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Pierre angulaire des formations professionnalisantes et chemin le plus court vers l’emploi pour les jeunes diplômés, le stage en entreprise, spécialité bien française, est lui aussi mis à mal par la crise du Covid-19. Plus que la "continuité pédagogique", la gestion des stages est d’ailleurs la première source d’inquiétude des étudiants, qui s’en servent souvent pour financer leurs études. Les établissements déploient donc des trésors d’ingéniosité et de souplesse pour inventer de nouvelles modalités de stage, décaler les calendriers, signer des centaines d’avenants aux contrats déjà établis, etc. Avec le spectre de la récession, c’est dorénavant sur l’accompagnement vers l’emploi que vont devoir se focaliser tous les efforts, pour que la génération diplômée en 2020 ne devienne pas la grande sacrifiée de la crise. Voici le 5e épisode de la série "Enseigner en temps confinés".
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Entretien de recrutement à l'Université de Bretagne Sud Université Bretagne Sud. Service Communication
"Les stages, c'est le vrai, vrai, vrai problème…", souffle Andreas Kaplan, directeur du campus de l’ESCP Business school à Berlin, lors de son entretien hebdomadaire avec AEF info, le 7 avril dernier. Dès le 24 mars, il faisait déjà observer que la question des stages était le principal souci des étudiants, bien avant les cours en ligne. "C’est un facteur de stress pour eux, ils pensent que trouver leur premier job va être très dur."
En école de commerce, le stage en entreprise est en effet un moment crucial, qui prend une grande place dans les maquettes pédagogiques : les stages représentent ainsi 24 semaines minimum pendant les 3 années d’études du bachelor de l’école parisienne, et 40 semaines minimum dans le PGE (1). Or, depuis un mois, beaucoup de stages sont devenus impossibles à réaliser : dans le meilleur des cas, les entreprises ont pu les transformer en stages "à distance" grâce au télétravail, quand elles ne les ont pas suspendus, reportés ou tout simplement annulés
Comment les établissements gèrent-ils cette situation elle aussi inédite ? Quelles solutions alternatives imaginent-elles ? Et comment valider, dans le cadre d’un cursus diplômant, une expérience professionnelle qui n’a pas eu lieu ?
pour les stages, un seul mot d’ordre : souplesse et flexibilité
Trois jours à peine après le début du confinement, le 19 mars, la Dgesip mettait en ligne ses recommandations aux établissements d’ESR en matière de stages (lire sur AEF info), signe que le sujet était déjà considéré comme brûlant. Le 26 mars, c’était au tour de la CTI de donner ses "lignes directrices" aux écoles d’ingénieurs, les encourageant "à identifier au cas par cas les adaptations à mettre en œuvre" - pouvant aller "jusqu’à la neutralisation du stage" - et annonçant aussi "la suspension de la règle de 28 semaines minimum de stages pour l’obtention du diplôme pour les élèves ingénieurs actuellement en scolarité" (lire sur AEF info).
"nous avons commencé à accepter quasiment tout"
Toutes ces préconisations vont en fait dans le même sens : assouplir les conditions de stage, s’adapter au terrain, faire preuve de flexibilité. "Nous avons commencé à accepter quasiment tout", confie Andreas Kaplan, à l’ESCP BS. "Si le stage devait durer 12 semaines et qu’il n’en dure que 6, on valide. On accepte les stages humanitaires ou ouvriers : caissier en supermarché, cela apprend beaucoup ! Pour ceux qui n’ont pas de piste, nous mobilisons notre réseau d’alumni, même sous forme de stage en télétravail. En dernier recours, les étudiants pourront remplacer le stage par un travail d’analyse approfondi d’une entreprise de leur choix…" L’école a également proposé de valider comme stage en entreprise les engagements comme volontaires civils auprès du gouvernement pendant la crise du coronavirus, ou le fait de travailler à un projet de création d’entreprise avec un professeur tuteur.
À Burgundy SB, 40 % des étudiants ont vu leur stage suspendu ou rompu. La direction a contacté elle-même les entreprises ayant rompu un stage dès le début du confinement. "Dans certains cas, nous avons réussi à négocier le maintien du stage, mais il faudra régler la situation des autres, ceux qui n’en ont plus", indique Stephan Bourcieu, DG. Les jobs d’été pourraient compenser. À défaut, "on va demander aux étudiants de rédiger une note de synthèse, avec analyse de l’organisation et du secteur d’activité".
"À défaut de stage, on va demander aux étudiants de rédiger une note de synthèse, avec analyse de l’organisation et du secteur d’activité."
