En plus des cookies strictement nécessaires au fonctionnement du site, le groupe AEF info et ses partenaires utilisent des cookies ou des technologies similaires nécessitant votre consentement.
Avant de continuer votre navigation sur ce site, nous vous proposons de choisir les fonctionnalités dont vous souhaitez bénéficier ou non :
"Dans le contexte actuel, si nous voulons nous en sortir et surnager, nous sommes obligés de faire évoluer notre management en fonctionnant davantage par objectifs et en se questionnant sur le pourquoi et non seulement sur le comment", estime Pascal Bernard, le DRH des ministères sociaux, interrogé début mai 2020 par AEF info sur les enseignements à tirer de la crise sanitaire. La rénovation de la DRH qu’il a menée, opérationnelle en février, a été selon lui un atout dans la gestion de la crise grâce notamment à une approche par les compétences et le développement de l’intelligence collective. Autre avantage, "la qualité de dialogue social que nous avions réussi à instaurer avant la crise", souligne-t-il. Il espère aussi tirer parti, après la crise, du développement de la formation à distance et de l’innovation. Le plan de déconfinement a été présenté la semaine dernière aux instances.
Cette dépêche est en accès libre.
Retrouvez tous nos contenus sur la même thématique.
Pascal Bernard, DRH des ministères sociaux Droits réservés - DR
AEF info : Comment avez-vous mis en place votre plan de continuité d’activité mi-mars ? Avez-vous dû l’actualiser ? Que prévoit-il dans les grandes lignes ?
Pascal Bernard : Le PCA de la DRH était prêt mais nous l’avons complété au fur et à mesure de la crise. Il prévoyait à l’origine une cellule de pilotage de la crise et la gestion de la paie. Cela n’a tenu qu’une journée et demie ! Nous nous sommes vite rendu compte que d’autres fonctions étaient essentielles : le dialogue social tout d’abord. Les ministères sociaux ont la particularité de recouvrir quatre champs ministériels : la Santé / Cohésion sociale, le Travail, la Jeunesse et Sports et l’administration centrale. Depuis le début de la crise sanitaire, je réunis en moyenne tous les 15 jours les CT et CHSCT de chacun d’entre eux, ce qui revient à une réunion d’instance par jour. J’ai également renforcé l’équipe "dialogue social" et ses moyens. Ce point est très stratégique.
L’accompagnement managérial a également été renforcé, tous les encadrants ne maîtrisant pas forcément le management à distance. Nous avons mobilisé en interne notre équipe de coachs pour soutenir le management, très en demande, et intensifions nos actions en matière d’innovation sociale pour soutenir les agents confinés, certains se sentant isolés. Ont été activés et renforcés les services d’écoute en ligne et de soutien psychologique. Pour ce faire, nous avons redéployé des ressources internes et faisons appel à des compétences externes dans le cadre de partenariats existants. Nous intervenons également sur tout le volet de la prévention et de la qualité de vie au travail.
Sans la réforme de la DRH, "la gestion de la crise aurait été moins fluide et moins proactive. La crise nous a aussi permis de tester cette organisation."
Le fait d’avoir procédé en 2019 à la réorganisation complète de la DRH a été un atout. Nous avons supprimé la plupart des niveaux de sous-directeurs et de chefs de bureau et créé des pôles avec des gouvernances partagées et tournantes. Cette nouvelle DRH a été mise en place au 1er janvier 2020 et a été opérationnelle en février, juste avant la crise. Autant dire que cette dernière nous a confortés dans la nécessité de cette réforme, qui consiste en une approche par les compétences et non seulement par les statuts, ainsi que par le développement de l’intelligence collective et l’abolition des silos, dans une logique d’attention portée tant aux clients/partenaires internes qu’aux collaborateurs. Ce que nous résumons par une formule : "La symétrie des attentions." Sans cela, la gestion de la crise aurait été moins fluide et moins proactive. La crise nous a aussi permis de tester cette organisation.
Nous avions notamment ciblé des groupes de compétences complémentaires. Quatre pôles ont été créés dont trois principaux dotés de quatre départements chacun, chaque pôle étant dirigé durant trois mois par un des quatre chefs de département. Conséquence : ils sont responsables collectivement des résultats du pôle ce qui favorise la solidarité. Cela a beaucoup aidé dès le début de la crise : un des responsables de pôle a été sérieusement atteint par le Covid-19 et s’il n’y avait pas eu cette collégialité, le fonctionnement de son département, stratégique, aurait été affecté.
