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Continuité des services publics oblige, la crise sanitaire a contraint les collectivités territoriales à déclencher dans l’urgence dès la mi-mars leur plan de continuité d’activité, devant à la fois assurer la protection de leurs agents mobilisés sur les missions essentielles mais aussi affronter le déploiement à grande échelle, et sans y être toujours bien préparées, du télétravail. Non sans incidences sur l’organisation du travail et le management à distance. Après deux mois de confinement et alors que la phase trois du déconfinement vient de commencer, l’heure est aux premiers bilans et enseignements, l’objectif étant d’en tirer parti. Quelles sont les incidences à plus ou moins long terme de la crise en termes d’organisation et de modes de travail pour les collectivités ? Quelles pratiques ont émergé ? Quelles perspectives se dessinent ? Tour d’horizon de plusieurs collectivités.
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La crise a modifié les relations de travail dans les collectivités locales et a permis de "responsabiliser les managers sur l’organisation du travail à distance, et en présentiel". Wikimedi - Marceladelgado11
Région Nouvelle-Aquitaine, Rouen, Dijon, Grenoble-Alpes Métropole… En complément des nombreux entretiens déjà publiés de DGS et de DRH de collectivités locales sur leur stratégie face à la crise sanitaire en matière d’organisation du travail et les premières leçons à en tirer (Grand Est, Paca, Hauts-de-France, Nord, Puy-de-Dôme, Mayenne, Ardèche…), AEF info passe en revue les pratiques de plusieurs autres collectivités.
Pratiques qui ne resteront pas sans conséquence, en particulier sur le développement du télétravail. Si nombre de collectivités avaient amorcé son déploiement avant la crise, d’autres l’ont quasiment découvert à cette occasion et ont dû faire face à un manque criant de matériel informatique, certains agents allant jusqu’à récupérer à domicile leurs postes fixes ou devant travailler avec leur ordinateur personnel. En filigrane, se pose également la question de l’évolution du management.
Comment la continuité d’activité a-t-elle été assurée ?
L’organisation des missions sur site
Sur les quelque 1 700 agents permanents que compte la métropole de Rouen chaque jour en moyenne environ 300 étaient sur le terrain lors de la phase de confinement, pour la plupart des personnels affectés à la collecte des déchets. "Nous avions des inquiétudes sur la durée, mais ça a bien tenu et nous avons très peu réduit les services hormis la fermeture des déchèteries comme l’ont fait à peu près toutes les collectivités", indique Frédéric Althabe, le DGS. Les précautions sanitaires ont été "assez rapidement calées" pour les personnels intervenant de manière récurrente ou ponctuelle sur site.
À Dijon, la métropole compte 2 850 agents titulaires et un millier de contractuels (des étudiants qui interviennent dans l’accueil périscolaire notamment). Pendant le confinement, environ 300 d’entre eux ont continué à intervenir sur le terrain, parfois avec une charge de travail plus importante. C’est le cas des agents exerçant à l’usine d’incinération des déchets qui, avec la gestion des déchets infectieux du CHU, a dû passer à six jours de travail par semaine.
À Grenoble-Alpes Métropole, collectivité de 1 800 agents dont 300 contractuels, environ 20 % des agents ont continué à travailler en présentiel, essentiellement dans la collecte des déchets, dans l’eau et l’assainissement.
Un déploiement express et contraint du télétravail
Les collectivités qui étaient à peu près prêtes…
Un dispositif de télétravail a été mis en place "très vite" par la métropole de Rouen pour "potentiellement un millier d’agents chaque jour". La rapidité de bascule s’explique par la politique décidée avant la crise. "On venait de finir une salve de 100 personnes en télétravail un jour par semaine, toute la base technique était en place", témoigne ainsi Frédéric Althabe. La DSI de la collectivité a pu gérer cette montée en charge soudaine – "elle a réalisé des exploits," assure le DGS – pour connecter 600 personnes en 48 heures à la plateforme. Des commandes ont aussi été passées pour équiper informatiquement des agents, soit 250 ordinateurs portables dès le début de la crise.
Par ailleurs, le dialogue avec les organisations représentatives qui s’est fait "en transparence via des réunions avec la DRH a permis d’améliorer la visibilité sur les ressentis des personnels en télétravail. La réflexion sur le télétravail est menée depuis deux ou trois ans au sein de la métropole de Rouen, et les expérimentations depuis 18 mois pour un objectif de "généralisation prudente" permettant de gérer au mieux les problématiques techniques et financières.
