’acculturation", ainsi que le résume Vincent Roy, VP délégué en charge du numérique à l’université de Rouen Normandie. Alors que certains enseignants paraissent "très avancés sur la transformation pédagogique par le numérique", pour d’autres "il a fallu pratiquement démarrer de zéro en les informant sur les possibilités existantes en matière de plateforme pédagogique, de captations vidéo, de salles virtuelles, etc."
Globalement, cette période a permis de donner "un bon coup d’accélérateur sur les enjeux de transformation pédagogique, avec des collègues qui ont découvert des outils ou des façons de faire, mais on ne mesure pas encore bien le ressenti actuel des collègues", note Vincent Roy. "Certains disent avoir découvert de belles choses, d’autres se sont heurtés à des dysfonctionnements liés à des outils sur lesquels ils n’étaient pas bien formés." Des enquêtes pourraient être décidées plus tard, mais le choix est pour l’instant "de ne pas surcharger les collègues".
Quels enseignants vont vers les services d’accueil ?
Quels enseignants ont-ils demandé à être accompagnés ? "Nous avons eu affaire à un public conquis", analyse à Strasbourg Sophie Kennel. La directrice de l’Idip souligne aussi "l’opportunité" d’avoir répondu à des enseignants très "éloignés de la pédagogie et du numérique" pendant cette période particulière. "Ceux qui nous ont sollicités pour une aide d’urgence technique ne constituent pas le public habituel de l’Idip. Il faut les garder en pédagogie… Pour cela, il s’agit d’être pragmatiques, tout en s’appuyant sur une vraie expertise pédagogique, étayée par les résultats de la recherche. Il faut trouver ce bon équilibre".
Pour communiquer auprès des enseignants, les structures d’accompagnement ont fait feu de feu de tout bois : bulletins, espaces et boîtes mails dédiés, webinaires, guides tutoriels, "notes de cadrage"… Elles ont eu à traiter des demandes individuelles, centralisées par des composantes, ou en réponse à des mails qu’elles avaient envoyés aux enseignants-chercheurs avant que les demandes ne soient exprimées.
Les responsables livrent certaines astuces pour mieux communiquer : s’interdire certaines expressions comme "il faut" ou "on doit" (uBx), faire preuve "d’agilité" en adaptant les outils de communication au fur et à mesure (Rennes-I), lister les outils disponibles dans un mail pour que les enseignants n’aient pas à chercher (Strasbourg)… Tous ont le même mot d’ordre : être bienveillants et s’adapter.
Les enseignants parlent aux enseignants
Et ceux qui pas pu ou pas voulu être en contact avec des services d’accompagnement, comment ont-ils fait ? "À l’heure où une partie des enseignants innovaient, d’autres ont aussi disparu un moment de la circulation, ou ont envoyé des PDF à leurs étudiants", remarque une responsable de structure. D’autres encore n’ont pas refusé l’accompagnement en tant que tel, mais ont eu le réflexe de se faire accompagner par des spécialistes de leurs disciplines, estimant que chaque discipline a ses spécificités pédagogiques.
À l’université de Rouen Normandie, le confinement a suscité davantage d’échanges entre enseignants, certains ont même créé des espaces virtuels avec forum de discussion pour publier des exemples de leurs pratiques pédagogiques et des contenus. Des "petits tutoriels vidéo pour montrer à un étudiant comment se déroule un examen en ligne" ont par exemple été mis à disposition, constate David Leroy, VP du conseil académique en charge de la CFVU. S’il se félicite de l’émulation ainsi créée par ces espaces de partage, il alerte aussi plus globalement, comme d’autres responsables ou élus, sur la "réelle usure" rencontrée par les enseignants.
De même, à Rennes-II, "beaucoup de professeurs, formés par le SUP, ont à leur tour formé leurs collègues", se réjouit Elsa Chusseau. Elle observe par ailleurs que les enseignants formés dans le cadre des projets Désir (labellisé Dune) ou Ide@l (labellisé NCU) "ont été très à l’aise pour repenser leur enseignement" (lire sur AEF info ici et ici). "Parfois, on se pose la question de l’essaimage de ces projets. Là, on a pu mesurer leur adaptabilité".
Elsa Chusseau met aussi en avant le dispositif de formation destiné aux nouveaux maîtres de conférences. Rennes-II accueillera sa 4e promotion à la rentrée 2020 : "une vingtaine d’enseignants sont formés chaque année grâce à ce dispositif 'd’approfondissement pédagogique'".
"On s’arrache les ingénieurs pédagogiques !"
Par ailleurs, "un des enseignements importants que tous les établissements tirent de cette crise, c’est que l’on manque de conseillers pédagogiques !", affirme Carole Nocéra-Picand (Rennes-I). "Au Québec, on compte un conseiller pédagogique pour 10 000 étudiants. Rapporté à Rennes-I, ça ferait 30 conseillers pédagogiques, au lieu de 7 actuellement !", sourit la directrice du Suptice. "Mais on en aurait une bonne dizaine, ce serait bien".
