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Quel est le degré de sévérité du Cneser disciplinaire par rapport aux sanctions prononcées en première instance dans les établissements ? Quelles sont les chances d’obtenir un sursis à exécution ? Le dépaysement des affaires a-t-il été appliqué depuis sa formalisation en 2015 ? Alors que le Conseil constitutionnel a validé la réforme de cette juridiction d’appel (lire sur AEF info), AEF info revient en chiffres sur les décisions qu’elle a rendues pour les étudiants et les enseignants, depuis 10 ans, après un premier point sur son activité et les personnes concernées (lire sur AEF info).
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Nous avons consulté les comptes rendus des décisions du Cneser disciplinaire publiés au Bulletin officiel du MESRI, entre le 1er janvier 2008 et le 1er juillet 2019. Selon l'article R232-42 du code de l’éducation, toute décision du Cneser disciplinaire doit être publiée au BO.
48,6 % des décisions confirment la sanction d’origine
Le Cneser allège-t-il souvent les sanctions prises en première instance ? Oui. À l’aune de l’échelle des sanctions applicables (voir encadré ci-dessous), 42,3 % des décisions de jugement au fond allègent la sanction d’origine, soit 228 décisions sur 539
262 décisions confirment la sanction d’origine, soit 48,6 % des décisions sur le fond. Il arrive que cette confirmation de sanction soit concomitante à une annulation de la décision en première instance pour irrégularité de la procédure par exemple : contestée dans la forme, la sanction prononcée en première instance est toutefois confirmée sur le fond.
Enfin, 49 décisions durcissent la sanction d’origine. Cela représente 9,1 % des 539 décisions sur le fond des affaires.
Les sanctions applicables aux enseignants-chercheurs (art. L. 952-8 du code de l’éducation) sont :
Les personnes à l’encontre desquelles a été prononcée la 6e ou la 7e sanction peuvent être frappées à titre accessoire de l’interdiction d’exercer toute fonction dans un établissement public ou privé, soit pour une durée déterminée, soit définitivement.
Les sanctions applicables aux autres enseignants (art. L. 952-9 du code de l’éducation) sont :
Enfin, les sanctions applicables aux étudiants (Art. R. 811-11 du code de l’éducation) sont :
"À moins de considérer que les universités sont très dures en première instance, ces chiffres semblent traduire une certaine clémence", commente Delphine Gassiot-Casalas, présidente de Jurisup et DAJ de l’université de Bordeaux.
Dans une interview à AEF info le 5 juillet dernier, Mustapha Zidi, président du Cneser disciplinaire depuis 2011, et ce jusqu’aux très prochaines élections du 17 septembre 2019, nuance les accusations de laxisme : "Sauf 'appel incident' dûment motivé par l’établissement, nous ne pouvons pas aggraver la sanction prononcée en première instance. Or les établissements le font très rarement, faute sans doute de maîtriser suffisamment bien la procédure. C’est à eux de se donner les moyens !"
En effet, hormis lorsque l’autorité académique, qu’il s’agisse du rectorat ou de l’établissement, formule un "appel incident" pour manifester qu’elle maintient ses poursuites face au recours d’un étudiant ou d’un enseignant auprès du Cneser disciplinaire contestant la décision prise en première instance, la sanction infligée par la section disciplinaire locale ne peut en principe être aggravée en appel. Le Conseil d’État avait d’ailleurs retoqué une décision du Cneser disciplinaire en 2013 sur ce fondement (lire sur AEF info).
"Ce que l’on juge, c’est le dossier. Si les preuves ne sont pas présentes, ou que personne ne peut témoigner… nous dépendons des données que l’on nous fournit", ajoute par ailleurs Mustapha Zidi.
En septembre 2018, le Cneser a prononcé la révocation d’un professeur de l’université de Poitiers poursuivi pour harcèlement psychologique et sexuel de plusieurs étudiantes, alourdissant la sanction d’origine (l’université ayant fait un appel incident). Le professeur s’est depuis pourvu devant le Conseil d’État (lire sur AEF info).
Deux autres "feuilletons" ont vu des révocations prononcées. Après huit ans de procédure, le Cneser a confirmé en mai 2017 la révocation de l’ancien président de l’université de Toulon, initialement prononcée en mai 2010 puis annulée par le Conseil d’État en juin 2015, mais l’a amoindrie, autorisant l’enseignant-chercheur à exercer dans un établissement public ou privé. L’académie de Nice avait engagé les poursuites après la découverte d’un dispositif illégal d’inscription d’étudiants étrangers, en particulier chinois, et un trafic de diplômes (lire sur AEF info).
Quant à l’affaire du "Ceregmia", où l’ex-directeur du Centre d’étude et de recherche en économie, gestion, modélisation et informatique appliquée de l’université des Antilles, et cinq autres personnes avaient été mis en examen pour "détournement de fonds et escroquerie aux subventions en bande organisée", le Cneser disciplinaire a fini par prononcer en septembre 2018 la révocation du directeur du laboratoire, après une annulation par le Conseil d’État pour faute de procédure (lire sur AEF info).