Même réactivité pour la DSI de la région Nouvelle-Aquitaine, rapporte la directrice générale adjointe en charge du pôle Ressources, Catherine Hardouin. Les quelque 1 200 agents du siège qui ont basculé en télétravail cinq jours sur cinq ont très vite bénéficié d’un ordinateur portable. La formule, testée depuis 2017 et très appréciée des agents (lire sur AEF info), concernait début 2020 "plus de 20 % des effectifs du siège" (soit moins de 600 des 2 000 agents de la collectivité hors ATTEE) travaillant à distance entre un et deux jours par semaine. À la fin du confinement, la proportion avait grimpé à 80 % : "Un saut dans le grand bain !" commente la DGA.
Toutefois, l’équipement de ces nouveaux télétravailleurs n’est pas allé au-delà d’un terminal portable, contrairement aux agents de la région qui étaient déjà en télétravail et qui bénéficiaient chez eux d’un PC portable, d’un casque et d’une connexion téléphonique sur ordinateur avec transfert de leur numéro fixe professionnel.
… et celles qui l’étaient moins… ou pas du tout
À Grenoble-Alpes Métropole, environ 45 % des agents ont poursuivi leur activité en télétravail à la suite du confinement. "Le télétravail a été généralisé pour la majorité des services administratifs : dans un premier temps, les services support aux finances, aux RH, le service de la vie des assemblées, et la DSI", indique Philippe Contet, le DRH. La collectivité a distribué 200 ordinateurs portables supplémentaires depuis la mi-mars, qui se sont ajoutés aux 500 ordinateurs déjà attribués à ceux qui se connectaient habituellement en dehors des sites métropolitains. "Il y a eu des agents qui ont travaillé sur leur matériel personnel, mais cette proportion a décru", ajoute-t-il.
À Dijon, le télétravail a concerné environ 800 agents. Tous les autres agents (c’est-à-dire près de 1 750 personnes), qui occupaient un poste incompatible avec le télétravail, ont été placés en autorisation spéciale d’absence. "Nous n’étions absolument pas préparés au télétravail, relate Boris Roman-Dubreucq, le directeur des ressources humaines. Seulement deux de nos agents télétravaillaient pour des raisons de santé ! Le télétravail n’a pu fonctionner que grâce au matériel personnel des agents. À la marge, il y a eu des agents qui ont bénéficié d’une autorisation spéciale d’absence, parce qu’ils n’avaient pas de matériel personnel pour télétravailler." C’est le cas, par exemple, d’une gestionnaire des formations à la DRH qui n’avait pas de box chez elle. "La direction du numérique a mis en place en quelques jours un service d’accès à distance, Guacamole, qui permet de prendre la main depuis la maison sur l’ordinateur de bureau (il suffit qu’il soit allumé), précise également le DRH. Elle nous a également mis en place un outil collaboratif, Teams, qui permet de poursuivre les travaux en équipe."
Quelles incidences sur le management ?
"L’expérience a modifié les relations de travail, témoigne Boris Roman-Dubreucq pour Dijon. Nous avons demandé à tous les chefs de service d’avoir des modalités de management bienveillant. Les managers ont tous pris des nouvelles très régulièrement des agents, notamment parce que certaines personnes ont traversé l’épreuve difficilement – parce qu’elles vivent seules, parce qu’elles ont rencontré des difficultés financières, parce qu’elles ont des problèmes de santé. Nos assistantes sociales ont effectué des visites à domicile et elles ont utilisé, dans une douzaine de cas, l’enveloppe d’aides financières exceptionnelles" (jusqu’à 500 euros par an et par agent). Les agents "horaires" (le plus souvent des étudiants qui gèrent les accueils périscolaires), de leur côté, ont vu leur rémunération maintenue. Cela représente un millier d’agents qui s’ajoute aux 2 850 titulaires.
À Grenoble-Alpes métropole, "une proportion minime d’agents avait l’habitude du travail à distance", observe Philippe Contet, "pour beaucoup d’autres, c’était une nouveauté". La collectivité n’avait pas expérimenté le télétravail auparavant. "Dans un premier temps, les agents sont passés par une phase d’adaptation, satisfaisante", se souvient le DRH. "Ensuite, le confinement s’est étendu, et il a fallu s’organiser dans la durée, avec parfois des problèmes de connexion, ou des visioconférences difficiles. Cette période s’est close lorsque les agents ont pu alterner des jours de travail et des jours en ASA."
