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Qu’est-ce qu’être DRH aujourd’hui ? Comment les professionnels de la fonction perçoivent-ils leur rôle, alors que la transformation numérique bouleverse le contenu des métiers et les relations au travail, que les organisations doivent sans cesse se réinventer, que le monde du travail se métamorphose ? AEF info poursuit sa série d’entretiens sur les évolutions du métier de DRH. Cette semaine, c’est Gilles Gateau, directeur général des ressources humaines d'Air France, qui livre sa vision du métier.
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Gilles Gateau, DGRH d'Air France
AEF info : Vous avez pris vos fonctions dans un contexte de crise et avez succédé à Xavier Broseta dont la chemise déchirée lors d’un comité central quelque temps plus tôt avait fait le tour du monde… DRH, c’est un métier risqué ?
Gilles Gateau : DRH, c’est en tout cas une fonction exposée et engagée. La fonction RH est liée à une entreprise, à sa culture, à son histoire. On y retrouve des constantes communes à d’autres entreprises, comme des caractéristiques plus singulières. De ce point de vue la fonction de DRH d’Air France n’est pas la plus facile et la plus calme. Mais attention, il y a un effet d’optique dont il faut se méfier : que ce soit la chemise arrachée de 2015 ou les 15 journées de grève vécues depuis le mois de février 2018, cela ne reflète pas le vrai visage d’Air France.
Si on parle des relations sociales, on peut admettre qu’elles sont souvent difficiles, parfois conflictuelles, mais ce serait une erreur de croire qu’il n’y a pas de dialogue social au sein de l’entreprise. Depuis que j’ai pris mes fonctions il y a deux ans et demi, nous avons signé 44 accords collectifs, dont 36 accords majoritaires. Si je prends l’exemple des PNC (personnels navigants commerciaux, les hôtesses et stewards), nous avons signé, il y a juste un an, un accord qui fixe les conditions de rémunération, de progression de carrière et les règles en matière de temps de travail pour les cinq ans à venir (lire sur AEF info) – un accord unanime signé par les trois organisations syndicales représentatives. Nous avons également signé en juillet dernier un accord avec le principal syndicat de pilotes qui a permis de créer la compagnie Joon (lire sur AEF info). Nous avons conclu beaucoup d’accords au sol ou globaux, parfois très innovants, comme un très bel accord d’intéressement majoritaire avec la CFDT, la CFE-CGC et l’Unsa. L’idée d’une entreprise en conflit permanent est donc une image déformée.
AEF info : Vous qui êtes habitué aux alternances entre la grande entreprise - comme chez EDF pendant plus de dix ans - et les cabinets ministériels, comment percevez-vous le rôle du DRH ?
Gilles Gateau : La diversité dans un parcours c’est intéressant, pour un DRH aussi ! C’est souvent le cas d’ailleurs dans la fonction. Mais depuis longtemps je me sens avant tout DRH, même s’il est vrai que j’ai accepté en 2012 de revenir deux ans et demi dans la sphère de l’État. Dans l’entreprise, le DRH a une fonction essentielle, pour moi la plus belle : celle qui affirme et qui est garante de la dimension humaine au sein de l’entreprise.
Il y a des modes dans le monde des RH comme ailleurs. Mais il y a une approche qui, pour moi, ne doit pas relever de la mode, c’est l’approche basée sur "l’expérience salarié" et la symétrie des attentions (lire sur AEF info). La fonction RH doit se rapprocher des salariés et les mettre au cœur des attentions. Je déteste d’ailleurs l’expression "business partner" que l’on attribue souvent aux DRH car elle est très réductrice. Pour moi, le DRH est autant un "business partner" qu’un "employee advocate" ou un "people partner". On est au cœur d’une contradiction, qu’il faut assumer : les intérêts du business et des salariés ne s’alignent pas spontanément. Il faut une volonté et du travail pour faire coïncider les besoins des clients, les besoins de l’entreprise en termes de croissance et d’objectifs, et les aspirations des salariés.
AEF info : Cette symétrie des attentions est-elle aujourd’hui une réalité chez Air France ?
Gilles Gateau : Beaucoup d’entreprises investissent énormément dans la satisfaction de leurs clients. Dans les compagnies aériennes, qui ont toutes peu ou prou les mêmes avions et les mêmes destinations, ce qui fait la différence, c’est ça. Les équipes d’Air France ont beaucoup investi sur cette approche très humaine de la "relation attentionnée" au client, avec de réels progrès. D’où l’idée évidente de s’appuyer sur cette même énergie positive pour dire "il nous faut la même relation attentionnée entre nous et pour nous les salariés". Ça doit être le fondement de notre "expérience salarié", ce qui demande bienveillance mais aussi exigence.
Pour moi, la fonction RH doit être lucide, humble, et en même temps ambitieuse. Lucide, en se rendant compte que les "outils" miracles, fussent-ils digitaux, n’existent pas pour résoudre tous les défis humains de l’entreprise. Ambitieuse, car elle doit vouloir progresser. Et pour cela prendre des engagements donc des risques, comme on le fait dans d’autres domaines.
