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"C’est un bon début", mais "il faut aller beaucoup plus loin", déclare à AEF info Delphine Gassiot Casalas, présidente de Jurisup et DAJ de l’université de Bordeaux, mardi 25 juin 2019, à propos de la réforme prévue du Cneser disciplinaire. Elle trouve en effet que le fait de confier la présidence du Cneser disciplinaire à un conseiller d’État, réforme introduite par amendement gouvernemental dans le projet de loi Fonction publique est "une décision courageuse". Cela ne suffira toutefois pas à régler l’ensemble des problèmes des procédures disciplinaires relatives aux enseignants-chercheurs et aux étudiants, souligne-t-elle. Elle émet différentes propositions (élargissement de la saisine, multiplication du nombre d’élus dans les instances locales, décharges, procédure de plaider-coupable…), espérant que la concertation bientôt lancée par le MESRI permettra d’y répondre.
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Delphine Gassiot Casalas, présidente de Jurisup
AEF info : Êtes-vous satisfaite de l'amendement du gouvernement qui prévoit notamment de confier la présidence du Cneser disciplinaire à un conseiller d’État (lire sur AEF info) ?
Delphine Gassiot Casalas : C’est une décision courageuse de la part de la ministre et nous soutenons cet amendement ! La présence d’un conseiller d’État au sein du Cneser disciplinaire ne pourra que sécuriser le processus qui est beaucoup trop erratique aujourd’hui. Mais attention, si c’est un bon début, j’insiste sur le fait qu’il faut aller beaucoup plus loin. Car il y a de nombreux facteurs de dysfonctionnement au niveau de la procédure disciplinaire des enseignants-chercheurs, et nous en avons encore un bel exemple avec l’arrêt que vient de rendre le Conseil d’État sur l’affaire de l’UGA (lire sur AEF info)... mais les procédures relatives aux usagers doivent également profiter de cet élan, car là aussi de nombreux axes d’amélioration sont à ouvrir rapidement. Le MESRI nous a dit vouloir ouvrir une concertation sur le sujet, nous en attendons beaucoup.
AEF info : À quoi pensez-vous ?
Delphine Gassiot Casalas : Un des gros problèmes que nous rencontrons par exemple est le blocage du travail des sections disciplinaires par les élus étudiants. Il suffit qu’ils ne siègent pas, que le quorum ne soit alors pas atteint, et les affaires ne sont pas jugées. Ils peuvent ainsi paralyser les sections "locales" par leur absentéisme. Six mois après la saisine, si rien ne se passe, les affaires relèvent de la compétence du Cneser disciplinaire. Nous proposons un alignement sur le fonctionnement des conseils des universités, avec la possibilité d’envoyer une nouvelle convocation sans obligation de quorum dans les 15 jours.
Autre problème : trouver des personnes compétentes et volontaires pour siéger dans les instances locales et les présider, notamment dans les universités qui n’ont pas de juristes ! Il faut savoir que c’est du bénévolat : les membres du conseil académique élus pour siéger dans cette instance ne sont ni payés ni déchargés pour cela, alors que ça leur prend un temps considérable ! À l’université de Bordeaux par exemple, la section disciplinaire compétente à l’égard des étudiants se réunit trois fois par an et près d’une vingtaine de dossiers sont jugés à chaque session, ce qui nécessite autant d’instructions. Il faudrait par exemple pouvoir élire plus de membres afin d’alléger la charge de chacun.
AEF info : Vous insistez aussi sur la nécessité d’élargir la saisine. Pourquoi ?
Delphine Gassiot Casalas : Oui c’est vraiment un point crucial. Aujourd’hui, c’est soit le président de l’établissement, soit le recteur en cas de défaillance du président, qui peut saisir la section disciplinaire des établissements. En pratique, ce dernier cas n’est jamais arrivé, à ma connaissance. Cela met une charge politique très importante sur les épaules du président et ne favorise certainement pas la sortie de toutes les affaires que rencontrent les universités. Jurisup propose que la saisine soit élargie aux chargés de missions égalité ou aux directeurs de composante.
Nous proposons aussi l’instauration d’une procédure plus rapide dans les affaires simples, sur le mode du "plaider-coupable" : par exemple, si un étudiant reconnaît des faits de fraude, il écope automatiquement d’un blâme et son dossier n’est pas instruit. Cela permettrait de faire gagner beaucoup de temps à tout le monde.
AEF info : Toutes vos propositions concernent finalement les instances locales et non le Cneser disciplinaire qui est pourtant le seul visé pour le moment par le MESRI. Fallait-il vraiment toucher à l’instance d’appel avant les instances locales ?
