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Guérison par la prière, promotion du jeûne, rejet de la médecine conventionnelle et des vaccins, théories apocalyptiques… La pandémie offre une nouvelle occasion à certains groupes de propager des discours potentiellement dangereux pouvant présenter ou renforcer des dérives sectaires, alerte la Miviludes. Ses conseillers travaillent en amont pour repérer les nouveaux risques, alerter le public et sensibiliser les forces de sécurité à cette problématique. Depuis début mai 2020, 232 saisines ont été effectuées, contre 160 à la même période l’an dernier, indique l’organisme à AEF info.
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Dans ses étroits locaux du VIIe arrondissement de Paris, non loin de l’Hôtel Matignon auquel elle est toujours rattachée dans l’attente de son transfert au ministère de l'Intérieur (lire sur AEF info), la Miviludes est à pied d’œuvre malgré la pandémie ce 26 mai. Pas question de télétravail pour ses dix personnels administratifs et conseillers, qui redoublent d’attention depuis le début de la crise sanitaire et se tiennent prêts à accueillir de potentielles victimes ou leurs proches. À cette date, la mission avait reçu 70 signalements directement liés à l’épidémie de Covid-19, et au total toutes problématiques confondues, 232 saisines depuis le début du mois de mai, contre 160 à la même période en 2019.
"Dans la continuité de ce que disaient les psychologues et les psychiatres, nous avons constaté que cette période très anxiogène et d’isolement allait créer des fragilités dont pourraient profiter certaines personnes ou mouvements", confirme la secrétaire générale de la mission, Anne Josso. Ont ainsi émergé des "discours plutôt manipulatoires en lien direct avec l’angoisse créée par la pandémie". Après une période relativement calme aux mois de mars et d’avril, les appels se multiplient dans la foulée du déconfinement.
Désormais, pas un mouvement dans le collimateur de la mission qui ne fasse référence au nouveau coronavirus. Que ce soit pour vanter les mérites de tel remède miracle, mettre à l’index la médecine conventionnelle, les vaccins, la 5G ou encore Bill Gates, ou pour asseoir des théories de fin du monde. Si certains voient dans l’épidémie la confirmation ou la préfiguration d’une apocalypse imminente, d’autres attribuent l’origine du virus à différentes causes plus ou moins tangibles, quand ils ne nient pas tout simplement son existence. Certains n’hésitent pas à promettre la guérison à tous ceux qui adhéreraient à leur église, ou à réaliser de juteuses opérations commerciales.
Une grande faculté d'adaptation des groupes
La situation inédite, les incertitudes concernant le virus et les dissensions au sein de la communauté scientifique ont en effet ouvert une brèche opportune à nombre de discours complotistes, voire dangereux. Pas nouveaux sur le marché, les mouvements signalés étaient déjà bien identifiés par la mission avant la pandémie. "Ils en ont profité pour se mettre plus en visibilité. Ils savent très bien s’adapter, ils ont su le faire au moment des attentats en 2015, mais aussi en 2012 avec Bugarach", petit village de l’Aude qui devait, selon les rumeurs, échapper à l’apocalypse annoncée pour le 21 décembre 2012. "Et c’est encore le cas aujourd’hui", confie, sous couvert d’anonymat, un enquêteur spécialisé sur la question au sein de la gendarmerie.
Confinement oblige, leurs méthodes d’approche ont également évolué. Les démarchages prosélytes n’ont pas cessé, passant par d’autres canaux que le contact physique direct. Des lettres manuscrites déposées directement dans les boîtes aux lettres, des appels téléphoniques, parfois répétitifs, ont ainsi remplacé le traditionnel porte-à-porte, sans que les adeptes n’affichent d’emblée leur obédience. Multiplication des "webinaires", propositions de "thérapies" ou de "soins" à distance, ou envoi de mails ciblés, la proposition s’est aussi étoffée sur Internet. Certains champions du webmarketing ont su tirer pleinement profit de la présence accrue sur les réseaux d’une population confinée et en quête de réponses. Le secteur de la santé et du bien-être représente aujourd’hui un peu plus du tiers des signalements reçus par la Miviludes. Mais c’est loin d’être le seul, la crise économique et les problématiques écologiques constituant autant de possibles portes d’entrée aux dérives sectaires.
