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Il aura fallu près de deux ans au ministère du Travail pour aboutir à une version "stabilisée" de son "guide pratique du fait religieux dans les entreprises privées", présentée aux partenaires sociaux lundi 7 novembre 2016. Annoncé au lendemain des attentats de janvier 2015, le document sera finalement publié presque un an jour pour jour après les attentats du 13 novembre 2015. Une première version, rédigée par la Direction générale du travail, a fait l’objet d’une "concertation très étroite" avec les partenaires sociaux depuis janvier 2016. Le "questions/réponses" final intègre des dispositions issues de la loi Travail, sur l’inscription du principe de neutralité dans le règlement intérieur, et des cas qui n’avaient pas été traités initialement. Le guide vise à apporter des "réponses concrètes" aux "interrogations croissantes" des acteurs de l’entreprise - DRH, salariés, syndicats.
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Le guide du ministère du Travail sur le fait religieux en entreprise, présenté lundi 7 novembre 2016 aux partenaires sociaux, "n’est pas le résultat d’une déferlante" de faits problématiques sur le sujet, mais il répond à "des demandes croissantes" des DRH, mais aussi des organisations syndicales et patronales, explique-t-on rue de Grenelle. Les acteurs de l’entreprise avaient "l’impression qu’ils ne disposaient pas des outils leur permettant de répondre aux demandes concrètes des salariés", qu’ils "ne savaient pas quelles conséquences tirer des règles théoriques de droit". Dans ce contexte, les attentats de janvier et novembre 2015 ont mis en lumière, au-delà du sujet de la radicalisation, les questionnements sur l’exercice de la liberté religieuse en entreprise.
"apporter des réponses concrètes"
Organisé sous forme de questions/réponses, le guide "a pour objet d’apporter des réponses concrètes aux questions que peut susciter le fait religieux en entreprise et de rappeler les règles fixées par le droit en la matière". Dans un premier temps, il clarifie "des notions clefs telles que la laïcité, la neutralité, les libertés fondamentales". Puis il "apporte des réponses à des cas concrets tout en suggérant les attitudes permettant de favoriser la recherche de solutions consensuelles". Pour chaque question, des réponses distinctes sont apportées en fonction du profil du lecteur (employeur ou salarié). "Nous avons essayé d’employer le langage le plus accessible possible, en évitant la novlangue juridique", assure Yves Struillou, directeur général du travail.
Cinq grands thèmes sont successivement abordés : l’offre d’emploi et l’entretien d’embauche, l’exécution du travail, le comportement dans l’entreprise, l’organisation du temps de travail, et la vie collective. Pour chacun de ces aspects de la vie de l’entreprise, des cas pratiques sont posés : lors d’un entretien d’embauche, puis-je demander au candidat sa religion ? S’il est pratiquant ? Puis-je privilégier le recrutement d’un candidat d’une confession particulière qui correspond à celle de la clientèle principale de mon établissement ? Puis-je sanctionner un salarié qui, invoquant un motif religieux, refuse d’obéir aux ordres de sa supérieure hiérarchique parce qu’elle est une femme ? Puis-je contraindre un salarié à participer à un repas d’affaires alors qu’il ne le souhaite pas en raison de ses interdits alimentaires ? Puis-je contraindre un salarié à rompre un jeûne motivé par des raisons religieuses, comme le ramadan, ou lui interdire de l’observer si j’estime que cela fait obstacle à la bonne exécution de son travail ?
un guide sans valeur normative
"Souvent, la réponse n’est pas univoque", reconnaît-on au ministère du Travail. "La règle dans une entreprise privée, c’est la liberté religieuse. Mais il faut pouvoir la concilier avec, dans certains cas ou contextes particuliers, la nécessité d’un encadrement plus strict. L’équilibre n’est pas toujours aisé à trouver. L’objet de ce guide, c’est donc de dire 'Voilà ce que vous pouvez ou ne pouvez pas faire'." Par exemple, si des salariés demandent la mise en place d’une salle de prière, l’employeur n’est pas tenu d’accéder à la demande, mais il peut le faire, à condition d’assurer un traitement équitable des religions. À cet égard, le ministère a veillé, dans les exemples retenus, à évoquer les impératifs de différentes religions.
