En plus des cookies strictement nécessaires au fonctionnement du site, le groupe AEF info et ses partenaires utilisent des cookies ou des technologies similaires nécessitant votre consentement.
Avant de continuer votre navigation sur ce site, nous vous proposons de choisir les fonctionnalités dont vous souhaitez bénéficier ou non :
Le rôle de la branche en matière de négociation a été profondément modifié par les ordonnances de 2017. L’un des enjeux essentiels porte sur les salaires. La définition du salaire minimum hiérarchique reste l’apanage de la branche. En revanche, les primes sont ouvertes à la négociation d’entreprise. Christophe Frouin, avocat au cabinet Fidere, analyse, dans une tribune pour AEF info, la marge de manœuvre des branches pour inclure des primes dans les salaires minima
Cette dépêche est en accès libre.
Retrouvez tous nos contenus sur la même thématique.
"Le rôle des branches en matière de négociation a été profondément modifié par les ordonnances du 22 septembre 2017. Le législateur a souhaité revoir l’articulation entre la négociation de branche et la négociation d’entreprise en privilégiant ce dernier niveau.
L’un des enjeux essentiels porte sur les salaires. Le salaire minimum hiérarchique reste avec les classifications l’apanage des négociateurs de branche. En revanche, les compléments de salaire de branche (primes, majorations et indemnités conventionnelles) sont ouverts à la négociation d’entreprise, sans possibilité de restriction imposée par la branche, sauf pour les primes pour travaux dangereux ou insalubres. Par accord d’entreprise majoritaire, il est donc devenu possible de modifier voire de supprimer la plupart des primes conventionnelles : prime de vacances, primes d’ancienneté, prime de panier, treizième mois…
Définition du salaire minimum par la branche
En réaction, les partenaires sociaux de certaines branches se sont engagés dans des négociations afin de définir les éléments de rémunération à inclure dans le salaire minimum hiérarchique de branche. L’objectif est d’y intégrer certaines primes afin de les faire échapper à une possible remise en cause par accord d’entreprise.
Dès le mois d’octobre 2017, les partenaires sociaux des transports routiers ont signé un protocole d’accord intégrant la prime de 13e mois ainsi que des éléments de rémunération visant à compenser le travail de nuit, les jours fériés et les dimanches dans les éléments constitutifs des "salaires minima hiérarchiques". Le ministère du Travail a alors considéré que cet accord s’inscrivait dans la logique des ordonnances, n’ouvrant ainsi "aucune brèche" dans leur application.
Cette position et le fait que cet accord avait été signé sous la double égide du ministère du Travail et de celui des Transports ont pu laisser penser que les partenaires sociaux de branche disposaient d’une grande liberté de manœuvre.
Une série d’arrêtés d’extension publiés au Journal officiel le 4 juin 2019 a vocation à recadrer les choses et à refroidir les ardeurs. Dans ces textes, le ministère a formulé des réserves d’extension ou a exclu purement et simplement les dispositions contraires à la nouvelle articulation entre accords de branche et d’entreprise, "compte tenu du nouvel ordonnancement des niveaux de négociation" (lire sur AEF info).
Qu’est-ce que le salaire minimum hiérarchique ?
La position de l’administration du travail est claire. Elle retient une interprétation restrictive des textes légaux qui ne permet pas d’intégrer des primes dans le salaire minimum hiérarchique. Celui-ci est constitué uniquement du salaire de base. Comme le précise l’un des arrêtés, "dès lors que la rémunération minimale garantie comporte une assiette qui intègre des compléments de salaire (primes, majorations) et qu’elle constitue un montant minimum qui s’impose, les stipulations conventionnelles de branche ne peuvent avoir pour objet et légalement pour effet de faire obstacle à la conclusion d’accords d’entreprise sur le fondement des dispositions de l’article L. 2253-3 du code du travail et dans les domaines tels que définis par ces mêmes dispositions".
Il n’est donc pas permis d’intégrer à la définition du salaire minimum hiérarchique des majorations de salaire (pour heures supplémentaires par exemple ou pour tenir compte du forfait jour), des primes d’ancienneté, ou encore des primes de treizième mois.
Les cinq confédérations syndicales ne partagent pas cette analyse. Elles ont écrit à la ministre du Travail pour dénoncer ce qu’elles qualifient d’ingérence dans les négociations sur les salaires minima de nature à remettre en cause les fragiles équilibres des accords négociés (lire sur AEF info). Plusieurs d’entre elles ont annoncé leur intention de contester la non-extension des accords devant le juge administratif (lire sur AEF info).
L’atteinte à la liberté conventionnelle est-elle fondée ?
La notion de salaires minima hiérarchiques relevant de la compétence exclusive de la branche n’est pas clairement définie par le code du travail à l’article L. 2253-1, ni par d’autres dispositions qui y font référence (C. trav. articles L. 2241-1 et L. 2241-2-1 relatif à la négociation périodique sur les salaires et L. 2261-22 relatif au contenu d’une convention collective étendue).
