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Seulement 14,7 % des 68 présidents d’université sont aujourd’hui des présidentes. Autocensure, déficit de candidatures féminines du fait d’un vivier lui-même très masculin : autant de facteurs qui expliquent cette faible représentation. Toutefois, parmi les 15 établissements où une femme s’est présentée, 10 ont élu une femme. AEF info s’est entretenue avec les présidentes des universités Toulouse-I et Toulouse-II, ainsi qu’avec la présidente de l’AFDESRI, qui organise ce 17 janvier un séminaire sur le thème "Femmes de l’ESRI – Ni candidates, ni élues ?", et la présidente du réseau Jurisup.
Cette dépêche est en accès libre.
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Nous avons pris en compte les résultats de la dernière élection finalisée à la présidence de chaque université, cette vague se répartissant de 2016 à début janvier 2020. Aussi avons-nous pris en compte les élections d’Éric Berton à Aix-Marseille (lire sur AEF info), Yacine Lakhnech à Grenoble Alpes (lire sur AEF info) et Jeanick Brisswalter à Nice (lire sur AEF info). Ces scrutins ont été finalisés début janvier 2020. En revanche, dans le cas de Toulouse-III, le scrutin actuel étant toujours en suspens, nous avons pris en compte l’élection précédente de Régine André-Obrecht fin août 2019, en remplacement de Jean-Pierre Vinel, atteint par la limite d’âge (lire sur AEF info).
Notre champ d’étude englobe 68 universités : nous n’avons pris en compte ni les 3 universités de technologie, ni le CUFR de Mayotte, ni l’INU Champollion. Outre l’issue du vote, nous avons repris en détail, à partir des dépêches d’AEF info, le nombre et le sexe des candidats déclarés et effectifs au moment de l’élection. Ne sont donc pas comptabilisés les candidats ayant fait un dépôt officiel mais qui se sont retirés avant la tenue du CA votant pour le président.
Lors des dernières élections finalisées pour la présidence de chaque université, 15 établissements sur 68 ont compté au moins une femme candidate à ce poste. Autrement dit, dans trois quarts des universités françaises, les candidats étaient exclusivement des hommes. Lorsqu’elles se présentent toutefois, les femmes remportent les suffrages dans les deux tiers des cas : 10 établissements parmi les 15 concernés ont en effet élu une femme à leur tête.
En nombre de personnes physiques cette fois, sur l’ensemble des candidats à la présidence, 13,6 % étaient des femmes. Cette proportion progresse très légèrement lorsque l’on regarde le poids des femmes parmi les élus : elles sont alors 14,7 %. Il n’y a donc pas de déperdition lors de l’élection.
"C’est encourageant. Les femmes, quand elles sont candidates, arrivent à se faire élire", souligne Sophie Béjean, présidente de l’AFDESRI. Cette association organise ce vendredi 17 janvier un séminaire sur le thème "Femmes de l’ESRI – Ni candidates, ni élues ?". Comme en politique ou dans les grandes entreprises, "quand elles y vont, elles sont plus sûres d’elles que les hommes. Elles ne se lancent que si les chances de l’emporter sont fortes", ajoute la rectrice de Strasbourg.
Pour féminiser cette fonction, l’enjeu se situe donc en amont : si plus de femmes se portent candidates, plus de femmes sont susceptibles d’être élues. L’un des freins à lever reste l’autocensure, selon Sophie Béjean. "On se dit qu’on n’aura pas l’expérience, pas la compétence… Ou l’on s’interroge sur l’équilibre vie privée et vie familiale. Des questions que les hommes ne se posent pas ainsi, d’emblée", poursuit l’ancienne présidente de l’université de Bourgogne de 2007 à 2012.
"Qu’il y ait si peu de femmes n’est pas normal", estime Emmanuelle Garnier, présidente de l’université Toulouse-II. "Il y a tout un conditionnement socio-culturel sur les représentations des fonctions prétendument masculines ou féminines. Les femmes mesurent davantage leurs capacités à faire quelque chose avant de se lancer."