Elle pointe aussi le problème de la rémunération, pas assez attractive, mais surtout la question du vivier : "Il n’existe pas assez de masters en France qui alimentent le marché. Résultat, on s’arrache les ingénieurs pédagogiques !" Carole Nocéra-Picand avance d’autres explications : des besoins croissants dans les universités et des écoles "qui en veulent toutes, et qui, elles, les paient"… Elle note aussi que les NCU ont "capté" en moyenne 4 ou 5 postes d’ingénieurs pédagogiques chacun.
La question du recrutement
"Il y a vrai problème de recrutement, poursuit-elle. Il faut former davantage et penser aux reconversions. On pourrait imaginer que des Prag deviennent ingénieurs pédagogiques à mi-temps, et conservent un mi-temps de professeurs. Il faudrait aussi faire un profil de poste pour la fonction d’assistant pédagogique, qui existe, mais de façon complètement masquée", suggère-t-elle.
Des conseillers pédagogiques, le SUP de Rennes-II en compte 7 dans la cellule d’appui à la pédagogie, et 5 dans la cellule multimédia du SUP. "Nous avons réussi à répondre aux demandes, mais ça a été dense", affirme Elsa Chusseau. La rentrée, ça va être une autre question… Nous avons publié 5 postes, fléchés vers les projets NCU et EUR, mais avec un pourcentage de leur temps pour le SUP."
Au-delà de la grande diversité des structures d’accompagnement, tous leurs responsables pointent la nécessaire collaboration entre "le technique" et "le pédagogique". Plusieurs logiques d’organisation se dégagent, sans être exclusives les unes des autres.
"La mission d’appui". Pour la Mapi, la clé de l’accompagnement réside dans la synergie entre trois domaines, qu’elle rassemble depuis 2014 : l’accompagnement à l’amélioration continue de l’offre de formation, la formation des équipes pédagogiques, et la production de ressources numériques, explique Pauline Jourdan. Y travaillent des ingénieurs pédagogiques et de formation, chargés de projets, techniciens audiovisuels, informaticiens, infographistes…
"Le travail inter-services". "À l’avenir, il y aura des organisations à penser, plus agiles, au-delà des structures", affirme Carole Nocéra-Picand (Rennes-I), qui juge "très intéressant d’avoir des équipes pluri-appartenantes" travaillant en mode projet. "Le travail inter-services, entre le Suptice, la DSI, le SOI et la DFVU, sous l’égide du VP formation, a été nécessaire". Quant au SUP de Rennes-II (26 personnes), il est organisé en trois cellules : enseignement à distance, multimédia, appui à la pédagogie. "Nous avons revu l’organisation de ces deux dernières cellules, pour créer une synergie entre les collègues", explique Elsa Chusseau (SUP de Rennes-II). De son côté, Sophie Kennel (Strasbourg) explique que l’Idip a été en quelque sorte un maître d’œuvre pour les équipements : "la Dnum nous sollicitait, pour savoir quoi développer, puis nous testions ensuite la solution".
Le numérique conçu globalement. À Lyon-III, le pôle d’accompagnement à la pédagogie numérique est rattaché à la direction numérique (environ 70 personnes), qui chapeaute aussi les SI ainsi que les infrastructures réseaux et systèmes. Le numérique ne doit pas être "à part" ou se limiter à l’informatique, il se conçoit dans une approche globale, estime Yves Condemine.
"Les référents". Au sein d’AMU, le Cipe (12 personnes, dont 6 ingénieurs pédagogiques) a constitué un réseau de 80 référents dans les composantes, essentiellement des enseignants, des ingénieurs et des accompagnateurs pédagogiques. Tandis qu’à l’université de Rouen Normandie, chaque composante compte un "référent numérique et transformation pédagogique", le plus souvent un enseignant-chercheur. Le SUN (service aux usagers du numérique), service central d’appui à la pédagogie, a aussi ses "relais Tice dans les composantes" et intervient sur les aspects techniques mais également pédagogiques. "Si l’université n’a pas encore de SUP, avec ce service nous avons les bases", souligne ainsi Vincent Roy, VP numérique.
La cellule à l’appui au service d’un groupe d’écoles. Dans le groupe Insa, "les meilleurs experts" sont fédérés au sein d’Open Insa, le service inter-établissements du groupe Insa qui regroupe les cellules d’ingénierie pédagogiques des 7 écoles du Groupe." La consolidation des bonnes pratiques et leur diffusion à l’échelle du groupe a été puissante et n’aurait pas été possible à un seul Insa", explique Bertrand Raquet, DG de l’Insa Toulouse.
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Catherine Buyck,
journaliste