Par ailleurs, l’animation des réseaux s’avère très importante. L’administration centrale de la DRH compte 400 personnes mais est responsable des 500 personnels RH exerçant dans les services déconcentrés (Direccte, DRJSCS, DAC…) et il est en permanence nécessaire d’échanger sur l’actualisation des plans et l’évolution de la législation. Une audioconférence est organisée une fois par semaine avec les DRH de proximité. Nous avons également créé une cellule avec un numéro vert puis une FAQ pour les orienter. Cette FAQ comprend trois parties destinées respectivement aux responsables RH de proximité et aux managers, aux organisations syndicales, et aux agents en général.
AEF info : Quelle organisation du travail avez-vous mise en place ?
Pascal Bernard : Dès le départ, la règle de base pour les ministères sociaux, est, en ligne avec les directives gouvernementales, le travail à distance (dont le télétravail), le présentiel étant l’exception. Et cela perdurera dans le cadre de notre plan de déconfinement que j’ai présenté à tous les CHSCT la semaine dernière. Le travail en présentiel ne se fera qu’en cas de nécessité.
"Les ASA sont un bon indicateur : lorsqu’elles diminuent et que le travail à distance progresse, cela est le signe d’une ligne managériale positive, qui dénote la capacité des managers à s’adapter quant à la répartition des tâches utiles."
Nous effectuons chaque semaine un reporting sur la situation administrative des agents (télétravail, ASA…). Les ASA sont un bon indicateur : lorsqu’elles diminuent et que le travail à distance progresse, cela est le signe d’une ligne managériale positive, qui dénote la capacité des managers à s’adapter quant à la répartition des tâches utiles. S’agissant de la DRH, par exemple, nous comptions la première semaine 130 agents en ASA. Cette proportion est tombée à moins de 60. La majorité est donc désormais en travail à distance.
Nous avons pour cela parallèlement amélioré le taux d’équipement informatique grâce à notre direction du numérique. Notre groupe ministériel affichait déjà un taux de 70 %, qui est parmi l’un des meilleurs. Nous avons atteint les 80 % en commandant des ordinateurs et en installant des lignes supplémentaires. Il s’agit d’un investissement durable : la crise sanitaire n’étant pas finie, nous devrions être installés dans un mode de travail à distance pour plusieurs mois. Cela devrait susciter des besoins en la matière, le télétravail étant encore peu développé dans la fonction publique.
AEF info : Quel est le niveau de protection des agents mobilisés en présentiel et qu’est-il prévu pour le déconfinement ?
Pascal Bernard : Le travail en présentiel reste l’exception. Tous les agents concernés (environ 10 %) et ceux qui réintégreront leur poste peuvent pouvoir effectuer les gestes barrière sans aucune entrave avec la mise à disposition de gel hydroalcoolique notamment, disposer de bureaux appropriés et d’espaces de travail aménagés, avec notamment des plans de circulation, afin qu’ils puissent respecter les distances de sécurité. Le restaurant administratif, dont la fréquentation est très faible, a également été aménagé et ses règles d’utilisation précisément définies.
Les consignes sanitaires étant très strictes, le présentiel va rester minimal. Ne viendront que les agents dont on est sûr qu’ils pourront travailler dans de bonnes conditions sanitaires, en particulier ceux en contact avec le public.
AEF info : Certains agents ont-ils fait valoir leur droit de retrait ?
Pascal Bernard : Nous n’avons été confrontés à aucun droit de retrait. La culture de l’engagement est très forte dans la fonction publique.
AEF info : Le dialogue social figure en tête de vos priorités. Comment en assurez-vous la continuité, au-delà du nombre de réunions ?
Pascal Bernard : Nous organisons nos réunions en audio pour plus de simplicité, la plupart d’entre elles comptant une quarantaine d’intervenants. Nous envoyons toujours les documents en amont pour permettre de les préparer efficacement.
"Outre les réunions en audio, "j’organise des bilatérales avec les organisations syndicales entre les réunions d’instances. La qualité d’une réunion ne peut pas excéder la qualité de sa préparation."
Et s’il devait y avoir des votes lors de futures consultations, ils devront être confirmés par mail. Par ailleurs, j’organise des bilatérales avec les organisations syndicales entre les réunions d’instances. La qualité d’une réunion ne peut pas excéder la qualité de sa préparation.
Cela est également le fruit de la qualité de dialogue social que nous avions réussi à instaurer avant la crise. Pour preuve, nous avons signé trois accords majeurs dans les ministères sociaux lors des six derniers mois. Ceux-ci portent notamment sur l’organisation territoriale de l’État, l’égalité femmes-hommes et la diversité, ou encore la prévention des discriminations des représentants syndicaux et les parcours des porteurs de mandats. Le dernier accord a été signé fin février.