Directrice depuis 2011 de l’équipe d’accueil LLA-CREATIS (lettres, langages et arts, création, recherche, émergence en arts, textes, images, spectacle), elle retrace son parcours : "J’ai pris mon temps pour mesurer les choses, notamment car j’avais déjà vécu une campagne. C’est une plateforme électorale qui m’a fait une proposition et m’a sollicitée pour briguer la présidence [les listes "Ensemble pour l’université, qui avaient recueilli 11 des 28 sièges au conseil d’administration lors du scrutin des 7 et 8 novembre 2018]. Je voulais qu’il existe un vrai choix dans mon camp, avec plusieurs candidatures. Je ne me pose pas les questions en termes 'homme ou femme', mais en termes de collectif."
L’impact de l’alternance femmes-hommes introduite dans les listes en 2013
Depuis 2013, une mesure introduite dans le code de l’éducation et précisée dans le décret du 23 décembre 2013 dispose que les listes se présentant aux suffrages pour composer le CA des universités doivent alterner femmes et hommes. C’est un vivier potentiel plus grand qui devrait en toute logique fournir davantage de femmes candidates à la présidence : bien que le cadre réglementaire n’impose pas d’être membre du CA pour être élu à la présidence d’une université, c’est souvent le cas en pratique.
D’après les premiers résultats d’une enquête lancée par le réseau Jurisup, présidé par Delphine Gassiot-Casalas, la part des femmes qui siègent dans les CA d’université est passée de 32,3 % avant 2013 à 47 % après l’introduction de la mesure. "C’est une progression substantielle. Car leur part augmente au sein de CA dont la taille augmente aussi, puisque leur effectif moyen est passé de 30 à 36 dans le même temps", ajoute-t-elle.
L’essentiel est d' "être visible et d’avoir déjà occupé des responsabilités, avant de se porter candidate", selon Delphine Gassiot-Casalas, par ailleurs directrice des affaires juridiques de l’université de Bordeaux. Sophie Béjean partage cette observation. "On ne devient pas candidate à la présidence d’une université directement, il y a des paliers, des expériences de responsabilité comme la direction de composante ou de laboratoire." L’image bien connue du plafond de verre se dessine. Ou plutôt un "entonnoir" se forme, au fil des progressions de carrière, selon elle. Progressions qui, souvent, s’arrêtent à des postes de numéro deux "où les femmes se cantonnent, ou bien où on les cantonne. Voyez, on compte de nombreuses VP du CA ou VP recherche… mais peu de présidentes d’université (lire sur AEF info)." AEF info a d’ailleurs consacré une précédente dépêche à la part des femmes parmi les VP d’université (lire sur AEF info).
À Toulouse-I, Corinne Mascala est bien passée par la case "VP du CA", mais elle ne s’y est pas arrêtée. Pourtant, "ma carrière de professeur d’université ne me destinait pas à l’administration", raconte la présidente de cette université à AEF info. "Je suis prof dans l’âme, j’enseigne d’ailleurs toujours le droit… Mais en 2008, j’ai mis un pied dans l’administration. Le président de l’époque voulait mettre en place un système d’évaluation des enseignements et m’a proposé de me charger de cette fonction. J’étais déjà directrice de master et je me suis retrouvée chargée de mission, puis VP en charge de la démarche qualité. Quand il a été réélu en 2012, il m’a proposé de devenir VP du CA. C’est en forgeant qu’on devient forgeron. J’y ai pris goût !" sourit-elle. Élue présidente en 2016, elle brigue un nouveau mandat en 2020.
À ses yeux, l’une des clés réside dans la féminisation du corps des professeurs d’université, corps dont elle est issue, tout comme Emmanuelle Garnier à Toulouse-II. Car "les présidents sont souvent issus de ce corps, bien plus que des maîtres de conférences, où les femmes sont plus nombreuses".
Les chiffres du MESRI confirment cette distorsion. "En 2014, davantage d’enseignants-chercheurs hommes que femmes composent la population des universitaires : 62 % contre 38 %. Les femmes constituent 43 % des MCF contre 24 % des PU", selon les données de la DGRH reprises dans une analyse du MESRI sur la parité parmi les EC, en septembre 2016.
Quelles élections gagnent-elles ?