L'emprise mentale : un processus à démontrer
Pour autant, tous les discours inquiétants ne relèvent pas nécessairement, in fine, de la dérive sectaire, ni même de la simple dérive thérapeutique. C’est là toute la difficulté du travail de la Miviludes : concilier les libertés de conscience et d’expression avec la protection des personnes, dans son rôle de prévention et d’information comme dans son rôle de coordination de l’action publique. "Nous ne sommes pas là pour empêcher la diffusion de discours. Ce qu’il faut, c’est que le discours ne s’impose pas de façon totale et inconditionnelle et fasse perdre aux gens leur libre arbitre ou leur capacité de douter et de remise en cause", précise Anne Josso. Avant de pouvoir affirmer qu’il existe un véritable risque, il faut disposer d’indices suffisamment précis laissant supposer l’existence d’une manipulation systématique et volontairement induite. C’est le sens de l’article 223-15-2 du code pénal, introduit par la loi About-Picard de 2001 et qui définit la notion d’emprise mentale.
Il punit de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende "l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse" de personnes vulnérables. Si l’abus est commis par "le dirigeant de fait ou de droit d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, maintenir ou d’exploiter" cette sujétion, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende.
L’infraction est d’autant plus difficile à caractériser que l’emprise se met d’abord en place "sans violence, sans menace et sans contrainte", rappelle ce gendarme spécialisé. Les enquêtes nécessitent un important travail de préparation en amont, et notamment de renseignement. En outre, dans la plupart des dossiers revêtant une problématique sectaire, d’autres infractions, d’exercice illégal de professions réglementées, de nature sexuelle, financières ou autres sont aussi mises au jour.
Des cellules spécialisées et pluridisciplinaires
Le pôle sécurité de la mission se compose de deux conseillers (police et gendarmerie), qui sensibilisent entre 800 et 1 200 personnels des forces de l’ordre à la problématique chaque année. S’il ne mène pas d’enquêtes, ce pôle occupe une place stratégique dans la lutte contre les dérives sectaires. En contact direct avec le terrain et en lien étroit avec les associations de victimes, à la croisée des ministères, il assure une veille indispensable à tous les acteurs impliqués. Il est habilité à recevoir les témoignages des victimes dans le cadre "d’échanges" qui ne sont pas des auditions, insiste l’un de ces conseillers. Dans les cas les plus graves, un signalement doit être fait aux services judiciaires, à charge ensuite aux magistrats de décider s’il y a matière ou non à ouvrir une enquête.
La gendarmerie bénéficie sur ce point de son maillage territorial étendu, avec des référents "dérives sectaires" dans chaque département. Pour coordonner l’ensemble des actions, la direction générale de la gendarmerie nationale a mis en place le GNVLDS (groupe national de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), dont le responsable est le chef de la division des opérations du SCRCGN (service central de renseignement criminel de la gendarmerie). Sur le sujet, celui-ci est composé d’une équipe d’enquête et de renseignement regroupant le département des atteintes aux personnes, la division des opérations et le département d’analyses stratégiques de la division du renseignement. Le département des atteintes aux personnes est de plus en plus sollicité sur des infractions d’emprise mentale "mais ne peut répondre à toutes les demandes au vu des effectifs existants", indique, toujours sous couvert d’anonymat, un gendarme spécialisé sur le sujet.
Du côté de la police, la Caimades constitue la cellule dédiée à la problématique au sein de l’OCRVP, dirigé depuis le mois de mars par le commissaire divisionnaire Éric Bérot. Une dizaine d’agents y traite actuellement "entre 15 et 20 dossiers, qui sont d’ampleur totalement différentes", indique-t-il, et plus ou moins récents. Du petit groupe d’une dizaine d’adeptes emmenés par un psychothérapeute chaman à des mouvements plus importants, liés à des congrégations ou à des groupes qui peuvent rassembler une centaine de personnes, ces enquêtes sont toujours longues. "Entre six mois et un an" d’investigations sont nécessaires, compte tenu de la complexité de ces dossiers aux multiples ramifications, notamment à l’international pour certaines, et du profil particulier des victimes.