La métropole grenobloise a mis en place des formations sur l’organisation du travail en équipe en télétravail, pour les managers, et une cellule d’écoute pour les agents déstabilisés par le confinement. "Lorsque le confinement s’est inscrit dans la durée, il a fallu donner aux managers la possibilité d’accéder à des instances de parole, ou des formations. La plupart d’entre eux sont maintenant satisfaits d’avoir pu expérimenter cette nouvelle modalité de travail", indique Philippe Contet.
Plus généralement, le confinement a permis de "responsabiliser les managers sur l’organisation du travail à distance, et en présentiel". Pendant la crise, ils ont dû être attentifs aux capacités des agents de s’adapter à la nouvelle situation : "Ils ont dû créer les outils nécessaires pour savoir si chacun pouvait se connecter, et être à l’affût des signaux faibles", indique le DRH. Au moment du déconfinement, ce sont eux qui organisent le retour sur site, en fonction des espaces de travail. La crise a donc "repositionné" les managers dans leur rôle.
Le scénario est sensiblement différent en Nouvelle-Aquitaine. Depuis la fusion de 2015 entre l’Aquitaine, le Poitou-Charentes et le Limousin, la plupart des cadres de la très vaste collectivité (la taille de l’Autriche !) avait "déjà acquis nombre de réflexes pour piloter à distance des équipes réparties sur trois sites (Bordeaux, Poitiers et Limoges), garder le contact et réguler le collectif", précise la DGA Ressources, Catherine Hardouin. "La crise sanitaire ne les a donc pas pris au dépourvu mais un bilan de cette période de travail confiné est nécessaire avec les managers et leurs collaborateurs."
Le conseil régional va donc sonder en ligne ses agents, les sondant sur leur vécu, l’organisation des collectifs de travail pour partager, pour se synchroniser, leur éventuel sentiment d’isolement, les outils qui ont émergé. Après quoi sera ouvert à l’automne un dialogue avec les organisations syndicales sur cette question. "Le télétravail se révèle un bon outil mais il va falloir le questionner. Car celui que nos agents ont vécu pendant cette crise sanitaire est très différent de celui que nous testons depuis trois ans", estime Catherine Hardouin.
Quel déploiement du télétravail À l’aune de la crise ?
Pas de généralisation dans l’immédiat
"Le télétravail, avant le confinement, n’était pas dans nos projets, indique le DRH de Dijon Métropole. Nous aurons probablement un cycle de négociation sur le sujet mais nous allons attendre la prochaine mandature. En tout cas, depuis le 11 mai et plus encore depuis le 2 juin, nous incitons les agents qui le peuvent à revenir travailler en présentiel. Nous ne souhaitons pas, cependant, que le télétravail se poursuive au-delà de fin juin. Aujourd’hui, la non-reprise est l’exception."
De fait, Dijon a été parmi "les premières villes à rouvrir les piscines et les bibliothèques (en permettant aux lecteurs de circuler dans les rayons) et ses musées", rappelle Boris Roman-Dubreucq. "Seuls quelques équipements sportifs restent fermés mais c’est l’exception." Au sein des services, chaque chef de service se met d’accord avec ses équipes, pour voir qui peut revenir et qui peut continuer à télétravailler. "Cela a pu, ponctuellement, poser problème. J’ai des collègues qui se sont habitués au télétravail. Il a fallu argumenter pour qu’ils acceptent de revenir et nous avons assoupli les plages de travail – avec la possibilité d’arriver tôt (dès 7h30), de faire la journée continue, de manger au bureau…"
Le développement d’outils collaboratifs
Depuis le 11 mai, la reprise d’activité sur site est progressive au sein de la région Nouvelle-Aquitaine, la collectivité encourageant ses équipes à revenir sur leur lieu de travail au moins un jour par semaine. "Bientôt, nous allons leur demander de revenir au moins deux jours", indique Catherine Hardouin, le 10 juin 2020. Chaque service s’organise, sous la responsabilité de son responsable, pour établir des roulements d’agents dans les bureaux. La règle étant de limiter les présences à un quart des effectifs afin de respecter les consignes sanitaires pour l’occupation des locaux. Ce taux va, lui aussi, évoluer dans les prochains jours pour grimper à un tiers, précise la DGA Ressources.