Une fois qu’elles se portent candidates, contre quelle configuration d’adversaires les femmes remportent-elles les suffrages ? Dans 5 cas sur 10, il s’agit de scrutins où leur candidature était unique, lors du vote décisif. Chez les élus masculins, cette proportion est la même : un président élu sur deux était le seul candidat déclaré. Les femmes élues dans ces conditions sont :
Dans l’autre moitié des cas, une femme s’est imposée dans une situation de concurrence. Concurrence à 100 % féminine à Bordeaux Montaigne, où Hélène Velasco-Graciet a battu une autre candidate, Aurélia Gaillard. Concurrence mixte dans les 4 autres cas. Il s’agit de :
L’impact de la LRU sur la politisation des élections, plus "rudes" pour les femmes
La plupart du temps, la campagne a été "rude". Le terme revient dans la bouche des interlocutrices qu’AEF info a interrogées à ce sujet. Quand le candidat est une femme, elle fait face à des "attaques plus personnalisées qu’un homme", juge la présidente de l’AFDESRI.
À Toulouse-I, en 2016, "c’était la première fois qu’il y avait une candidate", se souvient Corinne Mascala. "Cela donne une tonalité différente à la campagne, comme en politique d’ailleurs. On ne regarde pas notre programme, comme on le ferait avec un candidat masculin. On se dit : 'C’est une femme, est-ce qu’elle aura les épaules ?' J’ai eu le sentiment de devoir faire mes preuves deux fois plus que si j’avais été un homme. Les attaques n’étaient jamais frontales, mais quelques lettres anonymes ont traîné."
La loi LRU a contribué à la "politisation accrue" de la campagne, estime Sophie Béjean. "Avant, le président était élu par les membres des trois conseils (CA, CR, Cevu). Cela n’avait pas lieu en même temps que l’élection des conseils, on élisait parfois le président sans renouvellement des instances. L’assemblée était grande et composite." Depuis 2007, les candidats sont élus de manière concomitante au CA, par le CA, avec un système de prime majoritaire. La liste en tête chez les professeurs (collège A) ou les MCF (collège B) obtient davantage de sièges. "Elle est presque sûre de gagner si elle obtient les collèges A et B. Le combat est plus politisé et il y a moins de candidats qu’avant, globalement", pose la présidente de l’AFDESRI.
Les configurations à trois candidats ou plus sont en effet rares. Au total, seules 12 universités se situaient dans ce cas lors de leurs dernières élections. Aucune femme n’était candidate dans un scrutin opposant quatre prétendants, à Paris-XIII et en Lorraine. En revanche, une femme était bien candidate dans un scrutin opposant trois prétendants : à Lyon-II, Nathalie Dompnier s’est imposée face à deux hommes.
La visualisation ci-dessous donne à voir 4 groupes d’établissements, selon le nombre de candidats s’étant présentés à l’élection (1, 2, 3 ou 4 candidats). Chaque point rouge correspond à une élection remportée par une femme, dont le nom et la date de l’élection s’affichent au survol.
Le scrutin à l’université Toulouse-III Paul-Sabatier est toujours en suspens à l’heure où nous écrivons (lire sur AEF info). Le 2e CA convoqué ce lundi 13 janvier n’a pas permis de départager les candidatures de Myriam Carcassès et de Jean-Marc Broto pour la présidence de l’établissement. Pour rappel, les listes de la VP sortante chargée du numérique sont arrivées en tête dans les trois conseils centraux puis se sont rapprochées de celles Serge Cohen. Celles de l’ancien directeur de la FSI se sont rapprochées de celles d’Élie Serrano, auxquelles s’ajoutent des élus Biatss et étudiants. Un nouveau CA est prévu le 20 janvier. Une cinquième liste, celle d’Éric Crubézy, s’était présentée, sans obtenir de siège au CA (lire sur AEF info).
"Plus il y aura d’exemples, plus l’envie peut venir à d’autres femmes"
Nombre d’interlocutrices contactées par AEF info croient à la vertu de l’émulation, pour féminiser les candidatures à la présidence des universités. "Plus il y aura d’exemples de femmes présidentes, plus l’envie peut venir à d’autres, qui se diront que c’est possible", juge Corinne Mascala. Celle-ci ne s’attend pas à un "raz-de-marée féminin" pour la vague de scrutins en 2020. "Certaines n’auront toujours pas d’appétence pour ces fonctions ou pas envie de faire les sacrifices qui vont avec les responsabilités".
