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Lorsque des salariés font l’objet d’une discrimination au travail, ils ont désormais la possibilité d’engager une action de groupe devant le TGI. Pour Marie Mercat-Bruns, maître de conférences en droit privé au Cnam et professeure affiliée à l’École de droit de Sciences Po
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AEF : Que pensez-vous des conditions de mise en œuvre de l’action de groupe ?
Marie Mercat-Bruns : La loi précise dans la partie consacrée au cadre général de l’action de groupe, qu’une action de groupe peut être exercée en justice "lorsque plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, subissent un dommage causé par une même personne, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles". Cette définition du comportement discriminatoire couvert par l’action est trop étroite.
En effet, si un groupe de personnes a été affecté, cette situation discriminatoire peut parfois résulter du comportement de plusieurs auteurs, à des moments différents et de plusieurs manquements successifs, combinés ou simultanés. Par exemple, en matière de carrière et de promotion, il peut y avoir au départ un auteur qui est à l’origine d’un refus de promotion discriminatoire mais qui n’est plus en place lorsque la stagnation non justifiée de la carrière d’une femme est observée en milieu ou fin de carrière. Le phénomène du "plafond de verre" qui touche un ensemble de femmes dans une même entreprise peut être dû à une conjugaison d’actes discriminatoires directs et indirects réalisés par différents responsables à différents moments dans différentes filiales d’un même groupe. Il s’agit de la discrimination systémique identifiée dans le rapport de 2013 de Laurence Pecaut-Rivolier sur la discrimination collective en entreprise (lire sur AEF).
AEF : Qu’est-ce que la discrimination systémique ?
Marie Mercat-Bruns : Dans ce rapport de 2013, la discrimination systémique est définie comme "une discrimination qui relève d’un système, c’est-à-dire d’un ordre établi provenant de pratiques, volontaires ou non, neutres en apparence, mais qui donnent lieu à des écarts de rémunération ou d’évolution de carrière entre une catégorie de personnes et une autre. Cette discrimination systémique conjugue quatre facteurs : les stéréotypes et préjugés sociaux ; la ségrégation professionnelle dans la répartition des emplois entre catégories ; la sous-évaluation de certains emplois ; la recherche de la rentabilité économique à court terme. La particularité de la discrimination systémique étant qu’elle n’est pas nécessairement consciente de la part de celui qui l’opère".
En matière d’action de groupe, il sera toujours possible pour l’employeur de montrer que les situations des personnes concernées ne sont pas tout à fait similaires. Pour moi, l’identification du groupe concerné devrait partir avant tout du constat de l’effet discriminatoire commun observé, comme le plafond de verre, non de la recherche de l’imputabilité d’un acte qui serait commis par un auteur unique ayant pour cause un manquement unique.
AEF : En pratique, qui va être concerné par ces actions de groupe ?
Marie Mercat-Bruns : L’action de groupe en matière de discrimination au travail va être essentiellement portée par les syndicats. Les associations ne peuvent agir que pour des discriminations à l’accès à l’emploi, domaine dans lequel la preuve est particulièrement difficile. Ce choix est-il pertinent quand on sait que l’essentiel du contentieux porte déjà sur la discrimination syndicale, puis sur la maternité et le sexe ?
Souvent la discrimination est plutôt invoquée comme demande subsidiaire, davantage considérée comme une des conséquences générées par la violation d’autres règles de droit du travail comme la protection en matière de licenciement des représentants syndicaux, des travailleurs âgés sans retraite à taux plein ou des salariées enceintes ou de retour d’un congé maternité. C’est ce qui ressort d’une étude que j’ai réalisée sur la mise en œuvre du principe de non-discrimination par les juges et les institutions pour le GIP Justice et le Défenseur des droits en juin 2016 (étude à paraître, ndlr).
Cette action de groupe va-elle permettre de saisir les discriminations fondées sur les autres critères comme la précarité sociale, la résidence, l’orientation sexuelle, la discrimination raciale ? En matière de religion, la question se pose de manière individuelle et collective selon les pratiques et les postes exercés.
En outre, certaines victimes sont souvent déjà marginalisées dans l’entreprise. Les salariés en CDD, les femmes, les salariés à temps partiel, vont-ils s’adresser aux syndicats ?
AEF : L’action de groupe permet de faire constater une discrimination collective et de la faire cesser. Le dispositif légal est-il suffisant pour atteindre cet objectif ?
Marie Mercat-Bruns : Lorsque l’action de groupe tend à faire cesser un manquement, si le juge constate l’existence d’un manquement, il enjoint alors à l’employeur de le faire cesser dans un délai qu’il fixe, assorti, éventuellement d’une astreinte. Toutefois, qui va suivre et vérifier que l’entreprise met en œuvre cette injonction de cessation du manquement ? Rien n’est prévu.