Un exemple : pour améliorer la cohésion interne entre des métiers qui parfois s’observent, il faut aujourd’hui créer des occasions de brassage où des salariés vont découvrir et mieux comprendre ce que sont les réalités de la vie de leurs collègues. Cette semaine, 50 jeunes embauchés issus de grandes écoles vont partir deux mois en "immersion" en juillet et août dans les équipages de PNC. Ils en reviendront avec une autre perception des clients et du travail des navigants, tout comme les navigants auront, j’en suis sûr, une autre image de ces jeunes cadres. Le but, dès l’année prochaine, c’est que cela concerne obligatoirement tous les jeunes cadres embauchés dans leur cursus des premières années chez Air France.
Autre exemple : la prise d’initiative. C’est souvent compliqué dans les entreprises à forte dimension technique et aux procédures strictes, notamment liées à la sécurité. Mais l’initiative peut et doit exister partout. Face au client, le collaborateur doit pouvoir, sans passer par un circuit de validation plus long, proposer des solutions directement et prendre lui-même des décisions, et avoir l’outil adapté pour cela. C’est ce que l’on développe, au sol comme en vol.
AEF info : Comment va se concrétiser le programme d’expression des salariés que la direction a annoncé mi-juin ?
Gilles Gateau : La fonction RH, comme le management, doit être proche des salariés. Cela suppose que l’on dispose d’un bon niveau d’expression et d’écoute des salariés au sein de l’entreprise. Beaucoup d’entreprises ont des baromètres internes – le nôtre est trimestriel, fait avec Ipsos, et publié à l’ensemble des salariés. En parallèle, nous expérimentons deux outils : Bloom at work (lire sur AEF info) et Supermood, pour en choisir un et le déployer partout en fin d’année.
Ce qui a été annoncé mi-juin c’est un peu différent : après la consultation des salariés qui a abouti à un "non" sur l’accord salarial [et au départ du PDG Jean-Marc Janaillac] (lire sur AEF info) en mai dernier, nous avons besoin de donner un contenu plus explicite et plus constructif à ce qui s’est exprimé dans ce vote. C’est pour cela que nous avons proposé d’engager en septembre une démarche d’expression et de dialogue pour tous les salariés, qui alimentera la réflexion sur la refondation d’Air France que le prochain président aura à engager pour recréer une dynamique positive, comme celle que nous avions en début d’année et que le conflit salarial a contrariée.
Il s’agit là d’une démarche qui sera à la fois digitale et physique.
AEF info : Comment se traduit cette dimension digitale chez Air France ?
Gilles Gateau : Elle est omniprésente dans la transformation des métiers. Mais cela va au-delà. Les entreprises ne sont pas des structures isolées de la société. C’est-à-dire que l’on retrouve au sein de l’entreprise toutes les tendances de notre société. Pour le meilleur et pour le pire. Les réseaux sociaux permettent des choses formidables dans l’entreprise pour résoudre les problèmes et créer une émulation collective, mais cela peut aussi parfois laisser place au populisme, au communautarisme, ou générer des fake news. C’est un sujet de vigilance, de responsabilité et d’éducation collective. Cela demande un syndicalisme très responsable pour que ces réseaux sociaux ne deviennent pas des outils pernicieux. Cela demande que tous les acteurs s’y engagent et posent les débats en stimulant une vision bienveillante.
AEF info : Observez-vous également chez Air France une demande d’individualisation des parcours et des process ? Comment impacte-t-elle le dialogue social ?
Gilles Gateau : En France, on a beaucoup bâti la relation de travail sur des règles collectives, qui sont évidemment extrêmement développées dans des entreprises comme Air France. Mais, comme ailleurs, nous observons cette tendance à l’individualisation et aux attentes individuelles des salariés. S’ajoutent à cela les évolutions vers cette approche de "droits individuels garantis collectivement" que l’on observe au fil des ans, et qui sont portées par les pouvoirs publics, comme l’illustre la mise en place du compte personnel de formation. Mais cette meilleure prise en compte des aspirations individuelles pose de nouveaux défis, pour le management et l’organisation de l’entreprise comme pour les représentants des salariés qui négocient.
Un exemple : certains navigants aimeraient passer plus de temps de repos après le vol chez eux avec leur famille plutôt qu’en escale entre le vol aller et le vol retour, d’autres non parce que c’est plus important pour eux ce temps en escale, que ça fait partie des intérêts du métier, ou simplement pour récupérer. Or un équipage c’est forcément la même rotation : dès lors, comment arbitrer entre ces aspirations ? Ce n’est pas simple, ni pour l’entreprise ni pour les syndicats. Dans cet exemple nous sommes arrivés à un accord, mais parfois on renonce.
Le dialogue social doit être un moteur et pas un frein. De ce point de vue, ce n’est pas pour moi la difficulté de la négociation qui est en jeu – quand la volonté de trouver un équilibre est là on y arrive toujours - mais davantage une certaine culture du conflit qui, hélas, persiste dans quelques entreprises. La grève dans une compagnie aérienne a des effets tellement destructeurs que cela peut donner à certains un sentiment "d’invincibilité", qui n’incite pas au compromis. Or c’est une pratique d’un autre âge, qui ne correspond absolument plus à ce qu’est devenu le transport aérien. Il faut un changement de culture et de pratiques dans la façon d’exprimer et de réguler les désaccords. Air France doit faire ce travail. Elle est capable, comme d’autres l’ont réussi, de changer de culture du dialogue social. Encore un défi pour la fonction RH !
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Isabelle Moreau,
journaliste