Dans deux cas en revanche, concernant tous deux un professeur de l’université de Nouvelle-Calédonie, la révocation décidée en première instance a été amoindrie par la juridiction nationale, et remplacée par cinq ans d’interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement et de recherche dans tout établissement public d’enseignement supérieur, assortie de la privation de la totalité du traitement :
40 % des demandes de sursis à exécution sont accordées
S’agissant des demandes de sursis à exécution (art. R232-34 du code de l’éducation), qui représentent un cinquième du contentieux de l’instance, un peu plus de la moitié ne sont pas accordées. Sur les 187 requêtes recensées en la matière sur la période, le Cneser disciplinaire a accordé un sursis à exécution dans 40 % des cas, soit 75 requêtes. Dans 53 % des cas, le sursis est rejeté et dans 6 % des cas, le sursis est irrecevable ou sans objet.
"Cela signifie que dans 40 % des cas, la juridiction d’appel a un doute sur la légalité de la décision rendue en première instance", relève la présidente de Jurisup. En effet, lorsqu’une sanction a été prononcée en première instance, et qu’il existe un moyen "sérieux et de nature à justifier l’annulation ou la réformation de la décision attaquée", le Cneser disciplinaire peut décider d’interrompre dans l’immédiat l’application de la sanction, en attendant de pouvoir juger sur le fond. Le sursis à exécution doit être demandé par une requête disjointe à l’appel.
Bien que l’appel soit "suspensif" – c’est-à-dire que l’application des sanctions prononcées en première instance est interrompue dès lors que la personne poursuivie fait appel – les universités peuvent assortir la sanction d’origine d’une application "immédiatement exécutoire nonobstant appel". Une demande de "sursis à exécution" doit alors être demandée de manière séparée de la part de l’auteur accusé des faits pour que la sanction soit interrompue, lorsqu’il demande au Cneser disciplinaire de rejuger l’affaire.
À la lecture des décisions publiées au Bulletin officiel, il n’est toutefois pas aisé de retracer les décisions finales au fond afin de les mettre en regard des sursis à exécution prononcés au préalable, du fait de l’anonymisation des personnes mises en cause.
12 dépaysements depuis 2015
Le dépaysement a été formalisé par un décret du 28 janvier 2015 : "S’il existe une raison objective de mettre en doute l’impartialité de la section disciplinaire initialement saisie dans son ensemble, l’examen des poursuites peut être attribué à la section disciplinaire d’un autre établissement" (art. R712-27-1 du code de l’éducation). La demande peut être formée par la personne poursuivie, par le président de l’université, par le recteur d’académie ou par le médiateur académique, au Cneser disciplinaire, et doit "indiquer avec précision les motifs du renvoi et être accompagnée de tous les éléments utiles permettant de le justifier". Un texte réglementaire, actuellement à l’étude, pourrait rendre automatique le dépaysement pour toutes les affaires de harcèlement sexuel.
Depuis le décret de 2015, le dépaysement a été accordé 12 fois, et refusé une fois en 2016 à un professeur de l’IEP d’Aix-en-Provence, dont les arguments n’avaient pas convaincu les juges.
Lors du dépaysement demandé par un professeur de l’université de Rennes-II poursuivi pour violence physique contre un étudiant, et accordé par le Cneser disciplinaire en avril 2019, l’appartenance syndicale des membres de la section disciplinaire locale avait notamment été pointée par l’avocat du professeur, pour mettre en doute leur impartialité.
Toujours en 2019, dans une affaire de harcèlement sexuel à l’ UTBM, c’est le directeur de l’établissement qui avait demandé à être dessaisi, "eu égard à la proximité entre l’agent mis en cause et l’ensemble des membres de la section disciplinaire, compte tenu de la taille de l’établissement". Le président de l’université Bretagne-Sud avait fait une demande similaire, dans une affaire d’atteinte à l’intégrité scientifique reprochée à un professeur, craignant "que cette affaire ne puisse être jugée en interne dans la sérénité et avec l’impartialité nécessaire, l’université Bretagne-Sud [étant] un établissement de petite taille".
Un cas emblématique en 2018 a été celui du doyen de l’UFR droit et science politique à Montpellier, poursuivi aux côtés d’un professeur en histoire du droit pour avoir commandité des violences par un groupe d’individus cagoulés et armés contre des étudiants mobilisés contre la loi ORE, qui occupaient un amphi. La section disciplinaire de Sorbonne Université, devant laquelle l’affaire a été dépaysée, a respectivement prononcé en février 2019 une interdiction d’enseigner pendant cinq ans, et une révocation.
Avant que le décret de 2015 ne vienne encadrer cette pratique, des dépaysements ad hoc ont pu être prononcés par le Cneser disciplinaire : cela a été le cas pour l’ancien président de l’université de Toulon poursuivi en 2010 pour dispositif illégal d’inscription d’étudiants chinois et trafic de diplômes. Son examen par la section disciplinaire locale aurait été difficile : le recteur de Nice s’en était directement remis à l’instance nationale, qui avait renvoyé l’affaire devant la section disciplinaire de l’université Paris-IV.
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Yanis Chouiter,
journaliste