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"La potentialité existe qu’il apparaisse tellement plus simple de recruter des contractuels que de gérer la carrière des fonctionnaires qu’au final, il y ait davantage de contractuels. Nous allons donc clairement vers un second statut", estime Lorène Carrère, avocate associée au cabinet Seban & Associés, spécialisé dans le secteur public, dans une interview accordée à AEF info
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Lorène Carrère, avocate associée au cabinet Seban & Associés © Seban & Associés
AEF info : En tant que juriste, quelle est votre analyse des grandes lignes du projet de loi de transformation de la fonction publique ?
Lorène Carrère : Ce texte est intéressant. Il comporte des dispositions vraiment innovantes comme la mise en place d’une rupture conventionnelle pour les contractuels. Cette mesure a toutefois été étendue aux fonctionnaires de la FPT [dans le cadre d’une expérimentation de 5 ans] dans la version présentée en Conseil des ministres le 27 mars 2019, alors que dans l’avant-projet de loi, cette expérimentation ne concernait que la FPE et la FPH. J’en vois un petit peu moins l’intérêt pour les fonctionnaires puisque jusqu’alors, existait l’IDV (indemnité de départ volontaire). Or, ce dispositif n’a pas fonctionné. Cela étant dit, pour les contractuels, la rupture conventionnelle répond à une vraie demande des agents et des employeurs publics.
D’autres dispositions vont également faire l’objet de débats tel l’alignement du temps de travail d’autant que, pour le moment, la rédaction de l’article est très simple et qu’il sera nécessaire de la préciser par décret pour pouvoir l’appliquer. Pour l’heure, le projet de loi prévoit un alignement sur 1 607 heures dans un délai d’un an à compter du renouvellement des assemblées délibérantes des collectivités. Dans le cadre de la mise en œuvre, il va falloir voir si des contreparties sont prévues pour les agents dont la durée de travail va augmenter.
Enfin, les débats relatifs à la restriction des compétences des CAP risquent de s’apparenter à une vraie bataille. Je pense que les organisations syndicales vont monter au créneau car, au-delà des questions traitées par les CAP sur les mobilités, qui ne me semblent pas très contestables, en revanche, s’agissant de l’avis des CAP sur les avancements et les promotions internes, les syndicats ne vont pas lâcher facilement. Je souligne toutefois que supprimer les CAP pour les transferts de personnels aux intercommunalités est une bonne chose. Leur intervention pour des transferts collectifs d’agents dans le cadre de transfert de services n’est en effet pas justifiée.
AEF info : Le gouvernement explique que cette mesure va permettre d’introduire plus de souplesse et de fluidité pour les employeurs publics et de gagner du temps…
Lorène Carrère : Cela va certes donner de la fluidité pour les mutations et les détachements pour lesquelles les consultations peuvent s’avérer longues. En revanche, concernant les promotions et les avancements, cela me semble beaucoup plus compliqué. Les employeurs y sont bien sûr favorables ; je comprends que les syndicats ne le soient pas. Quant à l’argument qui consiste à dire que les CAP privilégient les agents syndiqués, cela ne correspond pas à la réalité, en particulier dans les collectivités locales.
AEF info : Quelle est votre position sur l’élargissement du recours au contrat (lire sur AEF info) — notamment pour les postes permanents et ceux de direction — et sur la création du contrat de projet ?
Lorène Carrère : S’agissant du contrat de projet, je suis relativement d’accord avec le Conseil d’État qui a indiqué dans son avis [du 21 mars 2019] que cela ne simplifie rien. Le législateur ajoute ainsi une nouvelle catégorie de contrat à celles qui existent déjà. Certains acteurs publics, tels que l’Association des DRH de grandes collectivités (lire sur AEF info), affirment qu’ils l’attendaient mais il existe déjà des possibilités de recruter sur trois et six ans, certes sur les seules catégories A. Le projet de loi permet d’étendre cette possibilité aux agents de catégorie B. À partir de là, le contrat de projet mérite d’être davantage cerné. Il est nécessaire d’en définir les conditions. Avoir ajouté un plancher d’un an est une bonne chose ; le plafond de 6 ans est logique puisqu’au-delà, on doit basculer sur du CDI.
Or il est clairement dit que ce contrat ne débouchera ni sur une CDisation ni sur une titularisation. Pour autant, il est en contradiction avec les lois de déprécarisation que l’on a connues, telle la loi Sauvadet. Il faudra donc voir comment le gouvernement compte l’encadrer mais je ne vois pas quelle souplesse il apporte réellement. Les employeurs publics y voient par ailleurs certainement un avantage en ce que ces contrats ne seraient pas soumis à publicité. Mais cela semble vraiment très contradictoire avec tout ce qui existe jusqu’à présent, notamment quand on sait qu’une absence de publication peut en effet conduire à un déféré préfectoral.
