En plus des cookies strictement nécessaires au fonctionnement du site, le groupe AEF info et ses partenaires utilisent des cookies ou des technologies similaires nécessitant votre consentement.
Avant de continuer votre navigation sur ce site, nous vous proposons de choisir les fonctionnalités dont vous souhaitez bénéficier ou non :
Alors que la concertation sur la réforme des retraites a démarré depuis plusieurs semaines, le sujet des pensions de réversion est le premier à faire naître un début de débat public. Au point que les ministres des Solidarités et de la Santé, puis de l’Économie, ont successivement rectifié le tir en affirmant que leur suppression n’était pas à l’ordre du jour dans le futur régime de retraite, sans pour autant écarter une remise à plat pour plus de "justice". Le Haut commissariat aux retraites interroge ce dispositif au regard des évolutions en matière d’emploi des femmes et de conjugalité.
Cette dépêche est en accès libre.
Retrouvez tous nos contenus sur la même thématique.
Fotolia
La polémique enflant progressivement sur une possible suppression des pensions de réversion, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire s’est voulu rassurant dimanche 24 juin 2018 : "Ce qui me choquerait c’est que les veuves n’aient pas les moyens de vivre dignement dans notre pays", a-t-il martelé lors du Grand Jury RTL/Le Figaro/LCI, allant jusqu’à indiquer que sa mère fait partie des 4,4 millions de Français, dont 90 % de veuves, qui sont concernées.
Le débat a été ouvert début juin par le Haut commissaire Jean-Paul Delevoye, chargé de préparer le futur "système universel de retraite" promis par Emmanuel Macron, pour remplacer la quarantaine de régimes existants. Après le schéma cible et les minima sociaux, la question des droits familiaux a en effet fait l’objet du 3e bloc de concertation entre le haut commissaire et les partenaires sociaux dans le cadre de la concertation sur le régime universel.
pas supprimer, mais "harmoniser"
Des échos de cette réunion dans les médias ont allumé un début de discussion publique. Depuis, Jean-Paul Delevoye a assuré qu’il n’avait pas l’intention de recommander la suppression des pensions de réversion, mais que ce sujet, comme les autres sujets touchant au système de retraite, "était interrogé sans tabou" dans le cadre de la discussion. La ministre de la Santé et des Solidarités, Agnès Buzyn a également assuré le 22 juin dernier au Sénat qu’il n’était "pas du tout" question de supprimer ces pensions, mais de définir un système qui les "harmoniserait" et gommerait les "injustices". Un message repris par Bruno Le Maire, qui soutient que l’idée est "d’avoir des pensions plus justes, qui aillent aux personnes qui en ont réellement le plus besoin" et que ces pensions "soient efficaces". Tout en assurant que le gouvernement "ne touchera pas aux pensions de réversion déjà versées, on ne va pas revenir sur ce qui est acquis".
Quel est le diagnostic du haut commissariat en la matière ? Le sujet a son importante : en 2016, les pensions de réversion représentaient 35,8 milliards d’euros, soit 11,6 % de l’ensemble des prestations vieillesse. Elles touchaient principalement les femmes, qui représentent 87 % des quelque 3 millions de bénéficiaires de la réversion cumulée à une retraite en propre, et 96 % du million de bénéficiaires sans droit propre. Le montant des pensions de réversion était de 304 euros pour les hommes et 642 euros pour les femmes - sachant que le montant moyen des pensions féminines s’élevaient en 2015 à à peine 1 200 euros.
des règles hétérogènes selon les régimes
Reste que, selon les régimes, les règles régissant les pensions de réversion sont très hétérogènes. La ministre évoquait elle-même des conditions d’attribution de ces pensions "très différentes" selon les régimes, et donc sources "d’injustices". Par exemple, dans le régime général, elles sont soumises à condition de ressources, mais pas dans les régimes complémentaires ni dans la fonction publique. De même, dans certains régimes, la conclusion d’une nouvelle union met fin à la réversion, et dans d’autres non. Certains d’entre eux incluent une condition d’âge minimum : 55 ans la plupart du temps, et jusqu’à 65 ans pour certaines professions libérales. Sans oublier des conditions de durée de mariage minimum ou de non-remariage dans certains cas, par exemple dans le secteur public. Et le montant des pensions, par exemple, varie de 50 % de la pension du défunt, pour les fonctionnaires, à 54 % pour la retraite de base des salariés du privé, des agriculteurs ou des artisans, ou 60% pour la plupart des régimes complémentaires.