Dans la circulaire du 22 septembre 2004 d’application de la loi du 4 mai 2004 qui consacrait déjà une certaine primauté de la branche sur l’accord d’entreprise, l’administration indiquait que la notion de salaires minima recouvre "les salaires minima hiérarchiques horaires ou mensuels et les salaires garantis minima mensuels ou annuels (RAG) correspondant aux grilles de classification fixées par la convention ou l’accord collectif de branche".
Cette définition vient d’être actualisée et précisée par la DGT :
La notion de salaires minima serait donc la même que celle de salaire au sens du SMIC, laquelle est plus circonscrite que celle de rémunération au sens où l’entendent d’autres dispositions légales telle que par exemple l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et qui englobe le salaire de base et ses accessoires.
Pour ne rien faciliter, la Cour de cassation considère que la définition du salaire minimum conventionnel doit, en principe, être donnée dans la convention collective. À défaut de précision, il est jugé que toutes les sommes perçues par le salarié en contrepartie ou à l’occasion du travail, y compris les primes, doivent être prises en compte pour apprécier le respect du minimum conventionnel (Cass. soc., 13 mars 2019, n° 17-21.151, lire sur AEF info).
En pratique, les situations sont très variables d’une branche à l’autre. Selon les cas, les minima garantis peuvent inclure l’ensemble des éléments de rémunération ou seulement le salaire de base et quelques éléments de salaires cités dans la convention collective.
S’agissant des accords litigieux, il faut relever que la plupart n’ont pas modifié la définition du salaire minimum conventionnel afin d’y intégrer des primes et accessoires. Ils ont réévalué les salaires minima tels qu’ils étaient définis par des accords antérieurs intégrant, parfois pour certaines catégories de personnels seulement, des primes et/ou des compléments. En ce sens, il est permis d’affirmer, comme le font les cinq confédérations syndicales, que les réserves et exclusions d’extension remettent en cause les équilibres des accords négociés.
Existe-t-il un risque de dumping social ?
Certains craignent que cette définition favorise le dumping social au détriment de l’emploi. C’est la raison pour laquelle il pourrait être soutenu que la définition du salaire minimum conventionnel doit relever de la liberté des partenaires sociaux en prenant appui sur la nouvelle définition légale des missions de la branche qui est de réguler la concurrence entre les entreprises relevant de son champ d’application (C. trav., art. L. 2232-5-1). Comment demander aux branches d’exercer leur mission régulatrice si elles n’ont pas les moyens juridiques d’imposer un même niveau de rémunération pour tous ?
"En même temps", les ordonnances prévoient la possibilité pour le ministère de refuser une extension pour des motifs d’intérêt général, tenant notamment au fait que l’accord porte une atteinte excessive à la libre concurrence ou au regard des objectifs de la politique de l’emploi (C. trav., art. L. 2261-25). Un rapport de l’OCDE de 2017 et un avis de l’Autorité de la concurrence du 11 juillet 2019 ont mis en évidence les effets pervers sur l’emploi et sur la concurrence que peut produire le système français de l’extension des accords de branche
Cela milite en faveur d’une conception restrictive de la notion de salaire minimum.
Incontestablement, les ordonnances du 22 septembre 2017 ont fait le choix de privilégier la négociation d’entreprise en restreignant fortement les domaines de primauté de la branche afin de libérer la compétitivité des entreprises. Dans cette perspective, une vision restrictive de la notion de salaires minima hiérarchiques s’avère cohérente.
Tous les accords ont-ils été traités de la même façon ?
Trois situations doivent être distinguées : les accords qui :
Quelles sont les conséquences pour ces branches ?
Avec les réserves et exclusions portées par les arrêtés, il devient difficile de déterminer le salaire minimum conventionnel qui s’impose aux entreprises dans les branches concernées. Cela devrait inciter les partenaires sociaux à clarifier la définition de leurs salaires minima.
En réaction, certaines branches pourraient être tentées de mettre en place des primes pour travaux dangereux ou insalubres (pour lesquels la branche peut verrouiller la négociation d’entreprise) en leur donnant une acception large (C. trav., art. L. 2253-2). Cependant, on peut penser que l’administration se montrera vigilante là aussi sur la définition.
Au-delà, ces arrêtés invitent les branches à redéfinir leur rôle et leur pratique. Désormais, leur mission n’est plus d’édicter la loi de la profession en y définissant la rémunération applicable selon la logique descendante d’un accord s’imposant au niveau inférieur. Elles doivent servir de norme de référence et fournir différents services aux entreprises qui relèvent de leur filière. C’est par l’utilité de leur action plutôt que par l’autorité de leurs accords qu’elles arriveront à réguler la concurrence dans le secteur d’activité en lui servant tout à la fois de phare et de socle conventionnel.