AEF info : Le projet de loi vise également à faciliter les mobilités vers le privé…
Lorène Carrère : C’est très intéressant de permettre la mobilité vers le privé notamment avec l’article sur le détachement d’office, qui est très pertinent. En cas de changement de périmètre ou de délégation de service public, cette mesure rejoint des problématiques que nous rencontrons par exemple dans le milieu HLM. Mais il va falloir voir les mesures qui seront adoptées ensuite par décret. Cela pose d’ailleurs plusieurs questions : par décret, les députés ne seront donc pas compétents, et on peut également s’interroger sur les délais dans lesquels les décrets seront publiés, sachant que la DGAFP est déjà débordée.
Par conséquent, ce texte apparaît pour l’heure comme un canevas avec des idées très claires sur la mobilité mais le fait qu’aucun plancher ni plafond ne soient prévus pour le recrutement des contractuels notamment sur les emplois de direction, interroge énormément. Il intègre des articles simples, presque sibyllins, qui vont demander à être éclaircis et c’est d’ailleurs ce qu’a prévu la rapporteure du texte à l’Assemblée nationale, Émilie Chalas, qui a demandé aux députés de formuler des amendements (lire sur AEF info).
AEF info : Quelles difficultés peuvent entraîner selon vous un recours accru aux contrats ?
Lorène Carrère : Cet élargissement va rendre nécessaire la mise en place de formations, la différence de culture entre fonctionnaires et contractuels s’annonçant difficile à gérer. Le bagage que doit avoir le fonctionnaire et qui lui est transmis lors de sa formation ne serait-ce que sur la hiérarchie des normes n’est pas le même que celui des contractuels…
Idem pour la déontologie. Le fait que le texte renforce les responsabilités de chacun n’est pas suffisant. Les fonctionnaires ne sont pas au courant de leurs obligations déontologiques. Pour les contractuels, en matière déontologique, se pose aussi la question de leurs structures d’origine. D’où viennent-ils ? Si le contractuel était salarié d’un prestataire de l’administration juste avant, cela pose problème. Il faut prévoir un contrôle déontologique et le renforcement de la commission de déontologie.
C’est d’ailleurs une autre critique que l’on peut faire à ce projet de loi : la commission de déontologie se voit retirer ses prérogatives alors que l’on devrait les renforcer. On devrait aussi aller vers une publicité des avis de la commission
AEF info : Ce texte est présenté comme un texte de GRH avec des mesures techniques (lire sur AEF info). Les organisations syndicales estiment toutefois que ses mesures ouvrent des brèches dans le statut et sont en mesure à terme de le mettre à mal. Quelle est votre analyse ?
Lorène Carrère : Ce projet de loi implique un vrai changement de paradigme. La potentialité existe, à partir du moment où il prévoit que des contractuels peuvent être recrutés sur tout type d’emploi et où il permet les accords locaux (par ordonnance) – sans que l’on sache pour l’heure sur quel sujet exactement.
Comme Luc Rouban (chercheur au Cevipof) l’a signalé, on va avoir des agents en CDI avec des accords locaux. La potentialité existe donc qu’il apparaisse tellement plus simple de recruter des contractuels que de gérer la carrière des fonctionnaires qu’au final, il y ait davantage de contractuels. Nous allons donc clairement vers un second statut.
AEF info : Ce texte intègre nombre d’ordonnances. Selon le gouvernement, ces ordonnances vont permettre de laisser le temps à la concertation sur des sujets tels la protection sociale complémentaire ou la formation, de donner force à la loi. Ce recours aux ordonnances peut-il poser problème ?
Lorène Carrère : Ce sujet n’est pas propre à la fonction publique. C’est une question de principe d’ordre politique. Il revient aux députés de dire s’ils sont d’accord pour qu’on les dessaisisse de ces sujets. Ils se sont d’ailleurs exprimés en ce sens lors du débat sur le projet de loi organisé par l’ADRHGCT le 4 avril. Mais sachant qu’il n’y a que 40 heures de débats prévues, cela laisse supposer que beaucoup de mesures passeront par ordonnance.
Dans ce contexte, les associations professionnelles, telle l’AATF, comptent œuvrer auprès des parlementaires mais également auprès des avocats sur l’élaboration d’amendements. De notre côté, nous pouvons alerter sur certains aspects du texte, notamment sur la déontologie. À cet égard, le fait que la rapporteure du texte à l’Assemblée nationale, Émilie Chalas, soit issue de la fonction publique territoriale est un atout.
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Clarisse Jay,
journaliste