AEF info : Quelles incidences éventuelles la crise va-t-elle avoir sur les avancements, les promotions et les recrutements au sein des ministères sociaux ?
Pascal Bernard : Pour l’instant, aucune incidence de ce type n’est à déplorer. Nous menons plusieurs concertations en interministériel dont l’objectif est de faire en sorte de reporter le moins d’échéances possible. Les commissions administratives paritaires (qui ne portent plus que sur les promotions conformément à la loi de transformation de la fonction publique) qui devaient se tenir ces prochains mois seront assurées en audio, comme le rend possible l’ordonnance du 27 mars 2020
AEF info : Une prime exceptionnelle est prévue pour les agents mobilisés devant faire face à un surcroît de travail. Le projet de décret pour la FPE et la FPT, en instance de publication, prévoit notamment de donner la main aux ministères pour définir quels sont les agents éligibles. Comment allez-vous procéder ?
Pascal Bernard : Reconnaître l’engagement des agents est une bonne chose. Mais, pour que ce dispositif soit une réussite, cela nécessitera que le management local soit en mesure de respecter les critères d’allocation et de les expliquer clairement aux équipes. Cette démarche va donc aussi jouer comme un révélateur de maturité managériale.
AEF info : Quels premiers enseignements tirez-vous de la crise ?
Pascal Bernard : Le premier enseignement est le saut qualitatif de notre ligne managériale. Nous avions mis en place il y a quelques mois un campus managérial qui vise notamment à inciter les cadres à faire confiance, déléguer, innover, favoriser le codéveloppement, les groupes d’analyse et de résolution de problème etc.. Bref, à sortir de la culture hiérarchique traditionnelle.
Dans le contexte actuel, si nous voulons nous en sortir et surnager, nous sommes obligés de faire évoluer notre management en fonctionnant davantage par objectifs et en se questionnant sur le pourquoi et non seulement sur le comment. Actuellement, les managers qui s’en sortent le mieux sont ceux qui parviennent à bien expliquer le sens de ce qu’ils demandent. Depuis trois semaines, certains se révèlent comme managers alors que d’autres éprouvent au contraire des difficultés car ils n’ont plus leurs équipes en permanence sous leurs yeux.
"Pour bien manager, le noyau idéal est un manager pour sept à huit personnes. Ce modèle permet de créer uns solidarité de groupe."
Nous retrouvons là la notion de groupes primaires. Pour bien manager, le noyau idéal est un manager pour sept à huit personnes. Ce modèle permet de créer une solidarité de groupe. À cet égard, je pilote un groupe de travail qui réunit DRH publics, privés et chercheurs et dont le but est de réfléchir aux incidences de la crise en matière de rapports au travail et de management. Le télétravail met à cet égard en avant la nécessité de manager par le sens et par l’intelligence relationnelle.
Autre enseignement, l’importance de la formation à distance. Une aide importante a été apportée par l’élaboration rapide d’une plateforme de formation en ligne dont la plus demandée est celle relative au management à distance. Près de 200 formations sont disponibles (préparation aux concours, formation aux métiers et au management, groupes de co-développement…). C’est une bonne pratique que nous allons poursuivre après la crise.
Enfin, la crise doit être l’occasion d’éradiquer tout le formalisme inutile et de favoriser l’innovation. Certains niveaux hiérarchiques apparaissent en effet, à cette occasion, redondants, et se pose la question de la nécessité et de la création de valeur de certaines procédures administratives. Cette démarche avait du reste déjà été initiée avant la crise dans le cadre d’un travail mené avec la DITP et la DGAFP visant à interroger nos process RH, lors d’un Hackathon des process RH.
AEF info : Comment préparez-vous votre sortie de crise ?
Pascal Bernard : Tout d’abord, nous bannissons le terme de "sortie de crise" car la crise est loin d’être terminée. Nous n’utilisons pas non plus celui de "reprise d’activité" car l’activité n’a jamais cessé. C’est tout le contraire. Je préfère donc parler, avec prudence, de "plan de déconfinement progressif".
Nous devons donc bâtir des organisations qui puissent être réversibles et ce avant le 11 mai. Nous ne pouvons que naviguer en fonction de l’évolution du virus et envisager toutes les éventualités. Les organisations doivent donc octroyer suffisamment de délégation à chaque niveau afin que chacune puisse être en mesure de prendre des décisions adaptées au plus près du terrain. Dès la semaine dernière, le plan de déconfinement progressif a été présenté aux organisations syndicales sachant que nous avons déjà échangé en amont sur le sujet.
Vous souhaitez contacter
Clarisse Jay,
journaliste