Stephan Bourcieu, DG de Burgundy SB
L’IUT de Sénart-Fontainebleau se penche lui aussi au "cas par cas" sur la situation de ses stagiaires, indique son directeur, Amilcar Bernardino. "Certains étudiants ont vu leurs stages interrompus, repoussés ou modifiés par le télétravail. Nous devons faire preuve de souplesse et nous adapter à chacun, le but étant évidemment de ne pas pénaliser les étudiants".
Quant aux stages à l’étranger, "dans le cas de leur annulation, nous allons proposer aux étudiants un stage en France", précise-t-il. "S’ils ont été décalés, de juillet à août à la place de mai-juin par exemple, il revient à l’étudiant de choisir s’il l’effectue ou non." À l’université de Caen, on dénombre quelque 250 stages programmés à l’étranger. L’université gère les demandes de remboursement des frais déjà engagés et "les équipes enseignantes imaginent des substitutions à ces stages souvent obligatoires dans les maquettes de diplôme".
quelques stages ont pu être maintenus dans des conditions particulières
Dans certains cas, des stages ont pu être maintenus, par exemple ceux qui ont basculé vers le télétravail. Une situation cependant "peu fréquente" à Aix-Marseille université, assure Lionel Nicod, VP formation : "Dans le DUT 'Techniques de commercialisation' où j’enseigne, seuls 10 étudiants sur 60 sont en stage en télétravail", illustre-t-il. "Beaucoup d’entreprises ont fermé et placé leur personnel en activité partielle. D’autres sont à 200 % dans leur activité, mais les conditions ne sont plus réunies pour effectuer un vrai stage. Il n’était pas question par exemple d’envoyer nos étudiants faire du remplissage de rayons dans la grande distribution."
À l’université de Bordeaux, le télétravail semble avoir été beaucoup plus prisé : en master 1 et 2, où les stages étaient déjà engagés au moment de la crise, c’est la stratégie qui a été poursuivie et cela a été possible "en majorité" en sciences, témoigne Pascal Lecroart, directeur du collège de Sciences et technologie. Même constat en économie-gestion : le doyen de la faculté, Bertrand Blancheton, signale seulement un quart de stages interrompus.
des stages en ephad ou dans certains secteurs stratégiques
Alors qu’AMU avait édicté une "règle très simple" (les stages commencés ont été arrêtés et ceux qui devaient commencer n’ont pas débuté), trois autres exceptions, en plus du télétravail, ont émergé : les stages qui se déroulent dans les laboratoires participant à la lutte contre le Covid-19 ; ceux en lien avec la chaîne logistique mise en œuvre pour l’acheminement de matériel sanitaire ; et enfin, les stages prévus au sein des Ephad, dans le cadre de la formation managers de structures sanitaires délivrée par l’IMPGT, liste Lionel Nicod. "Les Ehpad nous ont d’ailleurs remerciés, car ils ont une vraie urgence à s’organiser. Évidemment, dans tous les cas, les responsables de formation se sont assurés de la mise en place de mesures de sécurité sanitaire suffisantes et les étudiants concernés ont toute liberté pour refuser d’y aller", précise-t-il.
"Nous pourrions mettre nos étudiants à disposition d’associations ou d’entreprises dans une logique d’aide"
Carole Deumié, directrice de Centrale Marseille
D’autres établissements ont dû répondre à des demandes d’entreprises de secteurs stratégiques, comme l’agroalimentaire ou la santé, à la recherche de stagiaires. Dans le cas du collège de Sciences et technologie bordelais, si des mesures de protection des salariés étaient mises en place, ces offres ont été acceptées, indique Pascal Lecroart, son directeur.
À Centrale Marseille, la directrice imagine de transformer les stages de découverte de l’entreprise des étudiants de première année, qui se déroulent en été, en "stages d’engagement sociétal" : "Nous pourrions mettre nos étudiants à disposition d’associations ou d’entreprises dans une logique d’aide", dit Carole Deumié.
revoir toutes les conventions
Quelle que soit l’option retenue, pour les équipes pédagogiques, ce travail de dentelle dans le suivi des stages représente une nouvelle source de travail supplémentaire. Un "boulot énorme", confirme-t-on à l’université de Bordeaux, car il faut à chaque fois rédiger des avenants aux conventions avec les entreprises - soit 500 à 600 à l’échelle de la seule faculté d’économie-gestion - mais aussi contacter individuellement chaque maître de stage pour "contrôler que cela se passe bien" et trouver un plan B en cas de désengagement d’une entreprise d’accueil.
activités de substitution : l’imagination en action
Quand le maintien des stages s’avère impossible dans les conditions de distanciation sociale actuelles, il faut passer à un "plan B". Par exemple en les remplaçant par des "activités de substitution".
des études de marché…
"En DUT Techniques de commercialisation, cela peut être une étude de marché sur l’entreprise où le stage devait se dérouler, et des sujets de type questionnaire à créer et à analyser afin de se rapprocher de l’activité professionnelle qui aurait dû être effectuée. Cette solution a été choisie de façon massive par l’IUT", indique par exemple le VP formation d’AMU.