Bâtir ces tableaux de présence et les alternances présentiel/à distance s’avère un exercice compliqué pour les cadres car ils doivent aussi jongler avec une autre contrainte : celle des jours d’accueil à l’école des enfants de leurs personnels, relève Catherine Hardouin. Dans la majorité des cas, les réunions de service continuent donc de se dérouler en visioconférence. Et cette option, déjà fréquente depuis la fusion de 2015, pourrait s’installer davantage encore dans les pratiques afin de limiter les trajets, synonyme "de temps perdu, de fatigue et de CO2 en trop," estime la DGA.
Outre la visioconférence, la région veut aussi développer davantage les outils collaboratifs. D’une part, elle prévoit de remplacer à l’avenir les ordinateurs fixes par des ordinateurs portables. "Le nomadisme rentre dans les mœurs," constate Catherine Hardouin, estimant que "la crise a fait changer les mentalités" et que les candidats au télétravail vont croître dans son institution. D’autre part, afin de mieux organiser le temps de travail, la DRH propose d’approfondir la réflexion sur des schémas de service, qui avait été esquissée avant le confinement. Il s’agit de s’interroger sur les contraintes (hebdomadaires, mensuelles, annuelles) et les pics d’activité d’un service afin de pouvoir mieux arbitrer le partage entre présentiel et télétravail. "Tout le monde aimerait télétravailler les lundis et vendredis mais ce n’est pas tenable", dit Catherine Hardouin.
La crise comme "révélateur"…
La phase dite de reprise d’activité "oblige à franchir un cap très important" en matière de télétravail, pour "expérimenter à une échelle massive" et dans la durée, indique Frédéric Althabe, le DGS de la métropole de Rouen. Il s’agit maintenant d’organiser des "phases intermédiaires" avec un cadrage des conditions de télétravail pour tendre vers "100 % du niveau de performance initial" lorsque les personnels sont sur site. Pour le responsable rouennais, "ce cadrage est presque plus compliqué que celui du confinement car au-delà du maintien des activités essentielles il engage "des métiers très différents".
Reste que la période a été un véritable "révélateur de ce qui avait été mis en place", certains montrant un intérêt marqué pour le télétravail ou le "travail déporté" par exemple en attente d’un rendez-vous extérieur. Après une étape de reprise d’activité "forcément évolutive", la métropole de Rouen compte bien mener la réflexion pour savoir jusqu’où pousser la logique du télétravail.
… ou comme accélérateur de la réflexion
À Grenoble-Alpes Métropole, l’organisation du travail est aujourd’hui mixte avec du présentiel et du télétravail. "Le travail à distance est maintenu au maximum, et en parallèle, les agents reviennent sur site deux jours par semaine minimum", précise Philippe Contet, le DRH. Nous souhaitons, dans la phase actuelle, permettre aux agents de retrouver leur site de travail, reconstituer les équipes, et réintroduire un début de normalité." Les personnes en situation de difficulté à cause de leur connexion Internet, ou isolées, ont été prioritaires pour le retour. Les managers sont revenus sur site la semaine du 11 mai, et les agents, une semaine plus tard.
Le confinement a été un "catalyseur" pour le déploiement du télétravail, dans lequel la collectivité avait, avant la crise sanitaire, un certain "retard" par rapport à d’autres collectivités comparables, reconnaît le DRH. Aucune expérimentation sur le télétravail n’avait été menée, et cette modalité était pratiquée seulement sur recommandation de la médecine de prévention, dans des cas précis. "Une réflexion avait été engagée en début d’année 2020, avec un séminaire, lequel a réuni des agents, des organisations syndicales et des managers, se souvient Philippe Contet. L’objectif était de lancer la réflexion, de déterminer les fonctions éligibles au télétravail, et de poser quelques jalons. Le confinement a donné un coup d’accélérateur très fort à notre réflexion."
"Il y a quelques fonctions qui s’avèrent être efficientes en télétravail, comme la comptabilité et les finances, nous avons pu le vérifier par la démonstration", poursuit Philippe Contet. La collectivité veut maintenant se lancer, et "déployer plus largement le télétravail d’ici à la fin de l’année, si le nouvel exécutif le souhaite". Pour l’heure, un questionnaire a été distribué aux managers et agents sur leur expérience pendant le confinement. La collectivité envisagerait, pour l’instant, de proposer le télétravail sur deux jours maximum, avec une période d’essai, et en évitant le matériel personnel. La responsabilisation des managers sera probablement prévue dans le dispositif. "Il faut que le télétravail soit porté par les managers et les équipes", explique Philippe Contet. "Il doit être vécu comme une amélioration des conditions de travail, et non comme une contrainte."
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Sabine Andrieu,
journaliste