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"La crise actuelle remet au centre des organisations la notion de confiance." En l’absence de contrôle permanent et a priori, "cela implique de retravailler sur la délégation, la responsabilisation des acteurs, de fixer des objectifs clairs" ce qui "renforce la dimension 'missions' par rapport à la dimension 'tâche'", estime Olivier Dupont, consultant RH spécialisé dans le secteur public
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Olivier Dupont, directeur, responsable du conseil au secteur public national du cabinet Sémaphores © DR
AEF info : En raison des mesures de confinement, les administrations ont dû déclencher mi-mars leurs plans de continuité d’activité (lire sur AEF info). Or toutes ne semblaient pas prêtes certaines ayant dû actualiser en urgence des plans datant de 10 ans (épidémie de grippe H1N1). Comment expliquez-vous cette impréparation à appréhender des crises ?
Olivier Dupont : Qu’il s’agisse du secteur privé ou du secteur public, les plans de continuité d’activité sont généralement vécus par les organisations comme des contraintes réglementaires et non une ressource sur laquelle s’appuyer. Ces plans n’ont pas entraîné de prise de conscience, hormis bien sûr pour les administrations situées dans des zones à risques (crues, nucléaire…). Il y a en général peu de prise de conscience du caractère inter opérationnel de tels plans car ils ne sont pas accompagnés de démarches de pédagogie. Ces plans ne sont donc pas considérés comme une priorité.
Cette problématique est davantage liée à la taille des organisations qu’à leur appartenance au privé ou au public. Globalement, dans les grandes administrations telles que les ministères, les métropoles, les conseils régionaux, le cadre est plus structuré en amont. En revanche, dans les organisations plus modestes, on constate un manque d’anticipation. Une des raisons est que, dans la crise actuelle, ces plans sont appliqués par contrainte et non par opportunité.
Ce constat vaut d’ailleurs aussi pour d’autres documents, réglementaires ou non, qui comportent de vrais intérêts opérationnels mais ne sont pas pris comme tels par les organisations publiques, tels le Duerp ou les démarches qualité… Ceux-ci sont trop souvent déconnectés de la conduite opérationnelle et de la stratégie des acteurs publics concernés qui en font des documents techniques ou "administrativo-réglementaires" sans voir l’intérêt de telles démarches.
Mais de fait, cet exercice n’est pas simple car il implique de prioriser ses activités ce qui suppose que certaines sont potentiellement moins importantes que d’autres voire "supprimables". Ce type d’exercice peut donc être vu comme étant à double tranchant tant d’un point de vue managérial que d’un point de vue du dialogue de gestion.
AEF info : De même les administrations ont-elles dû mettre en place le télétravail dans l’urgence et à grande échelle. Or toutes les organisations n’y étaient pas prêtes. La crise sanitaire est-elle en ce sens un révélateur – ou non – de la nécessité de développer ce mode de travail ?
"Les organisations affichent des niveaux de maturité très différents sur la question du télétravail en fonction de leur degré de déconcentration."
Olivier Dupont : Les organisations affichent des niveaux de maturité très différents sur la question du télétravail sans que ce soit dans ce cas lié à la taille. La segmentation se fait plutôt sur le degré de déconcentration. Certaines structures très déconcentrées ont pensé de manière structurelle le télétravail et le travail à distance. Des conseils régionaux ont par exemple déjà beaucoup travaillé sur cette question, comme celui de la région Grand Est. Cette collectivité a d’ailleurs produit au deuxième jour seulement du confinement un guide du management à distance (lire sur AEF info). Cela révèle des habitudes de travail déjà ancrées dans l’organisation. Cela est valable aussi pour le CNFPT, qui a structurellement ancré le travail à distance dans ses modes de fonctionnement, avec l’ensemble de ses délégations régionales (lire sur AEF info).
À l’inverse, pour des acteurs publics ayant un mode de fonctionnement plus en proximité géographique, les niveaux de maturité sont plus faibles ce qui implique de créer de nouvelles habitudes de travail. La courbe d’apprentissage est donc dans ce cas beaucoup plus intense.