À l’étranger, rappelle également le Haut commissariat dans le document remis aux partenaires sociaux, la tendance concernant les pensions de réversion est à leur extinction pour les conjoints survivants n’ayant pas atteint un âge proche de la retraite comme en Suède, ou au durcissement des conditions d’attribution pour les autres, via l’instauration des conditions de ressources, comme en Allemagne ou en Italie. Par ailleurs, du fait du développement de nouvelles formes d’union et d’une plus grande instabilité des couples, s’est développé un nouveau type de dispositif apparu en Allemagne au milieu des années 1970, puis au Canada et au Royaume-Uni : le partage des droits à la retraite entre conjoints, dit "splitting".
logique patrimoniale ou de maintien de ressources ?
Au vu de ces constats, le haut commissariat s’interroge donc sur le bien-fondé du dispositif dans le cadre du futur régime universel, comme il le fait sur l’ensemble des thématiques. "Compte tenu des évolutions en matière de taux d’emploi des femmes et de conjugalité, doit-on maintenir les pensions de réversion ? Le cas échéant, quels objectifs assigner aux pensions de réversion ? Une logique patrimoniale - la pension de réversion est due à tout conjoint survivant quels que soient ses revenus ? Une logique de maintien de ressource pour le conjoint survivant permettant de compenser la perte de revenus liés au décès du conjoint ?" Et "quels critères" doit-on retenir en matière d’âge, de ressources, de mariage - doit-on l’étendre aux couples pacsés ? - et de taux de réversion ?
Pour Frédéric Sève (CFDT), la pension de réversion pose deux questions : "Tout d’abord, les inégalités entre les hommes et les femmes ne sont plus les mêmes. Auparavant, ces dernières n’avaient pas de retraites en propre. C’est de moins en moins le cas, et les inégalités à la retraite reflètent les inégalités salariales et de salaires. Est-ce vraiment à la réversion de remédier à cela ?" Par ailleurs, ce dispositif a été créé à un moment "où le mariage était la norme. Aujourd’hui nous avons 18 millions de célibataires, dont des femmes avec enfants. Doivent-ils payer pour une réversion qui ne les concernera pas ?"
Dans un communiqué, Force Ouvrière réaffirme pour sa part "sa revendication sur le maintien des pensions de réversion ainsi que tous les autres droits familiaux". Pour elle, si des différences existent dans l’attribution de la réversion, "la solution résident dans un alignement des différents régimes 'par le haut', une réversion pour les veuves et veufs à 60 % du droit du défunt, sans condition de ressources".
Deux semaines après son ouverture, la plateforme de participation citoyenne participez.reforme-retraite.gouv.fr totalise plus de 15 000 inscrits, 17 000 contributions et 118 votes, rapportent la ministre des Solidarités et de la Santé et le Haut-commissaire aux retraites dans un communiqué ce lundi 18 juin 2018. Ils précisent que les trois thèmes les plus largement commentés et débattus sont ceux qui concernent l’architecture même du système, "son universalité", "largement plébiscitée tant dans les votes que dans les contributions", "les conditions de départ à la retraite", "les droits du conjoint en cas de décès". La plateforme est ouverte jusqu’au 25 octobre ; une cartographie des arguments et une synthèse des débats seront rendues publiques le 29 novembre.
Vous souhaitez contacter
Bénédicte Foucher,
journaliste