Le guide pratique "n’a pas de valeur normative, il ne crée pas de règles nouvelles, ne pose ni injonctions ni interdictions", précise le ministère du Travail. Il n’est pas "juridiquement opposable", mais vise à "fixer le droit qui s’applique, en illustrant par des exemples la portée concrète des dispositions". "La philosophie d’ensemble, c’est de parvenir à ce que les relations soient pacifiées dans l’entreprise, à ce que le climat social soit serein." C’est pourquoi le ministère du Travail recommande aux entreprises, autant que possible, de s’inscrire dans une démarche de dialogue, avec les salariés et leurs représentants. Et de ne pas entrer dans une polémique d’ordre théologique. "Aux questions posées par le fait religieux, le droit français apporte des réponses fondées sur des principes non-confessionnels", rappelle le guide : "protection de la santé et de la sécurité, respect du contrat de travail, non-discrimination". Et si une situation problématique apparaît, l’employeur peut s’appuyer sur la notion de "trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise" pour justifier un éventuel licenciement, sans se placer sur le terrain disciplinaire.
Le guide doit être mis en ligne dans "une dizaine de jours maximum" sur le site internet du ministère, mais il n’est "pas prévu à ce stade" de le distribuer à toutes les entreprises. "L’idée, c’est qu’il y ait suffisamment de médiatisation pour que les gens sachent qu’il existe, et que les organisations syndicales et patronales puissent s’en faire le relais au sein des entreprises."
Inscription de la neutralité dans le règlement intérieur
Dans la dernière version de son guide pratique sur le fait religieux, le ministère du Travail a notamment introduit une disposition issue de la loi Travail du 8 août 2016, qui permet aux employeurs d’inscrire le principe de neutralité dans le règlement intérieur (lire sur AEF). À la question "Suis-je tenu de prévoir une disposition imposant la neutralité religieuse des salariés dans le règlement intérieur de mon entreprise ?", le guide répond : "Non, la neutralité religieuse qui s’impose aux agents publics ne s’applique pas aux salariés des entreprises privées qui ne gèrent pas un service public. Vous pouvez, cependant, sous des conditions encadrées par la loi, introduire certaines restrictions allant jusqu’à la neutralité dans le règlement intérieur".
Le parcours parlementaire du projet de loi El Khomri touche à sa fin : sauf surprise de dernière minute, il devrait être définitivement adopté mercredi 20 juillet 2016, après un nouveau recours à la procédure du 49-3. Parmi les mesures introduites au cours de l’examen du texte figure la possibilité pour les entreprises d’inscrire dans leur règlement intérieur le principe de neutralité. "Cette disposition qui viserait à reconnaître la possibilité d’inscrire dans le règlement intérieur des restrictions de l’expression des convictions au sein de l’entreprise est un outil de gestion managériale", expliquait en séance la sénatrice Françoise Laborde (RDSE, Haute-Garonne), auteur de l’amendement. Cependant, les restrictions devront être "justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise".
Le licenciement d'une salariée pour avoir refusé d’ôter son foulard islamique à la demande d’un client constitue une discrimination directe fondée sur la religion. Telles sont les conclusions de l’avocat général de la CJUE le 13 juillet 2016 dans une affaire française. Par ailleurs, selon l’avocat général, le règlement de travail d’une entreprise qui impose à une travailleuse d’ôter son foulard islamique lors de ses contacts avec la clientèle constitue une discrimination directe illicite. Imposer un code vestimentaire parfaitement neutre peut aussi constituer une discrimination indirecte, une telle discrimination ne pouvant être justifiée que si elle est proportionnée à la poursuite d’un objectif légitime tel que notamment les intérêts commerciaux de l’employeur. Ces conclusions, qui ne lient pas la Cour, font suite à celles d’un avocat général dans une affaire belge (lire sur AEF).
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Lucie Prusak,
journaliste