Dans les pays où existe une action de groupe ou "class action", aux États-Unis, au Canada, il existe toute une logistique de suivi de l’action de groupe et de mise en œuvre de la cessation du manquement suivant un calendrier avec des mesures précises à valider. On peut citer la suppression des pratiques sélectives discriminatoires, les actions positives, la formation sur les stéréotypes, les mesures pour favoriser la mixité des métiers avec des comptes rendus et des bilans à rendre au juge. En France, les juridictions civiles qui ne sont pas équipées pour faire face à ce monitoring et peu familiarisées à la complexité du droit de la non-discrimination - présence de discriminations directes et indirectes - seront-elles épaulées pour mener à bien ce volet de la loi ?
AEF : L’action de groupe est menée par un syndicat pour un ensemble de salariés. Existe-t-il des risques de conflits d’intérêts ?
Marie Mercat-Bruns : Oui. Quand un groupe défend des salariés il y a parfois des conflits d’intérêts. Les expériences étrangères attestent des conflits entre les choix stratégiques sur le fond et sur la procédure des cabinets d’avocat qui représentent les victimes au regard des intérêts à court et moyen terme des personnes représentées. En effet, la question récurrente est de savoir si le syndicat ou l’association, en matière de recrutement, vont mener leur stratégie contentieuse en fonction de leurs intérêts propres ou prendre en compte les intérêts individuels des personnes discriminées qu’ils représentent.
La question est de savoir comment le syndicat va réellement représenter les personnes ? Un salarié peut avoir une vision différente de celle du syndicat même en termes d’argumentations juridiques à privilégier. Sur le plan procédural, comment sera pris en compte l’intérêt du salarié lors de la première phase de mise en demeure préalable de faire cesser la discrimination ?
Un autre conflit d’intérêts est possible. Le syndicat peut décider de négocier après la mise en demeure. Il peut accepter la médiation. Si les victimes veulent aller au procès, quelle position va prévaloir ? À l’inverse, il est possible que la victime souhaite négocier alors que le syndicat préfère aller au procès.
AEF : En conclusion, quelle problématique ressort de votre analyse de l’action de groupe à la française ?
Marie Mercat-Bruns : La question est de savoir quelle est la finalité de l’action de groupe. Créer un outil supplémentaire de revendication des syndicats ? Dénoncer une somme de manquements individuels comparables ? Ou bien viser des pratiques de discriminations collectives récurrentes de nature différente qui se conjuguent et produisent un effet commun au détriment d’un groupe ?
Selon la réponse, les intérêts défendus ne seront pas les mêmes. Le législateur français a pensé la procédure, mais n’a pas suffisamment réfléchi à la nature des manquements discriminatoires ciblés par l’action de groupe, au mode de représentation des intérêts des victimes, qui peuvent, certes, intenter des actions individuelles selon leur préjudice propre si la qualification de discrimination est retenue, ainsi qu’au suivi indispensable de l’exécution des décisions, seule véritable garantie contre les discriminations structurelles à l’échelle d’une entreprise ou d’un groupe.
La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle est publiée au Journal officiel du 19 novembre 2016. Le texte crée l'action de groupe, qui permet à "plusieurs personnes placées dans une situation similaire subiss[ant] un dommage causé par une même personne, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles" d’engager une action commune en justice pour obtenir la cessation du manquement ou la réparation des préjudices subis. La loi définit un socle commun pour toute action de groupe, et précise les modalités de l’action de groupe en matière de discriminations au travail dans les secteurs privé et public, mais également dans le domaine environnemental et de la santé.
L’avant-projet de loi relatif à la justice du XXIe siècle, examiné mardi 7 juillet 2015 par les partenaires sociaux de la CNNC, crée un dispositif "socle" d’action de groupe qui pourra être adapté dans tous les domaines du droit, avec une première déclinaison spécifique en matière de lutte contre les discriminations (lire sur AEF). À quoi servira cette nouvelle procédure, alors que les salariés qui s’estiment discriminés peuvent déjà saisir individuellement le conseil des prud’hommes ? La vocation première de ce dispositif est de "faire cesser le trouble", estime Laurence Pécaut-Rivolier, magistrate, auteur d’un rapport sur la lutte contre les discriminations (lire sur AEF). À ses côtés lors d’une matinée organisée par l’Ajis, l’avocate spécialiste des discriminations Emmanuelle Boussard-Verrecchia juge que l’action de groupe va permettre d’améliorer l’effectivité du droit.
Laurence Pécaut-Rivolier, magistrate auprès de la Cour de cassation, remet, mardi 17 décembre 2013, les conclusions de sa mission « lutter contre les discriminations au travail : un défi collectif ». Cette mission lui a été confiée le 30 octobre 2013 (AEF n° 470725) par les ministres du Travail, de la Justice et des Droits des Femmes. La magistrate concentre ses propositions sur trois dimensions : favoriser l'accès aux éléments de preuve, créer une action collective devant le tribunal de grande instance, améliorer les transmissions d'information entre les différents acteurs en matière de discrimination (Défenseur des droits, ministère du Travail). Une concertation sur ces propositions « sera conduite dans les prochaines semaines, en vue le cas échéant d'amendements au projet de loi sur l'égalité entre les femmes et les hommes ». Elles sont présentées, ce mardi, aux partenaires sociaux réunis dans le cadre du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle »
Voici une sélection des brèves fonction publique de la semaine du 20 mars 2023 :
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Marie-Françoise Clavel,
journaliste