Cela étant dit, il faut reconnaître que les administrations ont fait des progrès considérables en un temps record notamment sur un plan technique, nombre d’entre elles ne disposant pas de parc informatique et de réseaux adaptés. Les deux premières semaines, les DRH et les DSI ont fourni un travail titanesque afin de mettre en place les conditions les moins mauvaises pour permettre le travail à distance et édicter en urgence des principes de fonctionnement.
Autre point positif : l’émergence d’un phénomène de solidarité entre acteurs des RH, de mise en réseau avec des appuis croisés et des échanges de bonnes pratiques. Nous pourrons en tirer des enseignements et capitaliser sur ces communautés de travail en sortie de crise.
Mais, revers de la médaille, les conditions actuelles ne sont évidemment pas idéales pour créer les manières de fonctionner optimales autour d’une démarche qui doit être largement pensée sur le long terme. Le télétravail nécessite notamment des réflexions en termes de pratiques, techniques, organisationnels, humains mais aussi de garde-fous managériaux pour combiner sécurité du travail des agents et qualité de services pour les usagers.
Or dans le cadre de la crise sanitaire actuelle, le télétravail a été mis en place, dans des conditions extrêmement dégradées, qu’il s’agisse de l’accompagnement de proximité, du maintien du lien, ce qui est très lié à la personnalité et à l’implication du manager. Certains réunissent virtuellement très régulièrement leurs équipes en restituant le principe de la machine à café. À l’inverse, d’autres n’ont pas parlé à leurs collaborateurs depuis le début de la crise.
Le télétravail impose d’être vigilant car cela entraîne chez nombre de collaborateurs le besoin de prouver qu’ils travaillent. Les collaborateurs s’imposent souvent mécaniquement des plans de travail délirants en se mettant des contraintes horaires. Alors qu’au contraire, il faut se ménager en période de télétravail des espaces de respiration sinon les incidences risquent d’être extrêmement importantes. Si ce n’est pas prévu et accompagné, cela peut s’avérer dangereux.
Le problème dans la crise actuelle est que l’on assiste à du "faux" télétravail, qui s’exerce en mode dégradé et contraint, avec une logique qui n’est plus alternative à un travail "physique". Tout accord de télétravail prévoit un environnement adapté, avec un espace dédié, sans avoir par exemple à assumer l’école à la maison en parallèle, et un temps de travail en présentiel. Ce qui n’est pas le cas actuellement.
AEF info : Que révèle cette crise sur la capacité des administrations à revoir leur organisation et à innover notamment en matière RH ?
"La proximité n’est pas que géographique. Il est possible de créer d’autres types de proximité en mettant à disposition des espaces de sociabilisation plus importants qu’auparavant."
Olivier Dupont : Tout d’abord, et cela méritera certainement d’être retravaillé, le télétravail ne peut pas être un mode unique et nominal de travail. Le télétravail est un mode complémentaire qui suppose d’assurer en complément du travail en présentiel. Aujourd’hui, nombre d’acteurs publics utilisent cette crise par opportunité pour expérimenter de nouveaux modes de fonctionnement. Mais il faut éviter d’en tirer de bonnes et de mauvaises pratiques immédiatement car nous n’avons pour l’heure pas le recul nécessaire. Au-delà, plusieurs enseignements émergent.
Premier enseignement : la crise actuelle remet au centre des organisations la notion de confiance. Les organisations n’ont pas les moyens de mettre en place un contrôle permanent et a priori. Cela implique donc de retravailler sur la délégation, la responsabilisation des acteurs, de fixer des objectifs clairs, de clarifier le pourquoi des activités exercées. Cela renforce la dimension "missions" par rapport à la dimension "tâche". C’est un levier sur lequel il faudra vraiment capitaliser à la sortie de crise. Paradoxalement, nombre d’administrations enregistrent moins d’absentéisme actuellement car les agents se mobilisent et sont solidaires. Des cohésions d’équipe se créent pour remplir "coûte que coûte" les missions. Ce qui implique, attention, que le management soit présent et protecteur.
