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« Clauses de désignation », avantages sociaux et fiscaux des contrats collectifs, modalités de prise en charge de la dépendance, financement du modèle français de protection sociale, nouvelle réglementation en matière d'épargne salariale et d'épargne retraite… autant de thèmes qu'AEF et le cabinet Rigaud Avocats ont choisi d'aborder cette année dans le cadre d'un cycle de quatre matinées d'information et d'échanges. L'actualité s'y prête particulièrement puisque, le 3 mars dernier, le juge européen de la CJUE (Cour de justice de l'Union européenne) rendait un arrêt validant une clause de désignation contenue dans la branche de la boulangerie artisanale. Cette décision de justice est importante car ces clauses étaient régulièrement attaquées devant la justice par d'autres assureurs qui considèrent cette pratique comme constituant une entorse à la concurrence. Pour autant, elle ne referme pas le débat. La boulangerie artisanale est en effet un secteur d'activité particulier de très petites entreprises. Nul doute dans ces conditions qu'un accord de branche étendu permette de couvrir des salariés qui faute d'accord de branche et de clause de désignation ne seraient jamais couverts. La décision aurait-elle été la même dans une branche comptant des grandes entreprises ?
Si les contrats de couverture complémentaire santé se sont bien développés au cours des trente dernières années, le taux d'équipement de la population française pour ce type de couverture étant passé de 69 % en 1980 (1) à 94 % en 2008, près de 4 millions de personnes restent en France sans complémentaire santé. Une étude de l'Irdes, datée de janvier 2011 et récemment mise en ligne, donne des éléments d'explication sur les raisons qui expliquent que 6 % de la population reste en marge de la complémentaire santé. Près de la moitié des personnes concernées (46 %) déclarent souhaiter en bénéficier sans le pouvoir pour des raisons « financières ». 22 % préfèrent payer le reste à charge le cas échéant et 14 % expliquent être sous le régime des ALD (prise en charge à 100 % par le régime obligatoire pour les soins en lien avec l'affection concernée). De fait, le motif financier est plus courant dans le quintile des ménages les plus modestes (une fois sur deux) que dans celui des plus aisés (un sur six).
Le droit de l'Union ne s'oppose pas à ce que les pouvoirs publics français investissent un organisme assureur, chargé d'une « mission d'intérêt économique général », du droit « exclusif » de gérer un régime de remboursement complémentaire des frais de soins de santé, sans aucune possibilité pour les entreprises de ce secteur d'être dispensées de s'affilier ce régime. C'est ce qu'affirme la Cour européenne de justice dans un arrêt rendu public ce jeudi 3 mars 2011. La Cour était interrogée par le TGI de Périgueux qui s'interrogeait sur la conformité au droit de l'Union de la clause désignant AG2R Prévoyance pour assurer le remboursement complémentaire des frais de soins de santé pour l'ensemble des entreprises et salariés du secteur de la boulangerie-pâtisserie artisanale. Le TGI de Périgueux se demandait notamment si ce régime ne conférait pas à l'organisme assureur « une position dominante constitutive d'un abus ».
Le 3 mars 2011, la CJUE rendra sa décision dans l'affaire qui oppose la SARL Beaudout Père & Fils à l'AG2R Prévoyance (AEF n°257492). Le juge européen est en effet saisi d'une question préjudicielle posée par le TGI de Périgueux. La question posée par le juge national à son homologue européen portait sur le point de savoir si la désignation d'un organisme unique, en l'espèce l'AG2R La Mondiale, pour assurer la gestion d'un régime de santé complémentaire, sans aucune possibilité pour les entreprises de la même branche professionnelle d'être dispensées d'affiliation, est conforme aux articles 81 et 82 du Traité européen qui consacrent le principe de la libre concurrence. Le 30 septembre 2010, les avocats ont plaidé devant la CJUE (AEF n°256183). Début novembre, l'avocat général avait proposé au juge de valider la clause de désignation en vigueur dans la branche de la boulangerie pâtisserie artisanale. En bonne logique, le juge devrait suivre cet avis. Ce qui ne veut pas dire que le débat soit terminé. L'arrêté d'extension de l'accord désignant les groupes Mornay et Médéric dans la branche des HCR signé le 17 décembre 2010, paraît de nature au contraire à relancer les contentieux.
Le juge européen de Luxembourg est moins « libéral » que l'on pourrait s'y attendre. C'est le constat de maître Laurence Lautrette, avocat chez Jacques Barthélémy & Associés, qui a passé en revue quelque vingt années de jurisprudence. Depuis l'arrêt Coreva de 1995 par lequel le juge permettait qu'un régime de base de sécurité sociale soit soumis aux règles de la concurrence, nombre d'arrêts ont contenu cete évolution et contribué au développement d'une « dimension sociale » européenne. Les politiques à Lisbonne, en mars 2000, ont entériné cette évolution en considérant que « c'est sur la base du modèle social européen, avec ses régimes de protection sociale très développés que doit se faire le passage à l'économie de la connaissance ». Autrement dit, « la logique d'un marché commun intégré n'est pas exclusive d'une politique sociale forte ». Dernière décision dans le même sens : un arrêt du 15 juillet 2010 élève au rang de droit fondamental, le droit de la négociation collective. Le fil rouge de cette histoire, constate Me Lautrette, c'est donc bien la consécration du principe de solidarité, le seul motif qui puisse justifier l'atteinte aux libertés économiques par les dispositifs de protection sociale…
Les conclusions de l'avocat général dans l'affaire qui oppose devant la CJUE à une petite entreprise de boulangerie sur le point de savoir si une clause de désignation dans cette branche constitue une entorse à la concurrence vont dans le sens du groupe de retraite et de prévoyance. Selon lui, en effet, « le droit de l'Union ne s'oppose pas au régime français de remboursement complémentaire des frais de soins de santé dans le secteur de la boulangerie-pâtisserie artisanale ». Pour autant, cette affaire, qui a donné lieu à une plaidoirie remarquée (AEF n°257492) et qui a été relayée par le groupe Aprionis (AEF n°256183), n'est pas définitivement close. En effet, il faudra encore que la Cour se prononce dans cette affaire. Vraisemblablement dans le courant du premier semestre 2011.
Directeur du pôle conventions collectives du groupe de prévoyance Aprionis, Henri Martinez revient sur une jurisprudence en préparation devant la Cour de justice de l'Union européenne de Luxembourg (AEF n°257492) pour expliquer qu'à son avis, dans un accord de branche, une clause désignant un organisme assureur unique dans un accord de branche ne saurait constituer « une entrave au principe de libre concurrence ». « Une telle désignation, ajoute-t-il, reste avant tout une avancée sociale qui est bénéfique à la fois pour les entreprises de la branche et ses salariés. L'objectif de la désignation d'un organisme assureur, tel que les institutions de prévoyance du groupe Aprionis, dans le cadre d'un accord de branche repose en effet sur la défense des intérêts des entreprises et des salariés : rapports prestations/cotisations favorables comparé aux contrats individuels, frais de gestion optimisés, réallocation des excédents, action sociale dédiée et prévention propre à la profession… »