Delphine Gassiot Casalas : C’est un premier pas et le MESRI a certainement voulu profiter de la fenêtre de tir qui lui était offerte par le projet de loi Fonction publique. Mais c’est un premier pas nécessaire car nous sommes quand même régulièrement choqués par les décisions prises par le Cneser disciplinaire et le taux de décisions cassées par le Conseil d’État. J’ai par exemple en mémoire une affaire où le Cneser a établi une "faute" mais n’a pas pris de sanction ! La présidence par un magistrat permettra sans doute de remettre de l’ordre.
AEF info : Les syndicats dénoncent une atteinte à la liberté académique des enseignants-chercheurs. Qu’en pensez-vous ?
Delphine Gassiot Casalas : Parler de liberté académique pour s’opposer à cet amendement est une position de principe. Mais les affaires disciplinaires ont très rarement à voir avec le cœur du métier, à savoir l’enseignement ou la recherche. On est sur des problèmes de comportement, de trouble à l’ordre public, de harcèlement… Je ne vois donc pas en quoi les libertés académiques seraient menacées. Le seul argument que je peux entendre concerne la remise en cause de la franchise universitaire pour les étudiants si le contentieux des décisions prises par les sections est renvoyé aux TA… ce qui ne me choque pas pour autant. Nous ne sommes plus au Moyen-Âge et je doute que nous soyons dans le même contexte politico-religieux qui a justifié la mise en place de ces franchises. On peut d’ailleurs, au regard de la qualité de la justice universitaire rendue à l’égard des enseignants-chercheurs, raisonnablement se demander si ces franchises protègent la communauté dans son ensemble ou bien les auteurs de troubles en tout genre.
Avec le disciplinaire, on demande aux enseignants-chercheurs de faire des choses qui vont bien au-delà de leur métier et pour lesquelles ils ne sont pas formés. Ils n’ont pas le temps de maîtriser les textes. C’est comme pour les décisions des comités de sélection : les enseignants-chercheurs sont entre eux, mais ne se soucient pas toujours de respecter les textes réglementaires. D’où le nombre de contentieux perdus par les universités ! Je vois donc la présence d’un conseiller d’État comme un nécessaire accompagnement qui manque cruellement aujourd’hui, même si cela ne permettra évidemment pas de tout régler.
Jurisup, dont Delphine Gassiot est la présidente, et l’ADGS, présidée par Frédéric Dehan, ont remis au ministère une série de propositions pour réformer les procédures disciplinaires de l’ESR :
Faire présider le Cneser disciplinaire par un conseiller d’État : l’idée n’est pas nouvelle, mais le MESRI a décidé de la proposer au Parlement, dans le cadre d’un amendement au projet de loi "fonction publique" qui est examiné en séance publique par le Sénat à partir du 18 juin 2019. Constatant la faiblesse des sanctions prononcées par le Cneser disciplinaire à l’encontre des auteurs de violences sexuelles et s’inquiétant du taux de décisions cassées par le Conseil d’État, le MESRI veut professionnaliser cette juridiction disciplinaire. Un casus belli pour plusieurs syndicats.
« L'arrêt des activités juridictionnelles [du Cneser disciplinaire de novembre 2012 à octobre 2013] doit constituer un signal d'alerte pour qu'il soit remédié aux nombreuses insuffisances relevées par la mission, lesquelles ne peuvent trouver leur solution que par une réforme des textes applicables à la juridiction », écrit le Conseil d'État dans son rapport d'inspection daté d'avril/mai 2013 qu'AEF s'est procuré. Le Conseil d'État a en effet mandaté une mission d'inspection le 22 avril 2013, à la demande du président du Cneser disciplinaire (1), lequel avait décidé de ne plus réunir l'instance tant que la secrétaire administrative ne serait pas déplacée, en raison d'une rupture de confiance avec elle (AEF n°195843). La mission conclut à une nécessaire réforme du Cneser disciplinaire, appelant notamment à « instaurer une présidence pérenne, compétente, indépendante du milieu professionnel » et à « professionnaliser le secrétariat ».
Le gouvernement dépose un amendement au projet de loi ESR prévoyant que « le président du Cneser disciplinaire est un conseiller d'État, en activité ou honoraire, nommé par le MESR ». Il justifie cet amendement par la nécessité de renforcer le Cneser disciplinaire sur le plan juridique, afin que ses décisions soient moins cassées en appel pour vice de procédure ou de forme. Le Snesup-FSU dénonce dans un communiqué du 12 juin 2013 une « mise sous tutelle du Cneser disciplinaire » et s'insurge de la méthode du ministère consistant à « annoncer un travail de concertation préalable à des évolutions par décret, alors même que l'amendement est déjà déposé ». Le MESR précise à AEF que « cet amendement n'a vocation à être éventuellement examiné qu'en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, après la phase de concertation ». Le projet de loi ESR est examiné au Sénat en commission ce mercredi 12 juin. L'examen en séance publique est prévu le 19 juin.
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Yanis Chouiter,
journaliste