L’AFDESRI a mis en place des actions visant à donner confiance aux potentielles candidates à ces fonctions ou à d’autres postes à responsabilité. Notamment un système de mentorat par des femmes seniors, "une forme de soutien pour l’évolution des carrières qui passe par des exemples inspirants", explique Sophie Béjean.
Les mots comptent aussi. "Depuis mon élection, j’insiste pour être 'madame la présidente'", témoigne Corinne Mascala. "Mais certains continuent de m’appeler 'madame le président', surtout parmi les plus anciens. Il reste une certaine image de la fonction." La féminisation du langage n’est pas une "petite bataille dérisoire", corrobore Emmanuelle Garnier, très attachée à l’écriture inclusive. "Nous l’employons dans nos communiqués. C’est très symbolique, l’addition de petites choses contribue à modifier les représentations." Elle avance ainsi une proposition pour la CPU, où "l’accès à la parole pour les rares femmes de l’assemblée reste plutôt difficile". "Il faudrait l’appeler Conférence des président.e.s d’université."
Delphine Gassiot-Casalas suggère, pour sa part, une autre piste : "Faire preuve d’initiative dans la rédaction des statuts. La loi de 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche impose l’alternance homme/femme dans la composition des listes pour les conseils centraux. Elle couvre aussi, pour les composantes, les UFR, les écoles et instituts (au sens de l’article L713.9). Elle ne couvre pas d’autres composantes (laboratoires, départements de recherche, collégiums…). Mais rien n’empêche d’aller plus loin." Cette alternance sur les listes a ainsi été implémentée à Bordeaux, dans toutes les instances. "Et la part des femmes a augmenté dans tous les conseils. Nous avons la main là-dessus."
Selon un décompte réalisé par la rédaction Enseignement supérieur, 50 établissements organisent leurs élections entre janvier et décembre 2020, soit plus des deux tiers. Au total, 21 auront, quoi qu’il arrive, un nouveau président ou une nouvelle présidente, leurs présidents sortants ayant déjà effectué deux mandats ou étant atteints par la limite d’âge. Parmi ces 21 sortants, figurent deux femmes : Christine Gangloff-Ziegler (Mulhouse) et Régine André-Obrecht (Toulouse-III).
À l’inverse, pour 30 établissements, le président peut se représenter à un 2e mandat. Parmi ces 30 "renouvelables", on compte 6 femmes : Hélène Vélasco-Graciet, Nathalie Dompnier, Isabelle Huault, Annick Allaigre, Corine Mascala et Sylvie Retailleau.
Pour le reste des universités, les élections ont eu lieu en 2019 ou auront lieu en 2021 ou 2022. Parmi les 10 universités ayant procédé à l’élection de leur président en 2019, huit d’entre eux ont été réélus après un premier mandat ou ont pris la tête d’un nouvel établissement expérimental (Abdelhakim Artiba à Valenciennes et Christine Clerici à l’université de Paris), dont deux femmes. Deux universités ont à leur tête un nouveau président (aucune femme n’ayant été désignée).
"Les femmes sont sous-représentées, minorées, invisibles" dans l’ESR, souligne Camille Froidevaux-Metterie, professeure de sciences politiques et chargée de mission "égalité diversité" de l’Urca, en ouverture du séminaire "numéro deux-numéro une ?", organisé le 18 janvier 2019 au MESRI par l’AFDESRI et dont la clôture était assurée par Frédérique Vidal. Le réseau a présenté durant cette matinée plusieurs actions pour briser ce plafond de verre, notamment la mise en place de marrainage et de sessions de formation.
Créée il y a 4 ans, l’AFDESRI lance son site internet, www.afdesri.fr, annonce l’association dans un communiqué, lundi 2 juillet 2018. L’AFDESRI, présidée par la rectrice de Strasbourg Sophie Béjean, entend ainsi "fédérer ses membres, mieux faire entendre sa voix, développer son soutien après des femmes dirigeantes de l’ESRI et leur donner plus de visibilité". Rappelant que seuls 12 % des présidents d’université sont des femmes, l’association fait également part de sa volonté de "renforcer son action tant auprès des femmes dirigeantes qu’auprès des ministères". "Outre les séminaires, les rencontres avec les ministères concernés et la participation aux actions des réseaux féminins de la fonction publique, l’AFDESRI organise des formations et favorise réseaux et contacts entre les femmes", précise l’association.
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Yanis Chouiter,
journaliste