Au Pôle Léonard-de-Vinci, à La Défense, une alternative originale au stage a été inventée. Les étudiants de 3e, 4e et 5e années et ceux du MBA de l’IIM (Institut de l’internet et du multimédia), l’une des trois écoles du Pôle, se sont ainsi vus proposer de travailler non pas pour des entreprises extérieures mais pour des "agences" créées au sein de l’établissement, et correspondant aux cinq axes métiers de l’IIM (Communication digitale et e-business, Développement web, Création et Design, Jeux vidéo, Animation 3D).
…à la création d’agences internes
"De début avril à mi-juillet, chaque 'agence' fait travailler, à distance, les étudiants sans stage de sa spécialité, sur des projets orientés entreprise", explique l’IIM dans un communiqué. "Ces projets sont proches de situations d’entreprise (réponse à des concours, mise en place de proof of concept, missions de content marketing, conception de chartes graphiques, réalisations de jeux vidéo ou de films 3D…). Pour chaque agence, un 'tuteur agence', intervenant de l’IIM, manage les étudiants comme s’ils étaient des collaborateurs d’entreprise en télé-travail. Il joue le rôle de tuteur d’entreprise et d’évaluateur."
Les étudiants seront ensuite évalués de la même manière qu’un stage classique, sur un rapport d’activité, une évaluation du tuteur agence en remplacement du tuteur en entreprise, une soutenance individuelle, en visio-conférence si nécessaire, précise aussi l’IIM. "En cas de stage finalement trouvé ou dont l’activité reprendrait, celui-ci reste prioritaire et les étudiants doivent alors privilégier et rejoindre leur entreprise d’accueil."
des options plus radicales : reporter ou neutraliser les stages
Mais parfois, les établissements ont préféré être plus radicaux encore, soit en reportant les stages quand c’était possible, soit en les "neutralisant" dans le cursus, comme le MESRI les y a autorisés de manière exceptionnelle.
Centrale Marseille a ainsi décalé les dates de stage de ses 180 étudiants de 3e année dans la majorité des cas. Mais les stages de fin de 2e année, qui devaient démarrer début juin et concernent quelque 300 étudiants, sont encore très peu nombreux à avoir fait l’objet d’une convention signée. "Le problème, c’est de trouver un sujet de stage, car les entreprises ne veulent pas s’engager pour le moment", souligne Carole Deumié. Cependant, la question n’est pas jugée critique : "On compensera plus tard, en allongeant un peu la formation à la fin. Par ailleurs, la CTI nous autorise à assouplir les conditions de diplomation liées aux stages."
À AMU, la solution du report des stages a été privilégiée pour les diplômes terminaux de licence professionnelle et de masters. En psychologie par exemple, la fin du calendrier universitaire est ainsi repoussée de septembre à décembre. Pour les étudiants de l’université de Bordeaux dont le stage a dû s’arrêter, l’établissement va modifier demain son calendrier universitaire afin de "prolonger l’année jusqu’au 31 décembre pour les fins de cycle (licence professionnelle, M2 et 2e année de DUT)", et permettre ainsi que stages et jurys de délibération puissent avoir lieu après l’été, précise la VP formation, Sandrine Rui.
La neutralisation du stage est la dernière option. Dans ce cas, la validation du semestre emporte les ECTS correspondant à l’UE. À AMU, elle est envisagée lorsque le stage est optionnel ou prend place en fin de 3e année de licence, "afin de permettre la poursuite d’études dès la rentrée de septembre". Même choix à l’université de Bordeaux : en L3, les étudiants n’en étaient qu’à la recherche de leur stage au moment où la crise est survenue, et le collège de Sciences et technologie a donc décidé de neutraliser l’UE correspondante.
La même question se pose pour le sort des alternants, dont l’année est basée sur le principe d’une période d’études suivie d’une période en entreprise. "Là c’est l’employeur qui décide, car on est dans le cadre d’un contrat de travail", indique Lionel Nicod, VP formation d’Aix-Marseille Université. "Mais nous avons veillé à ce que la continuité pédagogique soit maintenue pour tous, afin de garantir l’équité quelle que soit la situation de l’entreprise de l’alternant. Nous voulons éviter qu’un alternant se retrouve tout le temps en entreprise et n’ait pas le temps de suivre ses cours, contrairement à un alternant placé en activité partielle."