Deuxième enseignement : la proximité n’est pas que géographique. Il est possible de créer d’autres types de proximité en mettant à disposition des espaces de sociabilisation plus importants qu’auparavant et de partage émotionnel grâce auxquels le manager reprend un rôle important de coach et d’écoute. À titre d’illustration, les phases d’introduction des réunions, d’inclusion, où chacun se "reconnaît", retrouvent leur importance, leur noblesse et une certaine forme d’humanité.
Enfin, dernier enseignement : la solidarité et l’entraide avec les communautés de pairs, l’animation transversale, les écosystèmes de métiers RH et SI ont gagné en maturité et en intensité en trois semaines avec une rapidité sans précédent. Des liens ont été créés, notamment entre RH et SI, ce qui n’était pas le cas auparavant. Ces deux mondes qui se parlaient peu se sont retrouvés mobilisés sur un objet très concret : comment accompagner les agents publics dans la mise en place en urgence du télétravail.
AEF info : Comment capitaliser sur ces enseignements ? Doit-on octroyer aux administrations plus de liberté en la matière afin qu’elles gagnent en transversalité et en agilité sur le long terme ? Et comment ?
"L’un des leviers qui nous permettrait de pérenniser un certain nombre d’expériences est que le sens de l’action est un élément déterminant de motivation et de mobilisation des agents."
Olivier Dupont : Le problème est que nous n’avons pour l’heure pas de recul. Nous sommes encore dans la phase de montée en compétences et non dans une phase où le télétravail est un mode "normal" de travail. À plus long terme, l’enjeu pour toutes les organisations publiques sera de savoir comment arriver à capitaliser sur les bonnes pratiques qu’elles auront réussi à mettre en place sous contrainte, une fois supprimée la contrainte. Le naturel risque en effet de vite reprendre le dessus.
Ce qui serait dommage car l’un des leviers qui nous permettrait de pérenniser un certain nombre d’expériences est que le sens de l’action est un élément déterminant de motivation et de mobilisation des agents y compris dans des conditions dégradées. L’absence de levier financier pour motiver les agents a beaucoup été mise en avant. Or la crise actuelle a mis en exergue des facteurs d’engagement et de motivation qui peuvent être différents et travaillés, ce qui n’exclut pas de travailler le volet financier. Cela étant dit, la principale zone de risques réside dans la façon dont les acteurs publics vont gérer la reprise d’activité après une période d’isolement et de rythme de travail différents.
Il va falloir retrouver une dynamique collective en même temps qu’une forte reprise de l’activité. Ce qui va impliquer de réengager les individus dans des collectifs au sein desquels ils auront vécu des expériences contrastées. Comment profiter des expériences de chacun pour capitaliser sur celles-ci et les bonnes pratiques, sans perdre de temps ? Comment anticiper le fait qu’une nouvelle crise pourrait avoir lieu ? Et comment faire, cette fois, des plans de continuité d’activité un objet opérationnel utile permettant véritablement d’anticiper des zones de difficultés à venir ?
Il va donc falloir être très vigilant et accompagner cette dynamique et ne surtout pas considérer que ces deux mois de crise peuvent être effacés en quelques heures… Il sera d’ailleurs à cet égard intéressant de penser un peu différemment le dialogue social pour avoir une approche combinée afin de travailler ensemble à définir des modes de travail et une stratégie qui font du sens pour tous.
La Cour de cassation précise le 15 mars 2023 qu’en cas de CDD successifs, la faute grave du salarié de nature à justifier la rupture anticipée d’un contrat à durée déterminée doit avoir été commise durant l’exécution du contrat rompu, et non pendant un des contrats précédents. Peu importe la connaissance tardive par l’employeur des faits fautifs justifiant la rupture.
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Clarisse Jay,
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