Une victimologie très particulière
Entre la peur des représailles, la honte et le sentiment d’avoir participé à leur propre préjudice, celles-ci ont, même une fois sorties du groupe sectaire, beaucoup de difficultés à se reconnaître comme telles. Très rares sont celles qui portent plainte. "La parole est plus difficile à libérer que dans d’autres contextes", explique le commissaire Éric Bérot. "Lorsque vous avez passé parfois cinq, six, dix ans dans un groupe, c’est une profonde remise en question de votre être."
D’où la nécessité d’une formation très précise pour les fonctionnaires chargés de recueillir les témoignages de ces personnes qu’un conseiller décrit comme "psychologiquement détruites". Déplorant le manque de spécialistes et d’effectifs dédiés, celui-ci dresse un parallèle avec la manière dont les victimes de violences conjugales pouvaient être reçues il y a quelques dizaines d’années dans les commissariats, qui a beaucoup évoluée.
Autre enjeu de la formation : ces enquêteurs qui peuvent aussi, faute d’y avoir été a minima sensibilisés, passer à côté d’une problématique sectaire dans le cadre d’investigations lancées sur d’autres fondements. Alors que le phénomène est loin d’être marginal. Selon le dernier sondage en date, publié le 27 décembre 2011 par l’Ipsos, plus de 20 % des Français, soit près de 13 millions de personnes, connaissent personnellement dans leur "entourage familial, amical ou professionnel une ou plusieurs personnes qui ont été victimes de dérives sectaires". Cet autre conseiller le résume ainsi : avocats, médecins, polytechniciens, chefs d’entreprise, "tout le monde peut se faire avoir, mais pas à n’importe quel moment de sa vie."
Outil quasi unique au monde créé en 2002, la Miviludes se prépare à son prochain rattachement au ministère de l'Intérieur. Amputée du tiers de ses effectifs, sa réorganisation avait suscité protestations et critiques au moment de sa divulgation dans la presse (lire sur AEF info). L’ancien président de la mission, Georges Fenech (2008-2012), y voyait "une bonne nouvelle pour les sectes". Retardé par la crise sanitaire, le passage sous la tutelle de la place Beauvau ne signe pas la disparition du caractère interministériel de la mission, assure-t-on à la Miviludes. Sa secrétaire générale, Anne Josso, indique par ailleurs à AEF info que la mission a beaucoup insisté pour que "l’anonymat et la confidentialité des informations qui [lui] sont transmises", restent garantis. Avec ce rattachement, la Miviludes fusionne avec le SGCIPDR. Les dérives sectaires sont-elles comparables à la radicalisation ? "Ce sont des sujets qui ont des points communs : dérive sectaire, repli communautaire, radicalisation et même délinquance", répond Anne Josso. "En prévention, nous devons trouver des synergies et développer des actions communes. Mais les approches sont différentes, donc le travail qui doit être fait, c’est de clarifier les sujets".
Frédéric Rose, préfet, est nommé secrétaire général du CIPDR (comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation) par décret publié au Journal officiel, mercredi 23 octobre 2019. Il remplace Muriel Domenach, nommée ambassadrice à l’Otan en juin 2019 (lire sur AEF info). Frédéric Rose était, depuis juillet 2018, directeur de projet au sein du ministère de l'Intérieur chargé de la déclinaison territoriale du plan national de prévention de la radicalisation. Il devra notamment piloter le rapprochement du CIPDR et de la Miviludes.
La direction de la protection judiciaire de la jeunesse et la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires signent une convention visant à développer la prévention et à lutter contre la radicalisation des mineurs, indique le ministère de la Justice dans un communiqué, jeudi 1er juin 2017. "Cela passe par la formation des professionnels et par la mutualisation de l’information", précise la Chancellerie. La DPJJ et la Miviludes avaient déjà développé un partenariat en avril 2012, qui prévoyait notamment "la mise en œuvre d’une information spécifique des professionnels de la PJJ à l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse et dans les pôles territoriaux de formation", afin de les sensibiliser "à la problématique sectaire".
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Lyse Le Runigo,
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