Pour Sébastien Chantelot, le directeur de La Rochelle BS, "les Opco se sont bien organisés" pour basculer en télétravail la partie de la formation qui se déroule dans l’entreprise, et la business school enregistre "peu de ruptures de contrat", dit-il. En revanche, il redoute davantage le "jour d’après" : "L’an prochain, du fait de la récession économique, la recherche d’alternance sera très dure pour les jeunes", pronostique-t-il.
la rentrée d’avril des apprentis a été maintenue par Excelia group
La Rochelle BS fait partie du groupe Excelia, qui dès l’annonce de la fermeture des établissements de formation (dont les CFA), a maintenu la rentrée de la première promotion de son tout nouveau CFA. Le 1er avril, la promotion d’apprentis "chargé(e) de promotion et marketing sportif" a ainsi fait sa rentrée en 100 % distanciel, explique le groupe par communiqué. "La capacité d’Excelia à basculer intégralement toutes ses formations en 100 % distanciel dès le début de la fermeture s’est appuyée sur une culture bien ancrée de ce mode d’apprentissage."
Le groupe pratique en effet le blended learning depuis 5 ans, qui constitue le mode d’apprentissage d’une partie des cours. "Les enseignants disposent ainsi d’une boîte à outils qui permet de scénariser les cours de façon adaptée au mode distanciel, de déposer les travaux des étudiants et d’organiser les classes virtuelles. Ce sont ces outils, compétences et l’agilité de chacun, qui ont permis de maintenir la rentrée des premiers apprentis du CFA nouvellement créé par Excelia Group."
quel accompagnement vers une insertion professionnelle incertaine ?
Alors que chaque université et chaque école gère au cas par cas le sort de ses stagiaires et de ses alternants pour les pénaliser le moins possible dans leur cursus académique, leurs marges de manœuvre risquent cependant d’être encore plus réduites quand il s’agira de les accompagner vers un marché de l’emploi en pleine récession.
"Le vrai enjeu qui est devant les écoles à vocation professionnalisante comme l’Ensad, ça va être l’insertion professionnelle de nos sortants dans un monde qui sera en train d’encaisser les effets de la crise économique", confirme Emmanuel Tibloux, directeur de l’école de design parisienne. "Dans l’industrie de la mode par exemple, ça risque d’être violent, sachant que c’est un secteur très dur en temps normal… Nous devons réfléchir à l’accompagnement que nous allons devoir mettre en place." Pour lui, "il est évident que cette crise aura un effet sur les diplômes". "Leur valeur sera pour une bonne part fonction de la capacité de nos étudiants à s’emparer de cette crise et à l’intégrer dans leur production."
à la rentrée, plus d’offres de stages que d’emplois ?
Le maintien des liens avec les entreprises va être crucial. À l’ESCP Business school, le service carrière propose par exemple des webinars avec ses entreprises partenaires, pendant lesquels des recruteurs viennent parler aux étudiants. "C’est très intéressant, c’est quelque chose qu’il faudra conserver plus tard", estime d’ailleurs Félix Heumann, étudiant allemand en 3e année de bachelor de l’ESCP sur le campus de Berlin.
"Depuis quelques jours, je sens les industriels plus ouverts à la mise en place de partenariats pour l’automne prochain, car ils commencent à se dire qu’ils vont avoir besoin de stagiaires…"
Andreas Kaplan, Directeur du campus de Berlin d’ESCP Business school
Andreas Kaplan, son directeur, signale d’ailleurs une évolution récente dans l’attitude des partenaires industriels de l’école : "Jusqu’à présent, ils étaient surtout en train d’annuler ou de reporter les sessions de formation continue - un segment qui va beaucoup souffrir de la crise, c’est certain", témoigne-t-il.
"Mais depuis quelques jours, je les sens plus ouverts à la mise en place de partenariats pour l’automne prochain, car ils commencent à se dire qu’ils vont avoir besoin de stagiaires…" En clair, en période de récession, les entreprises embauchent moins de salariés mais font davantage appel à la main-d’œuvre bon marché des stagiaires. "Entre 5 et 10 entreprises nous ont fait part récemment de leur intention d’augmenter leur visibilité auprès de nos étudiants sur le seul campus de Berlin : ce n’est pas un nombre négligeable. On sent qu’il y a plus d’ouvertures pour préparer la suite."
À suivre la semaine prochaine : Enseigner en temps confinés : Avec la suspension des cours jusqu'à l’été, le sprint devient un marathon (Chapitre IV/1)
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Sabine Andrieu,
journaliste