Et pour les entreprises ?
Sous réserve de ce qui pourrait être jugé sur ces arrêtés d’extension, il est clair désormais que les primes conventionnelles peuvent être mises en cause par accord d’entreprise majoritaire, y compris s’il est conclu selon des formes dérogatoires.
Cependant, la signature d’un tel accord n’est ni simple, ni évidente. Pourquoi des syndicats ou les salariés renonceraient-ils à un avantage financier conventionnel ?
Cela étant dit, une des possibilités est de proposer aux syndicats "un réexamen de certaines primes". Par exemple, une prime conventionnelle de vacances pourrait être remplacée par une autre prime ou par une augmentation du salaire de base. Dans une logique de "marketing social", certaines entreprises envisagent de redéfinir le salaire de base au niveau de l’entreprise en y intégrant l’ensemble des accessoires de salaire initialement prévu par la branche, de façon à rendre la rémunération plus lisible par le salarié.
Création de groupes fermés par accord
Il est également envisageable de signer un accord créant un groupe fermé. Les salariés en cours de contrat lors de la signature de l’accord continuent de bénéficier de la prime conventionnelle. Celle-ci n’est supprimée que pour les nouveaux embauchés.
Il est fréquent que des groupes fermés soient constitués lorsqu’un accord est mis en cause dans le cadre d’une opération de transfert d’entreprise (fusion, cession, scission). Depuis la loi El Khomri de 2016, le code du travail prévoit cette possibilité par la conclusion d’un accord de transition d’une durée de trois ans.
Dans les autres cas, la constitution par accord d’un groupe fermé pose la question du respect du principe d’égalité de traitement.
Respect du principe d’égalité de traitement
La jurisprudence considère, qu’en principe, la circonstance qu’un salarié soit engagé avant ou après l’entrée en vigueur d’un accord collectif ne suffit pas à justifier une inégalité de rémunération, sauf si l’objectif est de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l’entreprise lors de la mise en place de l’accord.
Par ailleurs, en matière d’égalité de traitement, la Cour de cassation dans son arrêt du 3 avril 2019 a refusé de généraliser la présomption de justification de toutes différences de traitement entre salariés opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs (lire sur AEF). Il n’est donc pas certain que la constitution de groupe fermé soit possible pour remettre en cause une prime conventionnelle. La généralité des principes issus du droit l’Union européenne visés dans l’arrêt du 3 avril 2019 pourrait faire échec à l’admission des différences de traitement aboutissant à maintenir des primes à certains salariés et pas à d’autres."
Christophe Frouin, avocat associé, Fidere avocats
Dans un courrier commun adressé à la ministre du Travail mercredi 10 juillet 2019, les cinq confédérations syndicales défendent la liberté de négociation des partenaires sociaux de branche. Les cinq centrales rappellent "le rôle fondamental des branches professionnelles" dans la définition d’un "socle minimum de droits pour les salariés d’un même secteur d’activité", et fustigent "l’ingérence de l’État" dans la détermination de la structure des salaires minima hiérarchiques.
Les partenaires sociaux de branche peuvent-ils retenir une définition souple des salaires minima hiérarchiques, prenant en compte par exemple certaines primes, et l’imposer aux entreprises du secteur ? La question, posée depuis l’entrée en vigueur des ordonnances du 22 septembre 2017, est désormais tranchée. Dans plusieurs arrêtés d’extension publiés depuis mardi 4 juin 2019, le ministère du Travail fait une interprétation stricte de la primauté de la branche : les partenaires sociaux, à ce niveau, ne peuvent pas "verrouiller" les dispositions relatives aux accessoires de salaire.
La Cour de cassation écarte le 3 avril 2019 la généralisation d'une présomption de justification de toutes différences de traitement entre salariés opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs. En effet, dans les domaines où est mis en œuvre le droit de l’Union, cette présomption se heurterait aux règles de preuve propres au droit de l’UE. Elle serait "contraire" à celui-ci "en ce qu’elle ferait reposer sur le seul salarié la charge de la preuve de l’atteinte au principe d’égalité et en ce qu’un accord collectif n’est pas en soi de nature à justifier une différence de traitement".
Pour vérifier si le salaire versé à un pilote d’hélicoptère respecte le minimum conventionnel, il convient de prendre en compte toutes les sommes versées en contrepartie du travail, en l’absence de dispositions conventionnelles contraires. Dès lors que la convention collective n’exclut du calcul de la rémunération à comparer avec le salaire minimum garanti ni le 13e mois ni les primes horaires de vol, ces deux éléments de salaire doivent être pris en compte pour vérifier le respect du minimum conventionnel. C’est ce que juge la Cour de cassation dans un arrêt publié du 13 mars 2019.
Vous souhaitez contacter
,
journaliste